Chapitre 26
Asher ferma la porte de son appartement. Il resta un court instant immobile et muet avant de jubiler et sauter dans tous les sens.
— J'ai rencontré Vénus ! C'est incroyable ! Elle est super sympa en plus !
Il mit un moment avant de se calmer et de se diriger vers la salle d'eau comme si de rien n'était. Il retira son manteau et son caleçon et se glissa dans la cabine. À peine le robinet ouvert, la performance débuta.
Hier soir, j'ai rencontré une femme
Une bien belle âme
Très altruiste, cette flamme
Très légère, elle ne doit pas peser un gramme
Quelle bonté d'héberger
Le plus étrange des étrangers
M'apprécier en petite tenue
Je n'y aurais jamais cru
Bon, c'est pas non plus comme si je l'avais voulu
Hier soir, j'ai rencontré une femme
Une bien belle âme
Très altruiste, cette flamme
Très légère, elle ne doit pas peser un gramme
Hier soir, j'ai rencontré une femme
Une bien belle âme
Je crois qu'elle a allumé la flamme
Mon cœur a pris quelques grammes
À ces mots, qui étaient sortis tout seuls, le regard d'Asher devint vide. Il serait resté longtemps dans cet état si le gel douche sur ses cheveux n'avait pas coulé jusque dans ses yeux. La chanson finit en beauté avec un cri du cœur, un cri de douleur.
Une fois tout propre, il s'entoura de sa serviette, se tourna vers son miroir, mais il était bien trop préoccupé pour ne serait-ce faire un déhanché. Perdu dans ses pensées, il s'appuya contre le mur et son esprit partit loin, loin, très loin et revint en un instant quand il vit le manteau rose qui trainait par terre.
— Mince ! J'ai oublié de le lui rendre !
Il partit s'habiller en quatrième vitesse. Seulement, la précipitation ne fut pas à son avantage puisqu'il eut par conséquent quelques difficultés à enfiler son pantalon. Il se retrouva à sautiller sur une jambe dans le salon pendant un petit moment. Ce n'est qu'une fois l'épreuve passée qu'il mit le premier T-shirt qu'il vit en plus du vêtement rose et quitta son logement toujours aussi pressé. Le jeune homme fit appel à sa mémoire pour retrouver le bâtiment dans lequel logeait Vénus. Devant celui-ci, il ne fut pas étonné de ne pas trouver le nom de la chanteuse à l'entrée. La seule idée qui lui vint fut de s'asseoir par terre et d'attendre que quelqu'un y entre pour faire de même à son tour.
Cependant, après une vingtaine de minutes d'attente et trois billets refusés, l'idée ne lui paraissait plus aussi bonne que cela. Ainsi, il se releva, rentra sa tête dans ses épaules et glissa ses mains dans les poches du manteau. S'il n'avait fait cela que pour mieux sentir la douceur de l'habit, il y eut un bienheureux résultat. Asher sortit un bout de papier sur lequel il était inscrit un lieu, une date et une heure de rendez-vous.
« RDV 17 Rue des Roses Dorées. 22 du mois de Roimata. 11h30. »
Cette date, c'était ce jour-là. Quant à l'heure, le jeune homme dut demander. Il apprit qu'il lui restait dix minutes. Il n'avait pas le choix que de presser le pas. Comme l'indiquait l'adresse, il fallait se rendre au dragon doré. Avec l'aide des quelques passants, Asher arriva sans encombre. C'était un grand entrepôt qui ne datait pas de la veille ou du moins n'était pas entretenu comme on pouvait le voir aux traces noires qui recouvrait les murs. Il avança jusqu'à la porte d'entrée. À peine le premier coup donné, on lui ouvrit, ce qui le fit sursauter. C'était un adolescent qui haletait.
— Enfin ! Vous êtes là ! Vite ! Suivez-moi ! Le patron a horreur d'être en retard sur son programme de la journée ! Tenez ! Voilà la première tenue à enfiler ! Pour vous changer, c'est par-là, puis la deuxième à gauche.
