Chapitre 51
PDV Keefe
Le départ de ma mère n'avait procuré aucune émotion à Paolina, qui a gardé une expression impassible. Elle m'a simplement tendu les bras, et je m'y suis réfugié avec gratitude, épuisé des derniers jours et des récentes affaires de ma mère. Une trahison de plus, on peut se dire qu'on ne les compte plus, mais cela fait toujours aussi mal, au fond. Après tout ce temps, l'enfant innocent dans ma tête espère toujours que ma génitrice reviendra comme... elle n'a jamais été, gentille et aimante comme une vraie mère. J'essaye de ne pas me bercer d'illusion, mais c'est difficile.
Pour tout dire, Paolina est comme une seconde mère pour moi, ou première, cela dépend du point de vue. À l'heure actuelle, je suis littéralement allongé sur le canapé, le haut de mon corps avachi sur le sien. Je sais que je ne lui fais pas mal, elle n'a visiblement pas réhaussé ses barrières mentales, toutes ses émotions sont à peu près lisibles pour moi, dans toute mon expertise de la matière, car il est vrai que ses sentiments sont toujours composés de mélanges particuliers. Elle ressent ce chaos habituel de lassitude et de chagrin, mais une légère couche d'angoisse et de joie s'est rajoutée au lot. Plus d'angoisse que de joie, mais la différence est ténue.
Au bout d'un temps indéterminé, elle cessa de me serrer contre elle, me laissant simplement tomber contre son plastron, à défaut de poitrine. Je ne fis pas de remarque, pensant qu'elle dormait simplement, ou que j'étais lourd et qu'elle en avait marre. Mais une dose d'angoisse venait de se rajouter, et ses émotions disparurent aussitôt à ma vie, cachées par ses barrières mentales qu'elle venait de remonter.
Si elle dort, il me semble qu'elle ne peut pas remonter ses barrières.
En levant les yeux vers elle, je vis qu'elle regardait derrière moi, où se trouvait la porte. Ou plutôt : elle fixait la porte avec autant de haine que possible, une veine battant à sa machoire serrée à lui faire mal. Je me retournai vivement, apercevant de ce fait ma mère, Vespera et Ruy dans l'embrasure.
Dans le lot, au moins deux veulent me tuer, ma mère est dans le flou pour le moment. J'espère qu'elle l'est toujours du moins, si elle a arrêté son choix je ne suis pas sûr de pouvoir vivre une longue vie heureuse avec Sophie...
Paolina claqua des doigts et un champ de force apparut autour de nous, tandis que Ruy gémit en portant sa main à son cœur. Son visage n'était toujours pas visible, mais la grimace était simple à deviner.
Elle avait dû lui voler sa psionipathie sans aucun scrupule, la connaissant.
Vespera prit la parole, mielleuse.
— Alors, on se terre derrière son petit champ de force ?
— C'est bien à vous de dire ça, la provoquai-je, toujours dans les bras de ma mentore.
Son sourire se fana mais elle le retrouva bien vite, répugnant tant il sonnait faux.
— Combien de temps va-t-elle tenir à ton avis ? Demanda l'ancienne à ma chère maman. Je ne dirais pas plus de dix minutes. Surtout que son petit chien est bien dans ses bras, difficile de faire plus productif.
— Pourquoi dites-vous que Paolina n'est pas apte à tenir ? Interrogeai-je en ignorant la pique.
— Regarde un peu ta coéquipière Keefe, enfin !
Je me retournai et compris aussitôt. Comme je l'avais vu plus tôt, Paolina était amaigrie, elle ne devait pas avoir mangé depuis plusieurs jours, au moins deux. Or qui dit pas de nourriture dit pas de force. De plus, notre étreinte n'avait pas été longue, ou pas assez pour qu'elle puisse s'assoupir tranquillement. En y repensant, a-t-elle dormi durant sa séquestration ici...?
Probablement pas. En étant ni alimentée, ni reposée durant deux jours, sachant qu'elle n'était pas bien grosse en arrivant ici... Peut-elle se tenir debout ? Elle ne bouge pas en tout cas. Et est bien pâle. Tout le sang perdu ne doit pas avoir aidé.
