PDV Sophie

Cela fait maintenant une semaine.

Une semaine qu'elle n'est plus là.

Une semaine qu'elle nous a abandonnés.

Une semaine que je regarde les nuages dans l'espoir qu'elle en descende et qu'elle me dise que tout ça n'était qu'une vaste blague.

Une semaine que je refoule mes larmes comme tous les autres. Parce qu'on le sait. Elle est partie.

Une semaine que nous sommes tous inconsolables, à repenser à nos moments vécus ensembles. Si courts. Éphémères. Et pourtant si pleins de vie. Sa joie nous faisait sourire, que cela soit une façade ou pas. Ses bêtises qu'elle faisait pour nous remonter le moral, parfois. Ses insultes marmonnées aux élèves qui se tenaient mal dans les couloirs de l'académie ou qui ne la saluaient pas. Ou au contraire, ceux qui se moquaient d'elle et de sa bêtise de rester dans le néant avec son soi-disant pouvoir inimitable.

Son caractère vulgaire et pourtant si respectueux envers les aînés et l'environnement, les créations de la nature. Ce grain de malpolitesse qui nous manque parfois, et que Keefe aimait à arborer avant sa venue et pendant.

Keefe est justement atteint en particulier, dévasté de son départ. Et j'ai bien de la peine à le consoler, parce que moi-même je n'ai personne pour le faire. Il est resté en ermite dans sa chambre depuis ce jour fatidique, refusant les visites de tout le monde sauf moi.

En temps normal, je me serais sentie privilégiée de cette affection particulière, mais je n'y arrive pas en pensant que c'est parce qu'on ne la verra plus. On ne la verra plus en train d'essayer de ne pas trop montrer son émerveillement devant tel ou tel endroit, on ne la verra plus nous dire de finir nos assiettes au réfectoire en passant près de notre table pour donner une tape à ceux qui ne se tiennent pas droit, on ne la verra plus nous dire de profiter de la vie avant qu'on ne nous la prenne parce que la vie est sans pitié, on ne la verra plus tenter d'embêter Forkle quand elle venait à le croiser chez untel, on ne la verra plus regarder dans le vide pendant des heures, complètement absente, on ne la verra plus rejeter ses cheveux en arrière d'un mouvement vif du menton, on ne la verra plus... vivre.

C'est si juste dans sa situation à elle.... Et si injuste à la fois...

Mais le pire, je pense bien que c'est le comportement de Keefe, régulièrement. Il la cherche encore près de lui, dit la sentir, proche, et qu'elle veut lui dire quelque chose.

Mais elle est partie, et je sais qu'il le sait, même s'il semble vouloir se raccrocher à l'espoir infime qu'elle peut être encore là.

Je pense ne plus jamais entendre sa voix claire qui devient rocailleuse quand on l'énerve un tant soit peu, et son rire franc qui peut paraître peu élégant mais si réel...

Il faut qu'on surpasse cette épreuve du vide, je ne sais plus comment on faisait pour vivre sans elle. Elle nous a éclairés, elle nous a quittés. Je suis égoïste de penser qu'elle n'aurait pas dû partir, je le sais bien, elle le voulait plus que tout, mais qu'est-ce que ça fait.. mal...

Je la connaissais peu, maintenant que j'y pense, mais assez pour savoir qu'elle nous dirait de ne pas penser à ça, de passer outre parce que "moi, je ne suis qu'une passe de votre vie, si je me casse, faites comme si je n'étais pas venue et ignorez-moi. Je ne vois pas l'intérêt de s'apitoyer sur un sort aussi futile que le mien."

Elle nous l'a dit, je pensais qu'elle le disait pour plaisanter... comme tous les autres, nous qui riions en la charriant de dire des choses aussi tristes. Il faut croire que ce qu'elle disait était vrai, finalement.

Je n'en vaux pas la peine, c'est Keefe qui me l'a dit plusieurs fois, mais ils se trompent tous les deux. Je vous aime et je refuse que des êtres aussi géniaux que vous vous dénigriiez ainsi ! Je vous soutiens dans vos décisions, même les pires, ce n'est pas pour rien !

Je ne suis plus sûre de rien maintenant qu'elle a rejoint sa famille et ce Kyo, son petit-ami...

Elle doit être si heureuse maintenant...

Aujourd'hui, c'est sa plantation. Je mets une longue robe à perles avec des talons et une coiffure sophistiquée pour l'occasion. J'aurai sûrement des ampoules à la fin de la cérémonie et je me serai pris une bonne dizaine d'arbres, mais tant pis. Elle en vaut la peine. Par contre, je ne prends pas de maquillage. Elle n'aimait pas qu'on se cache derrière ce genre d'artifices, Biana à d'ailleurs arrêté d'en mettre pour lui faire plaisir et c'est vrai que je ne pensais pas qu'on puisse être plus belle et resplendissante qu'elle ne l'était déjà.

Je sens que c'est tout l'être de Paolina qui va me manquer, ses yeux en particulier. Ils étaient bleu tempête, qui s'éclaircissait au soleil et devenait gris foncé à l'ombre. La joie les piquetait de vert et la tristesse qui la submergeait parfois les teintait d'un délicat bleu marine. Toutes ces couleurs à l'image de son caractère explosif mais sombre.

Son physique pur, simple, mais si beau... Elle m'a parue être humaine quand je l'ai vue pour la première fois dans le néant, flottant au milieu de des objets. Mais en la connaissant mieux, en voyant ses froncements de sourcils, ses mimiques, on ne pouvait que la trouver magnifique.

