Chapitre 57
PDV Keefe
Les autres sont partis peu après l'expédition de Biana dans la chambre de Paolina — sans doute parce que j'étais bien trop impatient d'ouvrir le livre qu'elle m'avait adressée pour attendre qu'ils partent et que je les pressais de s'en aller — et Sophie est rentrée chez elle pour chercher ses affaires, puisqu'elle dort finalement chez moi ce soir. Je sais qu'elle reste surtout pour me remonter le moral, qui est retombé bien loin dans mes chaussettes en tenant le carnet que m'a destiné Paolina dans les mains, mais je pense tout de même qu'on va s'amuser ce soir. Je prends d'ailleurs ce fameux carnet, blanc crème, à première vue sans titre. Je le tourne dans tous les sens, mais il n'y a aucune inscription à son extérieur, juste les pages reliées d'or, qui coupent un peu au contact du doigt.
Je l'ouvre à la première page, et l'écriture un peu maladroite mais pleine de formes élégantes de ma mentore me tombe sous les yeux, ainsi qu'une lettre cachetée d'un sceau étrange, mais je ne m'en formalise pas, ce doit être le blason de sa famille. Les larmes me montent aux yeux en pensant à elle, et à son joli sourire qui n'atteignait pas toujours ses yeux, mais je ne dois pas pleurer. Parce que je sais pertinemment qu'elle m'aurait dit : "Faut pas pleurer, profite de ta vie tant que tu en as la possibilité." accompagné d'un tirage de langue et d'un clin d'œil. "Moi, je suis déjà vieille et décatie, alors ne reste pas à me regarder comme un poisson hors de l'eau, et va retrouver ta dulcinée !"
L'enveloppe glissa alors qu'un tremblement prit mes mains. Je ne voulais pas en briser le sceau, qui me paraissait familier et inconnu à la fois. Mais je voulais absolument lire ce qu'elle m'avait adressé, aussi je pris une grande inspiration, et décollai délicatement le cachet rouge sang. Le papier en-dessous était immaculé, mon surnom — qu'elle avait maintes fois tenté de changer parce qu'elle le trouvait moche mais j'avais tenu à le garder ainsi — visible en premier. Je reniflai violemment en me souvenant des circonstances dans lesquelles elle me l'avait donné, puis lus la missive.
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Bien le bonjour, Coco.
Oui, je suis actuellement morte et cette lettre, comme tu as pu le constater ces derniers jours, ne va pas le démentir. Parce que non, ce n'est pas un tabou, c'est la vie — la mort — et j'en ris si je veux parce que c'est la mienne et que ma vie je l'ai assez vécue pour savoir que j'en ai un peu marre, même si j'avoue que tu vas me manquer.
Cette petite-longue lettre, je te l'écris par télékinésie depuis mon actuelle position, vautrée par terre sous les débris de la croix, d'où je vous vois accourir vers moi. Sache que depuis le début de mon enlèvement, je n'ai rien fait pour me soigner. Tu vas trouver ça complètement inconscient sans doute, mais... quand, devant toi, ta mère m'a retiré le gant, elle était très confiante, et ça c'est uniquement grâce à mon manque de réaction quand elle me l'a fait des dizaines de fois avant, donc ce n'était pas un acte stupide — enfin si — qu'elle a fait sur un coup de tête. J'aurais parfaitement pu me soigner en volant la vitalité de mes geôliers, des centaines de fois même, pour les tuer à l'usure et me libérer moi-même. Mais, tu le sais, j'en ai marre de me battre. J'en ai assez de tricher pour me maintenir dans une vie que je sais vaine. J'ai menti, bien sûr, quand j'ai dit que je n'avais plus de force pour leur voler leur vie. C'est le vol le plus simple à effectuer de toute ma liste, il ne m'aurait rien coûté rien de plus qu'une simple seconde. Il faut croire que je l'ai fait trop de fois... ou trop jeune. Je ne sais pas. Bref. Ça doit être de famille de tout endurer sans ouvrir le bec pour se plaindre, maintenant que j'y pense.
J'ai voulu vous dire quelque chose, mais je n'ai jamais osé... et maintenant que je ne verrai plus vos visages dévastés à cause de moi, je pense que je peux me lancer. Fitz était innocent. Il n'a rien désiré, rien fait. Il était esclave de son propre corps, possédé par Silal, que tu connais maintenant bien. Ton ami a très bien senti cette présence dans son cerveau, il était puissant ce petit télépathe, je l'ai même apprécié quand il était lui-même.