Je lui secouai doucement l'épaule, lui arrachant une grimace.
— Paolina ?
— Mh ? Gémit-elle, les yeux fermés.
— Lâche le champ de force, on doit se rendre. Il ne faut pas gaspiller ton énergie inutilement.
— Non, je tiendrai. Je ne veux pas qu'ils te prennent, rajouta-t-elle plus bas en levant légèrement les paupières, m'exposant à son regard sans appel.
— Mais pourquoi ?
Elle hésita une seconde, détournant les yeux avant de les refermer.
— C'est ainsi.
— Non, dis-moi, insistai-je en me redressant pour me placer plus au-dessus d'elle, la couvrant de mon ombre.
Elle soupira longuement, toussa dans son coude, puis lâcha :
— Moi, je mourrai de toute façon, mais toi, tu as encore une chance...
— Ne dis pas de bêtises ! Fis-je en levant les yeux au plafond. On va sortir d'ici tous les deux et...
— Non, on ne s'en sortira pas tous les deux. Arrête de te voiler la face Keefe, murmura-t-elle le plus calmement que possible. Je suis blessée dans tous les sens du terme, j'ai perdu la moitié de mon sang, n'ai pas mangé depuis trois jours, et j'ai eu une vision avant-hier.
Mon regard perplexe lui fit se mordre la lèvre, et je crois ne l'avoir jamais vue aussi vulnérable, papillonant des paupières pour ne pas lâcher de larmes, la pointe de son nez se teintant de rose.
— Soit je meurs, soit on meurt. Mais je veux que tu vives, chuchote-t-elle la gorge nouée. L'équation n'est pas compliquée.
Je sentis mes yeux se brouiller devant une attitude si défaitiste. La Paolina battante, courageuse et osant tout et n'importe quoi était bien loin.
— Pourquoi dois-tu y rester obligatoirement ? Lui murmurai-je en essayant de refouler mes larmes montantes, action bien difficile dans cette situation.
Elle ne répondit pas, réadoptant une figure bravache. Ses yeux ne rougissaient pas avec les larmes qui étaient montées, atout bien utile dans ce genre de moments.
— Pff, vous allez attendre longtemps les super-vilains au rabais ? Vous n'avez pas envie d'aller disséquer une glande de Spiderman ou...
Les elfes ne comprirent pas les mots qu'elle utilisa, moi y compris, mais ils sortirent de la pièce en chuchotant entre eux. Sûrement tentaient-ils de trouver un moyen de retirer le champ de force de Ruy, qui avait le dos courbé en partant semblant aussi triste que les murs de béton autour de nous.
Le contrecoup de l'absence de talent...
Mes observations envers les ''super-vilains au rabais'' furent arrêtées par un afflux soudain d'énergie qui ne venait pas de moi.
— Qu'est-ce que... M'étonnai-je en retournant la tête vivement, engendrant un mal de crâne conséquent qui s'aggrava en voyant le panneau semi-opaque au-dessus de la tête de ma mentore.
— Je t'ai transmis le don de la vision pour que tu puisse m'aider, me souffla Paolina alors que le champ de force faiblissait autour de nous. Dis-moi quel nombre tu vois dans la rubrique santé...
Mais ce talent est incroyable ! Il y a des dizaines de cases différentes, toutes fermées mis à part une. Si je n'avais pas aussi mal à la tête, je forcerais pour pouvoir en ouvrir certaines...
Dommage, j'aurais aimé lire sa rubrique "amours"...
— Il y a un '10'. Qu'est-ce que ça veut dire ?
Elle ne me répondit pas et sourit dans le vide.
— Qu'est-ce que ça veut dire Paolina ?
— Plus le nombre est proche de zéro, plus la vie fuit le corps. Si le nombre est de 10, c'est qu'il me reste moins d'une journée à vivre...
— Quoi ?
Je murmurai ce tout petit mot, consterné. Ce simple mot, si mineur à côté de l'ouragan qui passait dans mon cerveau à l'entente de cette horrible nouvelle.
Pourquoi ?
— J'ai besoin de toi... Murmurai-je en lui secouant doucement les épaules, comme si elle pouvait y faire quelque chose.
