Chapitre 21
La chaleur devenait insoutenable en Fanyarë. Le climat tropical présent à Arminassë demeurait assez particulier ; les fluctuations de température créaient de véritables hivers et la neige se mettait à recouvrir la forêt dense. Cela faisait le charme du pays, sans doute.
Mais en attendant, la canicule frappait la cité aux milles miroirs. L'activité de la ville en avait été impactée et tout tournait au ralenti.
— Il n'y a qu'une seule chose à faire par cette chaleur, murmura Arquen, les yeux dans le vide.
De l'autre côté de la table basse un astre brun au visage noble le regardait avec une pointe d'agacement. Son épée et son bâton astral reposait contre le mur couvert de faïence dorée.
— Seigneur Arquen, je ne suis pas venu dans votre tripot répugnant pour écouter vos lamentations.
— Je ne vous trouve guère amusant, Lagordus. Et puis, les filles vous accueillent toujours avec une grande bienveillance.
Lagordus se pinça l'arrête du nez, comme pour garder son calme ; il ouvrit la bouche pour rétorquer mais son interlocuteur le coupa :
— Mais j'oubliais ! Les charmes de ces demoiselles ne doivent guère vous intéresser puisque vous côtoyez en permanence la plus belle femme du royaume.
L'astre se racla la gorge :
— Je suis le garde du corps de Sa Majesté Luinil d'Arminassë et cette dernière m'envoie en personne vous contacter.
— Ah ! s'exclama Arquen en croisant les jambes, voilà qui devient palpitant. Si Luinil cherche quelqu'un pour réchauffer sa couche cette nuit...
— Suffit. Cet entretien concerne le futur de notre pays !
— Doucement... Et que veut notre chère reine ? Que je parte sur le champ en découdre avec ces maudits gnomes ?
— Nous avons un souci.
— Lequel ?
— Nous avons identifié l'assassin de Nilcalar. Un rescapé d'Atalantë a témoigné et en recoupant les morceaux, nous avons trouvé l'identité de l'homme. Le constat est sans appel.
— Et donc ?
— Il s'agit du fils même du Roi en Blanc, Morgal Fëalocen, seigneur des Falaises Venteuses.
Arquen hocha la tête comme pour engranger l'information.
— Vous voulez dire que le régicide a été orchestré par la famille royale et que désormais, notre reine est la prochaine sur la liste ?
— Il se pourrait bien. Mais surtout, il semblerait que le prince agisse de son plein gré sans décret royal.
— Attendez, nous parlons du garçon taré qui a dévoré son frère jumeau ?
— En effet. Il est réputé très instable avec un gout malsain pour la violence. Si jamais il intervient pendant un conflit, vous devriez immédiatement le détruire.
— Pourquoi moi ?
— Vous êtes le champion de la reine.
Lagordus sortit un parchemin de son manteau et le déplia sur la table :
— Voici un portrait approximatif du prince. Vous le reconnaitrez plutôt par son aura.
Arquen se pencha pour observer le dessin et haussa les sourcils :
— Il est peut-être timbré mais il a une sacrée bonne gueule !
— Mmh... Les elfes sont ainsi, Arquen.
— Ne me prenez pas pour un imbécile. J'en croise en permanence sur les champs de bataille.
— Celui-ci sera différent des autres, il est vrai. Les témoignages ont parlé d'un don de téléportation qui lui aurait permis de s'introduire dans la salle du trône et tuer Nilcalar.
Arquen s'esclaffa :
— Et pourquoi pas un don de métamorphose, non plus ? Les rescapés du carnage ont halluciné, Lagordus.
— Peut-être. Mais attendez-vous à affronter un ennemi de taille. Jusqu'ici, nous n'avons jamais supprimer un prince Fëalocen. Nous allons vous donner un coéquipier pour vous faciliter votre mission.
Arquen grimaça : il n'aimait guère le travail d'équipe. En général, les autres soldats le gênaient plus qu'ils ne l'aidaient.
— Il s'agit d'une Ilfégirin, le devança l'astre, elle vous apportera tout le soutien nécessaire.
Son interlocuteur soupira et étira ses bras musclés en décrétant :
— Soit. J'accepte. Elle n'aura qu'à venir me trouver.
— Elle est derrière vous.
Surpris, Arquen se retourna sur une femme au regard sombre. Une lourde queue de cheval noire battait son dos nu alors qu'une brassière de cuir et un pantalon serré moulaient son corps athlétique.
Elle s'avança vers son nouveau partenaire sans sourcilier et lâcha :
— Seigneur Arquen, je suis Jenny, une mercenaire employée par la couronne.
L'homme fronça les sourcils en découvrant la dentition de la femme mais préféra garder le silence pour mettre à profit un sourire charmeur.
Décidant qu'il avait rempli sa mission, Lagordus se leva et prit congé dans un claquement de cape.