Quand je l'ai tabassé devant vous plusieurs jours plus tard, je savais bien qu'il était de nouveau maître de son corps, mais il m'a permis de lui faire tout ce que je voulais, parce qu'il savait bien qu'il avait été possédé, et il savait que moi aussi je savais. Pourtant, il ne m'a pas empêchée de le démolir outre-mesure sous prétexte qu'il n'était techniquement pas responsable, il était vraiment quelqu'un de respectable. Son décès m'a attristée, et pourtant c'est à cause de moi... Je suis venue le voir une dernière fois avant de partir, au centre de soins, il était presque complètement rétabli, mais lorsque je lui ai avoué que j'étais morte, il a eu des flashs de cette fameuse nuit cauchemardesque pour nous deux, j'avais pourtant pris soin de lui cacher ses souvenirs mais je dois avouer que ce n'est pas mon domaine de prédilection ; il s'est défait de mes faibles barrières. La culpabilité l'a rattrapé d'un coup avec ses souvenirs défilant à toute vitesse dans son cerveau, et il m'a dit ne pouvoir jamais s'en remettre. Je lui ai affirmé que si, mais il m'a menacée de se planter lui-même avec son cristal de saut si je ne le tuais pas moi-même. L'euthanasie ne fait pas partie de mes principes, mais je te jure que cette crise cardiaque, c'est ce qu'il voulait le plus et le lui refuser, c'était pire que de ne rien faire, la culpabilité est quelque chose de vraiment redoutable pour vous. Alors oui, prends ces informations comme tu veux, déteste-moi, mais s'il fallait le faire à nouveau je le referais sans hésiter.
Tu sais, il ne faut pas que tu sois triste de cette perte ou de la mienne. D'accord, tu ne nous verras plus et mon caractère naze te manquera peut être, mais tu dois savoir que je suis heureuse maintenant. J'ai ma famille, j'ai mon petit copain, j'ai tout ce qu'il me faut, et je n'ai plus mal.
J'ai toujours voulu partir, tu es au courant, et te voir avec tes amis me conforte dans l'idée de m'en aller.
La mort me poursuivait en me lançant fréquemment des attaques mentales, c'était insupportable et tu étais bien placé pour le savoir, toi qui ressentais chacun de mes vague-à-l'âme, trois à quatre fois par jour — je te voyais t'assombrir à chaque fois, je me sentais vraiment coupable. Vois ce petit départ non pas comme un départ définitif, mais un voyage dans lequel tu me rejoindras bientôt, dans dix ou quinze-mille ans. Ou même plus. Le suicide c'est mal, attention je te surveille.
Je t'ai transmis l'art de la Lecture Omnisciente, fais-en bon usage s'il te plaît. Je n'ai pas écrit comment la gérer dans le carnet, tu n'étais pas censé l'avoir à vrai dire... Mon choix était précipité, j'avais peur à ce moment là. Ce doit être un des seuls moments où je n'ai pas eu confiance en la mort. Je me suis rattrapée plus tard, mais je n'avais plus assez de force pour te demander de me la rendre — ç'aurait été trop long, tu étais exténué toi aussi. Et je n'ai, sur le moment, pas du tout pensé à te demander un miroir pour me lire moi-même, imbécile que je suis.
Excuse-moi. Je t'ai donné une capacité supplémentaire, mais c'est un peu un fardeau. Tout voir.... c'est usant, tu vas voir. Tu vas trouver un moyen de fermer la lecture par toi-même, je ne doute pas en tes capacités. Pour ma part, je la gardais constamment ouverte parce que je n'avais pas confiance en tous les elfes, mais tu n'es pas obligé d'être aussi parano que moi bien sûr !
Je sais que tu es triste et que tu pleures. Il faut croire que en plus d'être de ma famille, je te comprends un peu trop bien. C'est... agréable de sentir qu'on aime quelqu'un. Et un peu étrange, je dois l'admettre. Même si je sais que tu vas te cacher derrière ton côté rigolard pour camoufler le fait que tu verses de grosses larmes et que tu renifles de façon très peu glamour. On est tous pareil sur ce point de vue là.
Mais il faut que tu assume d'être triste, de pleurer, même si je déconseille ce comportement... Surtout si c'est pour moi. Je n'en vaux pas la peine, je n'aurais même pas dû entrer dans vos vies.