Ses si beaux yeux évitaient les miens avec soin, et j'eus mal au cœur en songeant que bientôt, je ne les verrai plus se plisser quand elle rit, ou même refouler des larmes involontaires quand elle pense être seule.
Parce qu'elle n'aura plus la possibilité de pleurer ou de rire avec nous pour des bêtises.
Une voix un peu trop familière à mon goût me ramena à la réalité.
— Oh, le champ de force tombe... Chantonna ma mère en passant sa tête par l'embrasure de la porte.
— Même pas vrai, répliqua insolamment Paolina.
Mais si.
Le champ de force tremblota une dernière fois autour de nous et disparut. Le temps semblait s'être arrêté, un véritable duel de regard se déroulant entre Paolina et Vespera. Les deux anciennes face à face, bien que Paolina soit bien plus âgée que Vespera.
Ruy surgit par la porte et sauta sur Paolina en m'envoyant rouler par terre, coupant le contact visuel entre sa supérieure et elle. Il plaqua sa victime au sol et la menotta avec de fines cordes, à l'air pourtant bien solides. Elle n'avait même plus la force de se défendre, marionnette muette et sans défense. Seuls ses yeux ennuyés étaient encore ouverts.
Ennuyés ?
Me mère tenta elle aussi de me plaquer au sol, mais j'étais plus rapide qu'elle. Nous commençâmes à nous battre, ou plutôt elle me donnait des coups et je me défendais comme je le pouvais, ripostant de temps à autres. Vespera et Ruy nous regardaient et Paolina... Je ne sais pas. Je n'avais pas le temps de regarder par terre pour savoir si elle était encore consciente. Sans doute que oui, la lecture me permettait de voir qu'elle était éveillée. C'était la seule chose que j'étais capable de voir sans trop forcer sur ses défenses, encore plus hautes qu'avant.
Au bout d'un moment, Vespera vint en aide à ma mère en utilisant sa télékinésie pour m'élever dans les airs et m'accrocher au lustre.
Bien solidement, pour que je ne puisse pas me détacher moi-même.
Elle prit la parole.
— Bien, maintenant Ruy, tu vas accrocher la gamine à la croix de fer...
C'est ce qu'il fit, sortant ladite croix de fer de la pénombre. C'était un x pour disposer Paolina en étoile de mer, position similaire à celle qu'elle avait sur le mur auparavant. Pour "égayer" l'objet, de petites plates-formes bien peu larges étaient sous la pointe des pieds de la victime pour la faire se tenir debout, et si elle se laissait tomber, les menottes remplies de jolis pics acérées entamaient la fine peau de ses poignets.
Paolina ne résista pas et tomba, sans aucune force pour se tenir en demi-pointes. Elle sentit les pics, évidemment, mais ne tint pas cinq secondes sur les plates-formes qu'elle retombait déjà. Du sang se mit à goutter lentement sur le sol. Pour m'épargner cette vue, je me tournai tant bien que mal vers les trois personnes en face de moi.
— Dites-moi, lançai-je narquois, c'est vous qui l'avez blessée ? Non parce que vous n'êtes pas du genre à vous salir les mains pour si peu !
Ils se regardèrent gênés.
— Si, lâcha enfin Ruy, on l'a fait nous même. Mais la culpabilité ne nous terrassera pas, car c'était quelqu'un d'autre qui nous manipulait.
— Hypnotiseur ? Hasardai-je.
— Tout à fait. Changeons de sujet si tu veux bien, dit Vespera en me détachant du lustre, mais en me maintenant par télékinésie au-dessus du sol.
Faut pas rêver non plus.
Ruy usa de la sienne pour transporter la croix de fer, sur laquelle Paolina n'opposa aucune résistance, ballotant comme du linge au vent. Ma mère suivit le cortège. Le bruit des pas de nos ravisseurs me faisait lever régulièrement les yeux vers Paolina, qui semblait plongée dans ses pensées, réfléchissant sans se soucier de ce qu'il lui arrivait ou ce qu'elle allait subir.
Après tout, il y a fort à parier qu'elle le sait déjà.
