8. Douce nuit
— Ellya, je crois que tu as des choses à nous dire, déclare ma mère d'une voix grave.
Père a emmené Xyrus dans le fumoir et John s'est joint à eux, ils sont « entre hommes ». Beth avait plusieurs fois suggéré que l'on y place une caméra en douce. Je regrette aujourd'hui que nous n'ayons pas eu l'audace de mettre en action cette idée. Je paierai cher pour savoir ce qu'il se dit là-bas. Ici je ne peux esquiver mère, elle a les deux ancêtres de son côté, pour une fois, et mes sœurs brûlent elles aussi d'envie de tout savoir. L'unanimité est une chose bien rare dans cette maison mais aujourd'hui c'est toutes contre moi. Je me résigne à leur raconter l'histoire mais auparavant je vais me servir une part de buche. Courtney me la prend violemment des mains mais malheureusement pour elle, elle n'est pas en position de force.
— Si tu veux savoir tu me rends cette part de buche.
— Si tu veux cette buche tu parles ! me rétorque-t-elle si sûre d'elle.
Certes non, ce n'est qu'une buche pour certains mais pour nous c'est un duel de force que je ne veux pas perdre.
— Mère, je te raconte tout dans les détails, dis-je posément, mais demande à mes sœurs de sortir, elles n'ont pas à savoir.
Ce n'est pas délicat pour les autres mais je suis contrainte de les mettre dans le même panier si je veux gain de cause. D'ailleurs avant que mère ne réponde Ashleen reprends mon dessert tant désiré des mains de Courtney et me le rend.
— Vous n'allez pas vous battre pour un gâteau quand même ! Je veux savoir pourquoi nous avons le duc comme hôte !
— Moi aussi, ajouta Delina, et depuis quand ? Je veux tout savoir !
— Alors laissez-moi respirer !
Je m'installe à table et mange sous le regard scrutateur de toutes ces dames. Mère-grand pense connaître le début de l'histoire et raconte notre rencontre lors des funérailles du vieux duc.
— Je l'avais déjà croisé avant, devant la librairie, précisé-je.
— Ne parle pas la bouche pleine Ellya, me réprime grand-mère, c'est indigne d'une duchesse !
Elles m'imaginent déjà mariée... Visiblement elles ignorent que Xyrus est du genre infréquentable.
— Ne vous faites pas d'illusions, je ne vais pas devenir duchesse.
— Et pourquoi pas ? rétorque mère, je t'ai bien éduquée, que je sache tu es intelligente, polie et raffinée.
Mère-grand et grand-mère ajoutent une liste de qualités plus ou moins réelles, à les entendre c'est moi qui daigne épouser un duc. Peuvent-elles seulement concevoir qu'il manque une chose essentielle à cette union ?
— Je ne l'aime pas, et lui non plus.
— Sottise que cela, as-tu seulement remarqué la taille de ces saphirs ?
J'essaye de leur faire comprendre qu'il est riche et que ce n'est probablement qu'une broutille pour lui mais elles restent insensibles à mes arguments. Autant parler à un mur.
— Si tu n'en veux pas moi je l'épouse.
Nous nous tournons toutes vers Courtney dans un seul et même mouvement. Ma sœur joue distraitement avec mon cadeau et fait glisser les pierres entre ces doigts. Elle avait dit cela sans nous regarder si bien qu'elle est presque étonnée de voir nos expressions sidérées.
— Quoi donc ? Cela ne me gêne pas d'épouser un homme de sa condition, que je l'aime ou pas.
— Tu ne viens pas de quitter ton mari pour un autre toi ? réplique violemment Delina, s'attirant ainsi les foudres de notre aînée qui la fusille du regard.
Mère s'offusque, elle n'était pas au courant de ce détail du divorce. Courtney s'insurge contre Delina qui ne se laisse pas faire mais mère s'interpose et ordonne le silence d'un ton ferme.
— Votre père décidera de vos sorts respectifs et je doute que vous ayez votre mot à dire. Ellya, elle se tourne vers moi et je sens qu'elle va m'obliger à faire une promesse que je n'aurai pas envie de tenir, raconte-moi tout.