Et une dernière chose :
Tu me manques déjà, mais sache que je serai toujours près de toi dans les moments difficiles.
Porte-toi pas trop mal,
Ton arrière-beaucoup-grand-tante,
Paolina Sencen.
~~~
Elle a raison, je pleure. Je cherche une suite à la lettre.
Mais il n'y en a pas.
Je la relis encore et encore, voulant entendre sa voix en lisant les mots, qui sont si justement choisis et précipités, si on prend en compte qu'elle nous parlait quand elle l'écrivait. Comment a-t-elle eu la concentration nécessaire pour ne pas hurler de douleur, ne pas dire ce qu'elle faisait et écrivait, et répondait à nos questions alors que prendre un crayon par télékinésie et écrire avec est diablement difficile ? Si j'en crois mes souvenirs, elle avait pris la télékinésie de quelqu'un alors que nous étions encore dans la pièce où elle était détenue, mais je ne me souviens plus de qui...
Elle était trop incroyable pour qu'on puisse douter d'elle. Et Fitz... elle a respecté son souhait, mais je ne lui en veux pas, et à lui non plus. Se faire diriger par une force inconnue pour commettre un viol sur quelqu'un que tu apprécies, quoi de pire ?
Elle n'aurait pas dû partir aussi tôt. Aussi vite.
Ma pensée est égoïste. Je suis égoïste.
Elle voulait mourir, rien ne la retenait avant de nous connaître !
Elle voulait rejoindre Kyo, et.... qui en fait ? Elle m'a dit ne pas aimer sa famille, mais j'ai senti une partie d'elle-même mentir à cet aveu. Elle aurait plusieurs familles ? Comme Sophie, qui en a... trois ? Je ne ferai pas de commentaire.
Elle entra d'ailleurs dans ma chambre.
— Keefe, je suis... pourquoi pleures-tu ? S'alarma-t-elle en voyant mes yeux rougis.
Je lui tendis la lettre. Ses yeux s'humidifièrent au fil de sa lecture, mais elle parvint à ne pas pleurer. Elle aussi chercha une suite à la missive, au dos, sur mon bureau.
Mais il n'y en avait toujours pas.
Quand elle s'en rendit compte, elle s'effondra sur le sol en se mordant violemment la lèvre, mais un sanglot parvint à franchir la petite barrière. Ce sanglot fut suivit de plusieurs, forts et puissants, qui donnèrent lieu à un torrent de larmes.
— C'est.... si... je... K-keefe ! P-pou~rquoi ?!
Je la soulevai pour la prendre sur mes genoux en posant ma tête sur son épaule et enserrant sa taille de mes bras.
Nous pleurâmes pendant un temps qui me parut infini, alternant silence et beaucoup de bruit, puis nos larmes se tarirent, nos yeux se séchèrent.
Nous nous sentions... vides. Quelle sensation étrange.
Sophie se redressa et proposa, sans transition aucune :
— Et si on se dessinait mutuellement ?
— ...Quoi ? Balbutiai-je surpris.
— Tu "éteins" ta raison, en quelque sorte, et tu dessines l'autre comme tu le vois au fond de ton cœur. Ensuite, on se montre les dessins.
— Donc tu veux tenter de.... me dessiner ? Demandai-je en pouffant de rire.
— Non, mon niveau est tellement inférieur au tien qu'on ne verrait rien... Répondit-elle en rougissant. Je vais faire la même technique que quand j'inscris un souvenir dans mon journal mémoriel, mais sur une scène qui ne s'est jamais passée.
— Alors..... C'est parti ?
— Attends ! Il faut que nous soyons dans des pièces différentes ! Je vais dans ma chambre, du moins celle que j'occuperai ce soir. Et d'ailleurs, rajouta-t-elle en partant, c'est le fond de ton cœur qui parle, pas ton cerveau ! À dans.... disons deux heures!
Et elle disparut, me laissant dans un silence stupéfait.
J'imagine que je n'ai pas le choix. Ah, amour, quand tu nous tiens...
[<>] [<>] [<>]
Heya.
Vous vous attendiez à du lourd?
Raté.
Je voulais un moment sokeefe, et souligner le fait que Keefe dessine super bien, j'ai allié les deux, qu'est-ce que tu veux...
Oui, c'est nul.
Vous pouvez me jeter des pierres en commentaire.
A demain mes pommes de terre !
Date de publication : Aucune idée
Date de réécriture : 12/06/2021
Date de réécriture finale : 14/02/2022
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