Après un moment de marche dans des couloirs moches et tout cassés, — les humains n'ont aucun goût ! — nous arrivâmes dans une sorte de très grand hangar avec tout plein de pierres partout et des trous béants dans les murs.
Vespera commença à parler... dans le vide.
— Bonjour Silal. Je te présente le fils de Gisela, bien que tu l'aies déjà rencontré...
Dans un premier temps, je ne vis rien. Mais en plissant les yeux, je pus apercevoir en contre-jour...
— Fitz ? Tu es éclipseur maintenant ?
Il ricana. Mais ce n'était pas la voix de mon meilleur ami alité au centre de soins.
— Je ne suis pas ton ami, sale garnement ! Je suis Silal Vacker, un de ses plus lointains ancêtres. Et je suis aussi l'ennemi juré de la plus grosse menteuse que les Cités Perdues aient porté, ici présente, finit-il en faisant une courbette.
— Alors c'est toi ! M'emportai-je en me défaisant inconsciemment de l'emprise de Vespera pour lui sauter dessus.
Paolina n'avait de cesse de se crisper devant Fitz, chose extrêmement compréhensible devant la ressemblance des deux individus. Ma rage décupla en songeant que c'était lui qui avait dû contribuer à sa torture, mais je le traversai purement et simplement, me rattrapant de justesse avant de tomber au sol.
Il se remit à ricaner ostensiblement, sachant que cela me révoltait.
— Alors c'est ça, le fils de Gisela ? Je suis déçu... Tu ne dois avoir hérité ni de la prestance ni de l'intelligence de ta mère, jeune homme.
Je serrai les poings, rattrapé par la télékinésie de Vespera. Je tentai d'imaginer diverses plans dans ma tête pour me sortir de là, mais aucun n'aboutissait à une belle fin.
Je n'ai pas assez de temps.
Le dénommé Silal se rapprocha de moi, mielleux comme mon père quand il sait qu'il m'énerve et qu'il est supérieur.
— Tu sais, c'est bien peu poli de sauter sur ses supérieurs de la sorte...
Je grognai pour toute réponse, dédaigneux.
— On répond quand je parle, ordonna-t-il en me giflant.
Le contact de sa peau était froid et duveteux comme un nuage de vapeur, mais aussi terriblement dur et solide, comme m'en témoignait ma joue. Étrange mélange qui me perturba, avant de me rappeler que ma joue me brûlait de froid.
Je souris narquoisement sans ouvrir la bouche, et j'entendis vaguement Paolina gémir mon nom pour me retenir de là où elle était, avant qu'il ne me gifle encore une fois, beaucoup plus fort et sur l'autre joue.
Ma tête se tourna contre mon gré sous l'impact et Vespera n'était pas en reste, contreignant mon corps à se tordre et se compresser sur lui-même. J'entendis — et sentis — ma colonne vertébrale craquer, gémissant involontairement. Silal sourit, satisfait d'avoir obtenu une "réponse".
— Fort bien, jeune homme. Maintenant, étant donné que me sauter dessus était une attaque, aussi piètre et décevante soit-elle, je me dois de t'attaquer à mon tour, pour rééquilibrer les rôles. Je suis sûr que tu es du même avis.
Il ramassa les pierres, non, les rochers autour de nous par télékinésie comme s'il s'agissait de papier. J'entendis un "NON !" une milliseconde avant qu'il ne me les envoie à toute vitesse dans la figure. Une voix féminine, qui habitait tous mes rêves depuis des années.
Sophie ?
{} {} {}
PDV Sophie
Nous arrivâmes dans un entrepôt immense, abandonné et à moitié démoli. Une vieille enseigne pendait sur un mur non loin de nous, mais la poussière et la rouille l'avaient rendue illisible. Après que les autres aient rapidement convenu d'un plan, sous les empressement de Linh et moi-même, nous nous mîmes à marcher dans une direction au hasard. Enfin, pas si au hasard que ça, car Biana sentait une présence fantomatique vers la gauche de notre point de départ. Le bâtiment, dont la simple largeur était difficile à mesurer, était doucement éclairé de soleil à l'extérieur, ses rayons passant par les vitres sales et la poussière tombante. La chaleur était étouffante, l'horripilantr odeur de cuir de voiture étant rehaussée avec la température.
