23. Majesté
Nous poussons ensemble un soupir de soulagement alors que Delina tourne la clef de contact et démarre la voiture. Nous avons réussi à nous échapper.
— Prête à découvrir ta nouvelle demeure ? me demande-t-elle malicieusement.
— Tu sais je ne suis pas certaine que Xyrus veuille vivre ici, c'est si loin de Londres.
— Pardon, rit ma sœur, je reformule, prête à découvrir ta nouvelle résidence tertiaire ?
Je me joins à sa joie communicative, ses propos sont simultanément stupides et sensés, une résidence tertiaire... Il ne serait pas étonnant qu'elle n'ait point tort. Le château ducal n'est probablement pas la seule résidence de Xyrus. Et quelle résidence ! Le château est visible de loin et marque les esprits par son importance. Il est aussi haut que long et domine un vaste plan d'eau ainsi que des jardins, le tout dans la pure tradition du romantisme anglais.
De près, les façades sont effrayantes, de par leur taille. J'ai la mauvaise sensation qu'elles vont me tomber dessus. Un homme nous attend devant l'entrée principale, j'ai peine à croire que quelqu'un puisse ouvrir ces immenses portes seul. De visage il ne semble pas très âgé mais son attitude guindée assortie à sa tenue noire impeccable, si l'on excepte les gants blancs, le vieillit considérablement. Il semble tout droit sorti d'une autre époque, non révolue certes, mais ancienne.
— Mesdemoiselles, nous salue-t-il alors que nous sortons de la voiture, le duc m'a chargé de vous souhaiter la bienvenue au château. Je me permets également de vous transmettre tous les vœux de la part du personnel.
Il hésite, je crois qu'il ignore laquelle de nous est... moi. Alors je m'avance vers lui avec un sourire que j'espère ne pas être gêné et me présente.
— Bonjour monsieur, je suis Ellya Grant, et voici ma sœur Delina, Xyrus, pardon le duc, nous a aimablement invitées à séjourner ici.
— La bonté de monsieur le duc ne fait nul doute, me répond-il en s'inclinant légèrement. Sa fiancée est ici chez elle a-t-il déclarer. Il en sera ainsi. Je me nomme Christopher Heston, je suis valet de pied dans cette demeure.
Delina se retient de rire, Christopher, ou Heston comme nous devrions l'appeler afin de respecter le protocole est assez cérémonieux et nous n'y sommes guère accoutumées. Je pense l'avoir croisé lors des funérailles du vieux duc mais je ne puis en jurer. C'était un événement assez marquant mais surtout au niveau sentimental. J'ai oublié les trois quarts des invités présents ce jour-là.
— Heston, faites entrer ces dames et invitez-les dans le petit salon vert, dit une voix derrière lui.
Heston s'écarte et laisse place au majordome du château. Il est en poste depuis des années. D'aussi loin que je me souvienne monsieur Fitz a toujours travaillé au château. Cet homme à la frêle carrure a une double particularité. Il possède une voix qui peut porter d'un bout à l'autre du parc du château, malgré ce que l'on croire si l'on se fiait à la petitesse de sa cage thoracique. Delina, les gosses du village et moi l'avons entendue voici dix ans, alors que le vieux duc donnait une « garden party ». Nous étions près d'un plan d'eau où vivent des carpes que nous tentions d'attraper avec un appât tout à fait original : l'un d'entre nous. Deux garçons étaient déjà tombés à l'eau et un troisième s'apprêtait à faire de même lorsque nous avons entendu le tonnerre. Le ciel nous était tombé brusquement sur la tête sous la forme de Fitz, apparu sans crier gare. Nous avons eu la frousse de notre courte vie et nous nous sommes dispersés en courant. Je me rappelle encore avoir couru vers une aile éloignée du château et être entrée par la première porte ouverte. Une petite bibliothèque m'avait servie de refuge et était devenue ma pièce préférée.