Alors je parle, je dévoile tout, les discussions en catimini, celles avec les ancêtres et tous nos messages. J'évite simplement les parties osées de l'histoire, question de principe et d'intimité. Delina, de toutes mes sœurs celle qui me connaît le mieux, sent qu'il y a plus mais se tait. Nous partageons la même chambre depuis toujours, elle sait tout de moi et je sais tout d'elle. Enfin presque, du moins chacune garde les secrets de l'autre. Onze heures sonnent à la grande horloge du salon dans lequel nous nous rendons. Les hommes nous rejoignent et père semble heureux. Xyrus s'installe à côté de moi, il laisse assez de place pour que la morale soit d'accord mais se met assez près pour m'ennuyer. Le tout avec un sourire et un haussement de sourcil qui donnent envie de le gifler violemment.
— J'ai obtenu de votre père la permission de vous emmener à Londres pour la nouvelle année, m'annonce-t-il la bouche en cœur. J'ai organisé une fête pour le personnel de mon entreprise le 29 et j'ai déjà quelques engagements pour le 31. Tous vos frais seront bien sûr pris en charge.
— Ai-je l'air d'une poule de luxe ? murmuré-je assez bas pour que les autres ne m'entendent pas.
— Tu peux mettre une robe à plumes si tu veux, me répond-il sur le même ton, le vouvoiement en moins.
Je remarque que mère tient discrètement tout le monde à distance alors que père discute avec les ancêtres tout en nous jetant des regards en coin. Que diable avait-il pu dire ? J'interroge Xyrus à ce sujet, il élude la question et botte en touche. A croire que tout cela n'est qu'un jeu pour lui.
— Arrête de donner de faux espoirs à ma famille. Le vieux duc aurait de la peine s'il te voyait agir de la sorte.
La référence à son grand-père n'était pas une idée, Xyrus s'assombrit brusquement, reprenant cet air si froid qu'il m'avait habitué à côtoyer. Je bredouille une excuse mais le mal est fait. Xyrus se lève et nous annonce qu'il est temps pour lui de partir. Père se fait un honneur de l'accompagner jusqu'au pas de la porte en lui répétant qu'il est le bienvenu dans notre modeste demeure. Le duc le salue poliment, fait une petite courbette et monte dans sa voiture hors de prix.
La joie qui s'étale sur le visage de père lorsqu'il me voit me prouve que Xyrus n'a rien laissé paraître de son amertume.
— Ma chère Ellya, je n'en espérais pas tant pour toi.
Cela fait toujours plaisir de se savoir considérée à sa juste valeur. Je ne sais que répondre à cela alors je cache mon incertitude derrière un bâillement et monte me coucher. Delina me rejoint peu après dans notre chambre. Je l'aide à ôter sa robe si austère mais convenant aux valeurs ancestrales de père et nous gagnons nos lits respectifs. Pendant un moment nous ne disons rien, les yeux rivés sur le plafond de notre chambre plongée dans l'obscurité. Puis je l'entends tourner la tête, vers moi, et me demander si je pense que Xyrus a demandé ma main à père. Je lui réponds que j'en doute, du moins je pense qu'il m'en aurait parlé. Mais peut-être comptait-il le faire lorsque je l'ai vexé. Qu'en sais-je après tout ?
— Tu ne veux pas lui demander ?
— A qui ?
— A Xyrus pardi ! Tu as son numéro non ?
En effet je l'ai, mais je ne sais pas trop comment formuler ma question et je ne suis pas sûre d'avoir envie de le savoir. Delina insiste et je cède. Nous cherchons donc la tournure convenable. Nous nous perdons dans nos recherches et je commence à fatiguer. J'envoie la première chose qui me vient à l'esprit.
As-tu demandé ma main à mon père ?
J'angoisse de lire la réponse et pose le téléphone sur ma poitrine. Mon cœur bat la chamade et à côté Delina ne vaut guère mieux. Elle me répète de regarder mon écran toutes les cinq secondes.
— Il est en vibreur !
Elle n'a pas le temps de rétorquer que l'engin nous fait sursauter toutes les deux. Fébrile je porte l'écran devant mon visage et lit la réponse.
Et si je l'avais fait ?
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