Des éclats de voix se rapprochant au fur et à mesure de notre marche, nous nous cachâmes derrière les rochers qui jonchaient le sol tout en continuant d'avancer. Au moment où l'on arrivait au niveau des ravisseurs, j'entrevis une forme grise semi-opaque lancer les énormes rochers autour de nous sur un elfe maintenu en l'air dans un position étrange.
Mes camarades se couchèrent pour éviter de se prendre les rochers dans la figure, mais je restai debout en criant son nom, désespérée.
Je me rendis compte ensuite que Paolina aussi avait crié, mais que c'était vers moi que le regard de glace s'était tourné, désappointé.
PDV Paolina
Non.
Non.
Non.
Il ne doit pas mourir. C'est écrit. Et ma faible tentative d'attirer son attention pour qu'il se protège l'était aussi.
Rassemblant péniblement mes maigres forces restantes, je créai un champ de force devant Coco, à défaut de pouvoir en faire un grand qui le protégerait entièrement. Les pierres le heurtèrent et explosèrent dessus, les morceaux se propulsant puissance mille dans toutes les directions. Y compris la mienne.
Je ne pouvais pas les éviter, solidement attachée à cette foutue croix.
Quelle ironie.
Je me pris trois des plus gros éclats.
Un dans la jambe.
Aïe.
Un dans le bras.
Pas grave, c'est le droit.
Un dans le ventre.
Putain là j'ai mal.
Mes os se brisèrent dans un long et horrible craquement, suivi d'une douleur écrasante, brûlante et aiguillée à la fois. À moins que ce ne soit parce que Ruy avait lâché la croix, un morceau de caillou figé dans le torse. Dans les deux cas, je finis à terre dans un bain de sang, recouverte de la croix de fer qui était trop solide pour se briser, les os de mon bras droit et ma jambe gauche réduits en bouillie de l'intérieur posés sur le sol. Je ne voyais ni ne sentais mon ventre depuis l'impact, mais tout le sang de mon corps en sortait. Mon cerveau devait occulter la douleur par surcharge, sans doute.
Silal, Sophie et Coco m'ont vue tomber. Le bruit de fer se fracassant sur le sol en béton n'est pas très discret non plus. Tous les autres se battent, ils auront bientôt fini je pense. Si comme je le pense les trois Invisibles présents vont sauter, il me reste peu de temps avant d'être secourue.
Ça ne peut pas être aussi simple. Je ne peux pas avoir triché à mon jeu pour une fin comme ça.
Sophie me dégagea de la croix métallique par la force de sa pensée puis me mit dans une position à peu près confortable, la tête sur ses genoux. Elle retira aussi les pierres de mon bras et ma jambe, mais pas celle sur mon ventre. Le fait de bouger les rochers réveilla la sensation d'être complètement déchirée en fanfare, ainsi que mes os qui ne portaient plus rien des parties principales de mon corps. L'un des endroits les plus douloureux était sans aucun doute mon épaule droite, écrabouillée dans ma chute.
— Paolina... Tu es dans un état épouvantable... Murmura-t-elle, son regard parcourant mon horrible corps charcuté et troué de partout.
— T'en fais pas Sophie, la rassurai-je d'une voix rauque, je devais partir aujourd'hui de toute façon...
— Mais tu dois affreusement souffrir !
— Je ne dis pas le contraire, fais-je avec une tentative de rire, mais la pierre me comprime les côtes et je ne parviens qu'à faire un soupir fatigué.
-Il faut t'enlever ces pierres, articula Coco en arrivant, se pinçant les lèvres pour ne pas trop regarder mes plaies et blessures en tous genres.
— Non, sauf si tu veux que je meure... Ça va, je rigole, assurai-je devant sa mine horrifiée. Si tu enlèves ce caillou, mon sang, ou ce qu'il en reste, va couler et je me viderai comme une outre percée. Là, je meurs doucement, l'inondation est à peu près contenue.
Il détourne le regard. Ce n'est pas la première fois qu'il me voit dans un été aussi critique, mais c'est la première fois que je ne vais absolument rien faire pour m'en tirer.