Les deux guerriers se retrouvèrent seuls dans le salon luxueux de la maison close. Des draperies chatoyantes recouvraient les murs et le mobilier finement ciselé soutenaient divers aliments et rafraichissements.
— Alors comme ça, vous êtes une Ilfégirin ?
— C'est exact.
— Et une vampire... Les astres d'Arminassë n'aiment pas ce genre de créatures.
— Je sais mais la reine m'a tout de même employée.
— Mmh... Vous êtes... charpentée pour une astre.
Jenny croisa les bras sur sa poitrine et leva le menton d'un air fier :
— Mon père était un lumbars du grand nord.
— Vous êtes une bâtarde ? s'extasia Arquen en se servant une nouvelle liqueur, figurez-vous que moi aussi.
La vampire haussa les sourcils et s'approcha de lui :
— Votre aura est en effet indiscernable.
— Je suis le seul dans cette Dimension à hériter de gênes divines. Voilà pourquoi notre chère reine a fait de moi son champion. Mon Vala n'a pas son égal ici !
— Et votre orgueil non plus.
Le demi-dieu ricana et se leva pour faire face à sa partenaire. Elle faisait presque sa taille. Mais il lui aurait fallu encore beaucoup d'exercice pour qu'elle puisse acquérir la carrure impressionnante de l'homme. Tout chez lui n'était que force brute et la vampire devina qu'il était bien plus vif d'esprit qu'il ne le laissait paraitre.
— Enfin ! conclut Arquen, vous êtes au courant pour le prince ?
Il lui tendit le portrait pour qu'elle puisse identifier la cible. Jenny sourit.
— Un problème ?
— Non... Il me rappelle simplement un elfe que j'ai croisé il y a quelques années... Une sacrée personnalité. Mais son ambition a fini par le dévorer, lui et son entourage.
Instinctivement, elle passa sa paume sur son flanc droit, là où apparaissait une étrange marque.
— J'espère que cela ne vous dérangera pas pour trancher la tête du prince, insinua Arquen.
— Non, rassurez-vous, gloussa la guerrière, et même si je retrouvais Chérubin, je devrais le tuer...
— Épargnez-moi vos histoires d'amours déçues, Jenny, gloussa Arquen, cela ne vous ressemble pas. Et puis les elfes séduisent toujours pour nous la mettre à l'envers, c'est connu.
Jenny se pinça les lèvres ; cela n'avait rien à voir. Certes, elle aurait souhaité aller plus loin avec Chérubin mais ce dernier était désormais détenteur de sa marque. Elle secoua la tête et se rapprocha davantage du demi-dieu ; sa forte poitrine frôlait le torse de l'homme et ce dernier s'autorisa un bref regard vers le bas.
— Vous savez, Arquen, je préfère que vous me considéreriez directement comme votre égal. Je n'ai pas de temps à perdre avec vos considérations.
— Croyez-moi, Jenny, murmura son partenaire en clignant d'un œil, je préfère largement être accompagnée d'une jolie vampire. Tu me suces quand tu veux !
La mercenaire plissa les yeux un court instant avant d'envoyer violemment son genou entre les jambes de son coéquipier. Arquen écarquilla les yeux, le souffle coupé et retomba sur le sofa, les dents serrées et les mains contre ses parties.
— C'est noté ! sourit Jenny.
— C'était bas de ta part...
— Vous me rejoindrez dans mes appartements, au palais. Je ne traine pas dans les bordels.
Sur ces mots secs, elle disparut derrière le rideau de perles. Le demi-dieu secoua la tête ; cette vampire était une forte tête et il sentait que la cohabitation ne serait pas de tout repos. Mais d'un autre côté, il la trouvait très particulière. D'habitude, il ne s'intéressait pas aux femmes trop charpentées mais Jenny avait gardé une harmonie notable ainsi qu'un charme bien à elle.
Arquen gloussa, pensant qu'il était irrécupérable lorsqu'il s'entichait d'une jolie brunette. Son intérêt croissait jusqu'à ce qu'il la mette dans son lit. Après cela, ce n'était pas la lassitude qui le prenait mais plutôt l'envie de conquérir un nouveau cœur. Quand il s'agissait de relations avec d'autres hommes, il n'avait pas à se prendre autant la tête, certes, mais le jeu était trop facile. Même les femmes astres cédaient trop facilement.
Et puis, il y avait la Reine Vierge.
Arquen aurait voulu la détester mais ça lui était tout bonnement impossible. Dès la première rencontre, l'envoutement avait été sans appel. Luinil demeurait tout simplement l'incarnation de la beauté sur terre, la séduction dans tous ses aspects et la cruauté dans sa plus sombre noirceur. Elle manipulait comme bon lui semblait mais ses yeux verts ensorcelants et sa bouche charnue dissuadaient toutes rétorsions.
— Lagordus a bien de la chance à l'avoir en permanence à ses côtés...