Asher prit les vêtements sans réfléchir, toujours déstabilisé par l'effet de surprise, et s'exécuta. En fait, cette partie de l'entrepôt avait été réhabilité en studio photo. Il l'avait déduit au matériel d'éclairage et à l'immense tissu de couleur qui avait vu pendant l'aller. S'il s'attendait à ce qu'on l'ait envoyé vers une pseudo-cabine, le jeune homme comprit que c'était en réalité dans les toilettes qu'il devait se changer.
— Non, en fait..., commença l'éducateur.
— Pas le temps, pas le temps, pas le temps, pas le temps, répéta l'adolescent.
La chemise tout comme le short et les chaussures étaient bien trop grands pour lui, si bien qu'il dut serrer sa ceinture au maximum, faire des ourlets et fourrer les chaussures de papier toilette. Il en sortit avec l'allure d'un clown.
Le même adolescent l'interpella aussitôt et le tira par le bras, non sans manquer de faire trébucher l'homme aux cheveux bleus. On lui présenta ensuite le photographe, ou comme le stagiaire l'appelait, intimidé, « le patron », et la mannequin avec qui il devait collaborer pour la séance photo. Si le premier, à un simple regard, transpirait le stress et l'autorité, elle, pouvait faire disparaître n'importe quelle tension.
— C'est amusant de se retrouver ici. Je ne savais pas que vous étiez mannequin...
Elle laissa sa phrase en suspens, sûrement pour se souvenir du prénom.
— Asher !
— C'est ça, se contenta de dire le jeune homme, le sourire aux lèvres.
— Nous n'avons pas le temps de blablater ! réprima le photographe. Vénus, et toi, mettez-vous en place !
— Justement, commença l'imposteur, je venais...
— C'était un ordre, pas une suggestion !
Asher se fit tout petit et se tint à côté de la chanteuse. Selon les instructions du « patron », ils prirent différentes poses, se tinrent la main ou feignirent un rire. Quand il fallut mettre la seconde tenue, les deux modèles avaient précisément quatre minutes et vingt-sept secondes pour se changer. Vénus se changea la première dans les toilettes, tandis que son partenaire restait devant la porte à discuter avec elle.
— Vous êtes sérieux ? Vous n'êtes pas mannequin ? s'amusa-t-elle.
— Je n'ai pas eu l'occasion de le lui dire.
Elle sortit, vêtue d'une pantalon court brun et d'un haut blanc.
— Ça vous va à ravir, complimenta le jeune homme. Enfin, je dis ça sans ambiguïté, hein ?
La chanteuse commençait à répondre quand une voix tonitruante parvint à leurs oreilles.
— Quoi ? Comment ça c'est toi qui es censé faire la séance photo avec Vénus ?
Sans aucun doute, le photographe était furieux. Asher eut un coup de panique et rassembla hasardeusement ses affaires.
— Le vrai mannequin vient d'arriver. Je dois m'en aller. Tout de suite !
— Enfuyez-vous par la sortie de secours. Je vais essayer de vous faire gagner du temps.
Sans perdre de temps, ils partirent dans deux directions opposées. Asher poussa la porte et courut jusqu'à être suffisamment loin pour ne pas être vu depuis l'entrepôt. Il espérait que la folie du « patron » ne pousserait pas ce dernier à le rechercher.
Les bras chargés de vêtements, le jeune homme marchait désormais dans les rues de Draguisier avec comme seul objectif rejoindre son appartement. Asher fit usage de sa mémoire pour se souvenir du chemin. Ce n'était jamais simple de marcher sur les pavés de couleur tout en réfléchissant. Seulement, dès qu'il vit la crèche dans laquelle il travaillait, son pas devint plus assuré et une nouvelle mélodie occupa son esprit. Une chorégraphie se mit en place dans sa tête et celle-ci se balançait de gauche à droite. Il était si concentré qu'il n'entendit pas les coups de klaxon qui retentissaient.
— Asher ! Asher ! Rooh ! Tobias, arrêtez-vous là, s'il vous plaît.
Quelques secondes plus tard, une main se posa sur l'épaule de l'homme qui poussa un cri aigü.
— Ah ! Vous êtes revenu parmi nous. Tobias n'arrêtait pas de klaxonner et ça interpellait tout le monde sauf vous.