Mieux, on la trouvait merveilleuse...

J'enfouis mes pensées au fond de mon esprit et agraffe ma cape de velours vert ornée du blason des Ruewen. Je descends ensuite voir mes parents adoptifs, puis nous sautons au bois des errants, muets, ce silence éloquant et douloureux me serrant la gorge.

C'est bientôt terminé...

Ce bois, on y est allé trop de fois, je vais finir par le connaître par cœur, même si ce ne serait pas plus mal étant donné le talent que j'ai pour m'y perdre...

En arrivant, nous fûmes surpris par la quantité de gens présents. Presque autant qu'aux funérailles du conseiller Kenric. Nous nous dirigeâmes vers notre place, entourée de petites cordes violettes, comme toutes les cordes délimitant les espaces réservés. C'était sa couleur préférée il me semble... Même si elle s'évertuait à cacher tout ce qui la rattachait de près ou de loin à son passé, allant jusqu'à brider son écriture.

Je cherchai Keefe des yeux sans le trouver, me demandant s'il avait eu la force de se lever pour assister à ses funérailles.

Enfin, je le vis. Il était posté près des Conseillers, discutant doucement avec la Conseillère Liora, le bout du nez légèrement rougi.

Qu'est-ce qu'il fait là ?

Le conseiller Emery prit la parole, faisant taire les quelques pleurs et les paroles une poignée de secondes.

— Chers habitants des Cités Perdues, bonjour à vous en ce triste jour. Nous nous retrouvons aujourd'hui pour célébrer les funérailles de mademoiselle Paolina Sencen, décédée le...

Sencen ? Paolina Sencen ? Mais non, son nom de famille...

Elle ne nous l'a jamais dit, tout compte fait. Le Conseiller Emery, en terminant son discours que je n'avais absolument pas écouté, me fit redescendre en désignant mon compagnon du revers de la main.

— ... nous allons donc laisser la parole au seul membre de sa famille qu'elle chérissait, Keefe Sencen.

— Bonjour bonjour, chers habitants des Cités perdues, claironna Keefe avec la voix du Conseiller, arrachant quelques sourires à la foule. Plus sérieusement, reprit-il avec sa vraie voix, je vous remercie d'être venus. Certains semblent étonnés que Paolina soit de ma famille, c'est d'ailleurs mon arrière-arrière-et j'en passe-grand-tante. Maintenant, vu que je n'ai rien d'autre à dire et que je ne vais pas tarder à fondre en larmes, je vais planter l'arbre... Conseillers, puis-je ?

Ils lui donnèrent sa graine, entourée d'un long cheveux blond cuivré resplendissant au soleil paresseux traversant le feuillage des Errants. Keefe fit de son mieux pour ne pas laisser voir ses émotions, mais il n'était pas aussi doué que Paolina et je vis sa lèvre trembler alors qu'il se mordait furieusement l'intérieur de la joue. Il enterra le petit germe, l'arrosa avec une fiole lilas, puis brisa le flacon entre ses mains, qu'il saupoudra sur la terre fraîchement retournée telles des milliers de paillettes argentées.

Un tronc fin apparut presque aussitôt, et poussa très rapidement. Son tronc doré était entouré de branches tombantes, à l'image d'un saule pleureur, ponctuées de feuilles bleues oscillant entre le bleu de ses yeux et la couleur qu'ils adoptaient quand elle pensait à autre chose, absente de nos conversations.

Mais le plus étonnant, c'étaient les petites baies sur ses branches. Elles étaient à la fois bleu glacier et bleu nuit, les deux couleurs séparées par une frontière mouvante.

Je la reconnus immédiatement en cet arbre. Son corps était caché par sa chevelure, protégé de ce monde qui la persécutait. Ses bras frêles, comme ces petites branches, tentaient de s'effacer pour laisser le monde vivre sans elle. Mais ces baies... je ne vois pas à quoi correspondent les deux couleurs.

Keefe, à l'instar de la foule, fut secoué de sanglots, et se pencha pour murmurer quelques mots au végétal élégant, qui sembla se redresser légèrement, mais je crois bien avoir au une hallucination tellement c'était léger.

Dans la file où l'on donnait nos condoléances, il me murmura à mon passage avec mes parents, essuyant le contour de ses yeux :

— Rendez-vous demain chez moi à dix heures, Sophie. N'essaie pas d'être en retard.

[<>] [<>] [<>]

Heya.

Ce chapitre était bien ? Je pense avoir plutôt bien décrit l'errant de Paolina, mais je n'ai aucun avis extérieur alors...

Sinon, vos retours par rapport au chapitres précédents m'ont fait vraiment plaisir, vous pouvez pas savoir comment !

Je vous remercie d'autant plus de bien vouloir continuer à lire, parce qu'on va pas se le cacher, mais Paolina était un peu le personnage principal...

Et je ne vous l'ai jamais demandé, mais....

Elle vous plaît la couverture ?

(oui, c'est totalement con comme question, mais je veux savoir !)

A demain mes pommes de terre !

Date de la NDA : Aux alentours du 20/08/2020.

Oui, j'ai encore oublié de regarder...

Date de réécriture : j'ai envie de dire 06/06/2021.

On ne se change pas.

Date de réécriture finale : 15/01/2021

Cette fois je sais ^^