— Mais, tu ne peux pas prendre la vie de... je ne sais pas... Vespera ? Fit Sophie avec une petite voix.
— Non, je n'ai pas assez d'énergie, mentis-je. Et non Coco, ça ce n'est pas possible, répondis-je à sa pensée en tournant tant bien que mal la tête vers lui. Et descends, je peux pas te voir moi qui suis par terre.
Il s'exécuta en se pincant les lèvres, sous le regard perdu de Sophie.
— Qu'est-ce qui n'est pas possible Paolina ?
— Coco pense que puisque j'ai volé la vie du père de Silal il y a bien longtemps, j'ai une vie de rechange. Mais cette vie, je l'ai perdue en entrant dans le néant. Vous savez bien que le néant est inaccessible pour les êtres vivants, donc j'y ai perdu une vie. Je n'ai pas été épargnée par cet endroit de malheur, vous savez.
— Alors il n'y a aucun moyen de te sauver ? Demanda Linh qui s'était approchée, délaissant le combat qui faisait rage à côté.
Elle verdit légèrement en voyant mes blessures.
— Non Linh, aucun si je n'y suis pas motivée. Et c'est le cas, malheureusement pour vous.
— Pourquoi ? Demanda Biana.
— Pour rejoindre Kyo, mon petit ami qui m'attend depuis son suicide dans la tentative de me rejoindre... Et non, Biana, tu ne t'es pas trompée, j'ai bien connu une défaite amoureuse... m'adressai-je particulièrement à l'éclipseuse, dont les yeux s'illuminèrent instantanément.
— Il est beau ?
— Comme un dieu... C'est une défaite car monsieur Silal ici présent l'a hypnotisé...
— Tu l'as mérité, lança ce dernier quelques mètres plus loin. Tu n'avais pas le droit de tuer mon père !
— Te tu trompes, cher ami... Viens là que je t'explique...
PDV Silal
— M'expliquer quoi ? Que tu es une meurtrière ? Ça va, j'avais compris...
— Tu te trompes...
Qu'elle est belle quand elle a des yeux fatigués comme ça et du sang sur tout son corps... Mais je ne faiblirai pas.
— Non ! Je me souviens parfaitement de ce qui s'est passé ce jour là ! Même enfant, tu étais diabolique !
— Je t'en prie, écoute moi...
— Je n'en ai pas envie, figure toi !
— C'est ce que tu dis, mais pourquoi es-tu resté sur terre si longtemps si ce n'est que pour avoir des réponses ?
— Je...
Zut. La raison de "je suis amoureux de toi" ne marchera évidemment pas.
— Voilà, tu ne sais pas. Viens près de moi et je t'expliquerai pourquoi je l'ai tué.
Pendant un instant, je ne bougeai pas. Mais je vins me placer à côté de cette fille merveilleuse, curieux malgré moi. Elle prit une inspiration sifflante et ferma les yeux avant de parler. Les autres m'adressaient des regards mitigés, pour les rares qui arrivaient ne serait-ce qu'à m'apercevoir. J'avais volontairement augmenté mon opacité pour être visible, mais un mort reste mort...
— J'étais la seule voleuse de notre temps, si tu te souviens bien. Mes parents me laissaient seule jours et nuits pour apprivoiser ce talent qui avait besoin de rigueur et de sérieux. Ils ne venaient me voir que pour me donner à manger. Aucun câlin, aucun bisou, rien. Mais je m'en fichais un peu, à vrai dire.
"Bref.
Personne ne pouvait m'aider à contrôler mon talent, alors je me débrouillais seule, et ce n'était pas franchement brillant.
Un jour, ton père vint me voir pendant mon entraînement dans un chantier délaissé car trop proche des sources d'eau. Il m'a dit que j'avais un grand potentiel, que moi et son fils — en l'occurrence toi — devrions nous unir et faire des enfants plus tard.
Sauf que je ne voulais pas, je n'avais que cinq ans, et un homme que je connaissais à peine venait me voir pour me proposer de faire des enfants avec son fils plus tard... Au secours ! Rit doucement Paolina en secouant la tête.