— Pardon, j'étais.... concentré. Et la séance photo ? Elle est déjà terminée ?
— Oui. Entre un intrus qui s'est fait passer pour un mannequin, des vêtements volés et du temps perdu, le photographe n'a pas supporté. Il a tout annulé. Si tu l'avais vu... Au bord du gouffre. En plus, sa personnalité est telle que je ne ressens aucune compassion pour ce genre de personnage.
Ils sourirent.
— C'est vrai qu'il est particulier, renchérit Asher qui lâcha un rictus. J'en ris, mais je ne faisais pas le fier là-bas.
— Vous ne vous débrouilliez pas trop mal pourtant.
— Bah ! Inutile de mentir.
— Je suis sérieuse !
La chanteuse avait fait un pas en avant et se retrouva très proche du jeune homme qui recula par réflexe. Un silence qui sembla être une éternité pour ce dernier s'installa. Un gargouillement le brisa.
— Oups. C'est moi, avoua l'éducateur. L'heure du déjeuner approche, j'imagine.
— Parfait ! lança Vénus. Je vous invite au restaurant !
— Madame, commença son chauffeur, vous devriez faire attention avec qui vous traînez. Si c'est pour tomber sur un cinglé comme hier...
— Tobias ! Je suis une grande fille ! Et puis, Asher n'est pas comme lui, n'est-ce pas ?
—Évidemment, répondit-il d'un ton sérieux. J'ai bien un T-shirt de votre dernier concert, une tasse, un poster, une casquette, un parapluie, une lampe, des sets de table, des cuillères, des coussins, des rideaux et une couette à votre effigie, mais rien d'alarmant.
Il conclut sa tirade par un sourire et la blonde éclata de rire.
— Vous voyez, Tobias, on peut faire confiance à ce cinglé-là.
— Si vous le dîtes. Laissez-moi au moins vous y emmener.
La chanteuse tourna les talons et ouvrit une portière de la voiture qui se faisait klaxonner à son tour. Asher ne cacha pas sa réticence.
— Monter dans la voiture d'inconnus...
— Tu as pourtant bien dormi chez moi, dit-elle.
— Oui, mais le gardien de mon immeuble savait où j'allais et avec qui. Là...
— Bon, désolée, Tobias. Nous y allons à pied.
Elle claqua la portière.
— Mais...
— On se retrouve devant le restaurant dans... Disons une heure et demie ?
Le chauffeur parut perplexe.
— Ce n'est pas un peu long pour un simple déjeuner ?
La jeune femme s'avança dans sa direction et chuchota quelque chose. Tobias acquiesça sans broncher et partit.
— Que lui avez-vous dit ?
Elle commença à marcher et il la suivit.
— Que j'étais majeure. Tout simplement. Je sais qu'il prend son travail de chauffeur et garde du corps très au sérieux, mais... C'est parfois trop.
— Il est conscient de ce qui peut vous arriver.
— Il m'a avoué m'avoir surveillée lors de mon dîner avec votre voisin.
— Il a le flair dans ce cas.
— Il avait vu juste, c'est vrai et...
Vénus s'arrêta sans prévenir. Le jeune homme fut en alerte.
— Qu'est-ce qu'il y a ?
— Rien de grave. Je viens tout juste de remarquer que nous ne faisons que parler de lui.
Asher s'en amusa.
— Moi, ça ne me dérange pas. Ça me permet d'en apprendre sur vous.
— Sans me vanter, parce que c'est la pure vérité, tout le monde me connaît.
— En tant que chanteuse, ajouta-t-il.
Cette dernière pencha la tête, les sourcils froncés.
— Vous êtes bien plus que ça. Vous êtes une femme avant d'être une célébrité. Une femme avec des goûts, des choses qui vous irritent, qui vous font rire, des problèmes, des rêves. Une femme avec un cœur. Une femme avec une vie. Ne me dîtes pas que vous l'avez oublié ?
La chanteuse se tenait le bras, le sourire en coin, tandis que le jeune homme continuait son monologue en gesticulant pendant une petite minute.
— Laissez Vénus la chanteuse de côté un instant et soyez vous-même.