L'autre particularité de Fitz était sa capacité à se rendre invisible. Il apparaissait toujours lorsque l'on ne l'attendait pas et en des lieux pourtant observés. Il suffisait de tourner la tête un instant puis de revenir pour qu'il soit arrivé. Magique, il n'y avait pas d'autre mot... Ou bien fantôme. Fitz, en plus de ces pouvoirs était âgé, presque un dinosaure. Peut-être était-il mort et hantait ces lieux en servant les ducs... Cette hypothèse est particulièrement farfelue mais j'en frissonne. Les fantômes m'effraient, et je suis sûre que le château en est plein.
Delina s'incline, je la sens fébrile. Fitz est impressionnant, surtout pour des jeunes personnes qui ne le connaissent pas comme elle. Les visites de ma sœur au château furent grandement plus rares que les miennes. Je me rappelle ses sourires gênés alors qu'elle annonçait à grand-mère et mère-grand qu'elle ne pouvait les accompagner chez le vieux duc, elle avait un rendez-vous dont elle ne pouvait se désister. Elle s'excusait ensuite par un haussement d'épaules à mon égard alors que ma condition de petite dernière de la famille scellait mon après-midi. J'allais donc avec mes ancêtres au château prendre le thé, parler de la vie du village, m'ennuyer à mourir, et croiser Fitz. De fait le majordome m'était familier, ou presque.
L'intérieur du château est aussi beau que l'extérieur. Tout n'est que romantisme, ornements ciselés et détails. Si certaines pièces semblent sombres et oppressantes, d'autres ne sont que subtilité et légèreté. Le salon vert où nous sommes conduites ne fait pas exception. Les murs de la pièce sont couverts de scènes de chasse dans les plaines et les forêts des environs. Elles représentent les amusements qu'avaient les ducs précédents. Mère-grand m'en avait un jour fait une description complète, alors que grand-mère et feue la duchesse débattaient à propos du placement de table du dîner qui aurait lieu quelques jours plus tard. Je n'avais alors que dix ans, ces préoccupations étaient loin de moi, je n'escomptais pas alors me retrouver à la tête de l'organisation de ces grands dîners. A présent je regrette de ne pas avoir prêté plus d'attention à ce qu'elles disaient. Des guerres s'étaient déclenchées pour moins qu'un mauvais placement de table. Cette activité si futile et si importante me reviendrait certainement lorsque j'aurai épousé Xyrus.
Fitz me sortit de mes pensées en nous proposant un thé. Je le déclinerais bien vu que nous venons à peine d'en prendre un avec mère et les ancêtres mais avec un peu de chance il y aura leurs délicieux gâteaux aux amandes.
— Il n'y a pas à dire, souffle Delina alors que Fitz referme la porte derrière lui, c'est quelque chose. Tu te rends compte que nous allons vivre ici ? Enfin toi surtout, je déménagerai dès ton mariage, mais c'est...
— Immense.
— Magnifique ! On ne construit plus de demeures comme celle-ci de nos jours. Les palais modernes sont tout en cube.
— L'heure est aux décors épurés, dis-je, les photos remplacent les peintures, cela permet d'en changer plus souvent.
Notre monde est bien changeant. Le château est un bijou du passé au cœur d'un écrin de verdure et d'eau comme il n'en subsiste que trop peu. Par opposition l'hôtel de Londres était l'un de ces palais modernes que Delina décrit avec envie. Mis à part mon récent séjour à Londres nous ne les connaissons qu'au travers des magazines et des reportages.
— Je n'arrive pas à savoir si je réussirai à m'habituer à ce lieu, j'ai peur de m'asseoir sur ce sofa tant le tissu me paraît fragile.
Je ris et la devance, aussi vieux soit-il le divan est très confortable.
— Je crois que je m'y habituerai, fis-je amusée, quitte à paraître matérialiste j'aime cet endroit.
Il a abrité mes rêves de princesses et de fées, hors de question que la magie n'opère plus alors que la réalité se rapproche des rêves. Il ne manque plus que mon prince charmant.
---
Merci d'avoir lu ce chapitre !
Axel.
Bạn đang đọc truyện trên: Truyen247.Pro