Cependant, le garde du corps ne profitait sûrement pas de cette proximité. Luinil restait d'une froideur indissociable. Rien ni personne ne pourrait la posséder. Et cela émoustillait le demi-dieu. Il serait le premier à séduire la reine ; qui d'autre que lui le pouvait ?
Arquen remontait les interminables marches qui menaient au palais royal. Ainsi exposé sous les rayons du soleil, il avait l'impression de fondre. Les cris des marchands l'accablaient et lui donnaient envie de réduire leurs étals en cendres.
En passant devant les casernes militaires, les soldats lui adressèrent un salut respectueux : le champion de la reine était admiré de tous.
Le demi-dieu ricana amèrement. Cela n'avait pas toujours été le cas. Son histoire trainait de tristes souvenirs qu'il ne pourrait jamais oublier.
Quelques décennies plus tôt, une astre était tombée enceinte, fait extrêmement rare. Comment avait-elle rencontré la divinité pour en arriver là ? Arquen l'ignorait. Tout ce qu'il savait était que sa génitrice fut brûlée vive par les habitants effrayés. Le gérant du Lotus Bleu, un hôtel de luxe, l'avait recueilli. Il était alors âgé d'une dizaine d'années et de nombreux proxénètes avaient eu le loisir de l'exploiter, conscient qu'un enfant sur le marché de la prostitution rapportait gros.
Arquen secoua la tête pour ne pas se rappeler ces événements. De temps à autres, ses pensées caressaient le souvenir de sa mère ; elle n'avait jamais voulu l'abandonner malgré sa situation délicate. Cela lui avait couté la vie.
Et maintenant que le petit garçon était devenu le champion de la reine, il comptait bien profiter de son nouveau statut.
Un peu comme une revanche sur la vie...
— Te voilà enfin !
Il se tourna vers le muret qui longeait le large pont-levis. Jenny l'attendait assise, sa belle queue de cheval au vent. Sa brassière courte laissait entrevoir des abdominaux bien dessinés qui ne souffrait pas la moindre pellicule de graisse.
— Pourquoi te rejoindre au palais ?
— L'intendant nous a aménagé une suite.
— Nous allons la partager ? demanda-t-il avec un sourire lourd de sous-entendus.
— Exactement. J'espère que tu n'es pas désordonné.
Arquen gloussa dans sa barbe et passa la main dans ses belles mèches chocolat avant d'emboiter le pas à sa partenaire.
Le château royal resplendissait de mille feux avec le soleil. Des fontaines chantantes et de la végétation luxuriante animaient les espaces alors que de grands miroirs et baies vitrées rythmaient les galeries.
Personne ne se serait lassé d'une telle merveille architecturale. Le palais, véritable joyau, s'élevait dans des donjons et coupoles translucides. Une couleur mordorée imprégnait les lieux comme si la pierre avait été plongée dans des cuves d'or. Les tentures rouges accentuaient le côté chaleureux des vastes espaces.
Enfin, un page les conduisit jusqu'à leurs nouveaux appartements. Un balcon extérieur donnait sur les jardins privés apportant les senteurs fruitées dans le séjour accueillant.
— Vos affaires vous seront bientôt livrées, déclare le page en s'inclinant.
Arquen fit le tour des lieux avant de hocher la tête, satisfait. Et dire que la Reine Vierge vivait dans ces murs...
— Il nous faut trouver un moyen d'abattre le prince dès qu'il se manifestera, assura Jenny d'un air détaché.
— Mouai... Ce type est un vrai psychopathe, non ?
— Je n'en sais rien, à part Chérubin, je n'ai croisé que les elfes d'Atalantë. Ceux-là étaient déjà fous à lier.
— Tu m'étonnes ! En tout cas, ton elfe avait un nom bien ridicule.
— Chérubin ? C'était son surnom. Il ne m'a jamais dévoilé son identité.
— Évidement ! Tu ne gagnes rien à fantasmer sur un elfe.
Jenny sourit en repensant à son ami. Où était-il maintenant ? Elle n'avait pu l'oublier, sans doute à cause de la marque... Et aussi de son regard hypnotique.
Elle jeta un rapide regard vers Arquen ; lui-non plus n'était pas en reste avec ses magnifiques yeux violets, probablement hérités de son père. Il ferait sans doute un bon amant... Même si la priorité demeurait d'abord l'entente en équipe. Le devoir passait avant mais après tout, la vampire n'avaient jamais dissocié son travail de sa vie sexuelle.
— Bien ! lâcha-t-elle, en attendant d'être envoyés sur la presqu'île d'Olmor, il ne nous reste qu'à nous entrainer.
— J'y viendrai demain. Pour l'instant, j'ai des choses à faire.
Comme rejoindre Luinil. La Reine Vierge semblait lui montrer une attention particulière et il n'était pas question pour Arquen de passer à côté d'une telle opportunité.
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