'' De plus, j'avais manifesté la vision, qui m'avait donnée une peur et une haine intenses envers ta famille et toi en particulier. Quand j'ai dit à ton père que je te haïssais, il le prit très mal.
Il commença à me gifler, en me demandant pourquoi, mais j'étais incapable de répondre car cette peur venait d'une vision, qui agit sur l'inconscient... et puis j'étais réellement tétanisée, parce que si tu te souviens, les traits de ton père avaient la particularité d'être particulièrement sévères...
Quand il a constaté que je ne pourrais pas lui donner de réponse précise, il a sorti un couteau, et a commencé à trancher chaque partie de mon petit corps d'un air complètement indifférent, comme s'il le faisait tous les jours. Et c'est cette pensée qui m'a fait perdre le contrôle, parce qu'au delà de « je suis en danger de mort là-tout-de-suite-maintenant », je pensais uniquement à toutes les autres petites filles qu'il avait pu toucher et martyriser comme il me le faisait à moi, fille oubliée de la société, qui n'avait pas encore fréquenté la garderie parce que mon talent était trop puissant pour être en compagnie d'autres êtres vivants. C'est en pensant à toutes ces choses que j'ai plié à ma peur et le faible contrôle de mes émotions que j'avais est parti en fumée. Je lui ai pris sa vie, oui. C'était sous le coup de la panique, je n'aurais jamais fait ça en temps réel ! J'avais cinq ans bordel !
C'est quand mes plaies se refermaient et qu'il commençait à tituber, en manque d'air, que je pris conscience de ce que je venais de faire. Tu es arrivé peu après.
La scène a laquelle tu as assisté était trompeuse. Et je te demande de me croire", finit-elle en orientant vers moi son regard perçant de bonté et de mélancolie de sa vie passée.
Son regard me transperce de par sa clarté sombre et tourmentée, et je sens ma gorge s'assécher en réalisant tout ce que cela engendre. Je ferme les yeux, incapable de soutenir un regard si pur plus longtemps.
— Comment saurais-je que tu dis la vérité ? Hésitai-je pour me donner du temps. Sous cet angle, mon père serait une ordure !
— Il l'était. Tu ne t'es jamais demandé pourquoi tu avais des sentiments aussi contradictoire envers moi ?
Si. Mais aucune réponse cohérente ne m'est jamais venue.
— Ton père était hypnotiseur, tout comme toi, c'est d'ailleurs pour ça que tu allais à la garderie et pas moi, tu avais un modèle. Avant de venir me voir, il t'a hypnotisé pour te faire croire que tu étais follement amoureux de moi, pour faciliter les choses, parce que si tu te souviens bien, tu étais une vraie girouette ; tu changeais de compagne toutes les deux semaines, passant de l'amour fou à la haine pure. Au moment où ton cher papa décédait, il t'a vu et t'a hypnotisé pour que tu aies une haine immense envers moi, en oubliant d'enlever la précédente hypnose comme il avait l'habitude de le faire. Voilà pourquoi tu m'aimes mais tu ne peux pas t'empêcher de me faire du ma-
Elle s'interrompt dans un "Ah ! ". J'ouvris les yeux et vis un triste spectacle. Gisela l'avait faite venir à elle en la traînant par télékinésie et tentait à présent de bouger la pierre qui reposait sur ses côtes.
— Amenez-moi mon fils et je la relâche pour qu'elle puisse profiter de ses derniers instants !
PDV Sophie
— D'accord !
— Jamais !
Cris respectivement poussés par Keefe et moi. Je me tournai vers lui.
— N'y va pas !
— Mais Paolina est en train de mourir ! Je pourrai toujours me libérer si il le faut !
Silal — si c?est bien son nom — surgit derrière moi et posant sa main gelée sur mon épaule, me donnant l'impression qu'elle tombait par terre.
— Gamine, optimise ton père.
— Pourquoi ?
— Optimise ton père j'ai dit ! Hurla-t-il avant de s'excuser brièvement.
— Mais pourquoi ?
— Il va t'expliquer, mais optimise-le d'abord.
Je mis mon optimisation en marche puis pris la douce main de mon père, qui me sourit.
— Qu'allez-vous faire ? Ce n'est pas dangereux au moins ?