Asher avait achevé sa tirade à bout de souffle. Il se pencha en avant, les mains sur les genoux.
— Cinglé et passionné, lança-t-il.
— Je vois ça, s'amusa la spectatrice de cette performance. En tout cas, votre discours m'a touchée. J'ai tellement la tête dans le guidon que ma vie tourne autour de Vénus la chanteuse.
— Ravi d'avoir pu...
Son ventre gargouilla.
— Ravi de pouvoir vous accompagner au restaurant, reprit-il sur le ton de la plaisanterie.
Le duo ne traîna pas à rejoindre l'établissement en question. Établissement qui se trouvait en bas de l'immeuble d'Asher. De par le prix de l'appéritif, il n'avait jamais envisagé d'y mettre un pied. À peine arrivés, un serveur d'une politesse incomparable les aborda, vérifia le carnet des réservations pour ensuite les inviter à le suivre jusqu'à une table située juste à côté d'un large aquarium. Il y avait des moulures sur les murs et plus de chandeliers que de flacons de gel douche dans la salle d'eau du jeune homme. Celui-ci ne cessait d'ailleurs de tapoter sur la table.
— Vous pouvez vous détendre, lui souffla Vénus.
— Si ce n'était qu'une question de volonté... Je ne suis pas habitué à ce genre de lieu.
— C'est réciproque.
— Comment ça ?
— Tous ces snobs vous regardent d'un air ahuri. Sûrement l'effet de vos cheveux bleus.
— Qu'ils aillent se faire voir, ricana-t-il.
— Voilà. Vous êtes déjà plus détendu.
Le même serveur revint vers eux avec la carte du menu. Asher prit une grande inspiration avant d'y jeter un œil. Il l'ouvrit à la page des entrées et il eut aussitôt des vertiges.
— Excusez-moi, de quoi est composée votre salade « Printemps d'été » ?
— Vous y trouverez de la salade verte, du maïs, de la tomate et du magret de canard. Sans parler de l'assaisonnement qui est une vinaigrette faite maison.
— C'est tout ? Vous n'y ajoutez pas de l'or rapé ?
La chanteuse pouffa alors que l'homme ne savait pas quoi dire. Asher, quant à lui, garda son sérieux.
— Euh... non.
— Je vois. Dans ce cas, est-ce que vous faites payer le pain et l'eau ?
— Non, intervint la jeune femme, ne vous souciez pas de votre budget. Je vous invite.
Il la regarda, hésitant.
— Alors je prendrai la même chose que madame.
Le serveur se tourna vers elle.
— Comme d'habitude.
Ces mots étonnèrent son invité.
— Puis-je vous proposer une bouteille de vin ?
— Je ne bois pas d'alcool, déclara Asher.
— Une carafe d'eau fera l'affaire, en conclut la blonde.
Une fois l'employé parti, ils reprirent leur discussion.
— Vous venez souvent ici, à ce que j'ai compris.
— C'est cher, mais c'est le prix à payer pour être tranquille. Les clients de ce restaurant ne sont pas à la page. Sur le plan de la musique et sur le monde en général. Je m'y sens comme une personne lambda.
— Lambda, mais friquée, taquina Asher.
Elle en rit.
— Vous n'épargnez personne.
— C'est l'un de mes principes, vous savez, répondit-il, fier de sa blague.
Puis, plus rien. Aucun des deux ne surenchérit ou relança la conversation. Le silence se fit entendre pendant de longues secondes et chacune d'entre elles nourrissait le malaise.
— Une heure et demie ? se décida de dire Asher en regardant sa montre imaginaire.
— Vous pensez que vous n'y survivrez pas ?
— Eh, vous ne vous débrouillez pas mal non plus en humour.
Il affichait un large sourire, comme si on lui avait dit ce compliment.
— Pourquoi est-ce que vous faites cette tête ?
— J'ai toujours eu un faible pour les gens qui me font rire.
Il gardait la même expression tandis que la chanteuse fronça les sourcils.
— Vous êtes sûr de votre choix des mots ?
Le jeune homme resta d'abord silencieux. Puis il dit :
— Asher ! Asher ! J'ai besoin de toi !
***
2666 mots.
Publié le 16/12/2022
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