— Ne t'inquiète pas fillette, fit-il doucement en pressant ma main. Je vais tenter d'annuler l'hypnose que son père lui a mise et qu'il puisse partir au royaume des morts.
— Mais et Lady Gisela ?
— Il l'hypnotise pour qu'elle ne puisse plus bouger, jusqu'à ce que je claque des doigts du moins. Ah, il a fini.
C'est parti... Pendant que les autres s'occupaient de Paolina, moi je tenais la main de mon père.... Au bout de plusieurs minutes au bout desquelles j'avais craint de voir Paolina s'en aller sans que je puisse lui parler, la forme floue de Silal fonça droit sur elle, lui murmura quelque chose à l'oreille puis disparut.
Paolina se mit à pleurer.
Je lâchai la main de Grady et foncai sur elle.
— Que t'a-t-il dit ? Pourquoi pleures-tu ?
Elle me sourit parmi ses larmes, les yeux aussi clairs que si elle riait :
— Il m'a dit... qu'il m'enverrait Kyo... je suis.... tellement heureuse...
Elle se tut dans un gémissement. Les soubresauts de sa cage thoracique dûs à ses pleurs avaient fait trembler la piarre qui roula sur le côté, répandant un flot de sang sur le sol poussiéreux.
Ma vue se brouilla devant la marée écarlate. Mais une voix au timbre que j'aime intensément me fit retourner à la réalité.
— Foster, reste avec nous ! Il faut garder Paolina en vie le plus longtemps possible !
— Je... Oui !
— Non. Et tu le sais très bien, Coco... L'interrompit Paolina, la respiration sifflante en tentant de poser sa main sur le torse de Keefe, mais elle retomba sans force.
— Laisse-nous faire ce qu'on peut au moins... Sanglota-t-il, les mains couvertes de sang.
— Tu sais que c'est... impossible... Dit-elle dans un crachat de sang.
Keefe la prit délicatement dans ses bras.
— Je ne veux pas que tu partes... Ta vie a baissé de cinq quand la pierre a roulé...
— Et je suis.... à combien, là ?
Elle murmurait les yeux fermés pour ne pas perdre d'énergie.
— Un...
Ce ne furent plus des sanglots mais un torrent de larmes qui secouait Keefe.
— Lâche-moi Coco... Je dois dire à Biana...
Il laissa passer ma meilleure amie, elle catastrophée et ravagée par les larmes aussi, comme toute notre troupe d'amis.
— Biana... Elle respirait très difficilement. Je resterai un peu.... avec Kyo... mais pas trop.... Approche.
Elle lui souffla quelque chose à l'oreille.
— Attends... Quoi ?
— Tu as très... bien compris.... N'oublie pas. Coco... Sophie... Approchez tous les deux....
Sa respiration était tellement rauque que sa voix claire semblait désincarnée.
Nous approchâmes. Elle voulait visiblement nous dire quelque chose d'important, alors je lui transmis de l'énergie.
— Merci.... Elle respirait un peu mieux. Je ne vous l'ai jamais dit, mais je suis heureuse que vous m'ayez sortie du néant. Je ne voulais pas en sortir, par peur du monde et de ses habitants. Mais vous m'avez fait savoir ce qu'est.... vivre.... et je vous suis...... éternellement.... redevable..... pour ça..... je suis heureuse maintenant...... Adieu...
Ses yeux se firent vitreux, elle s'immobilisa, cligna une dernière fois des paupières, et souffla :
-À jamais..... Re... de...vable....
Une ultime larme coula sur sa pommette, un dernier hoquet secoua sa cage thoracique, elle caressa la joue de Keefe une dernière fois, et elle poussa son dernier souffle, fermant les yeux à jamais.
Sa tête roula doucement sur le bras de Keefe, maculant sa manche de sang et de cheveux dorés éparses, et son bras retomba. Celui-ci écarquilla les yeux, réalisant qu'elle ne respirait plus.
— Paolina ? L'appela-t-il. Réponds-moi..... S'i-i-i-il te plaît..... Ne me laiii-iiiiiii-iise pas......
Mais elle ne nous répondra jamais plus. Car elle est enfin partie de ce monde à qui elle appartenait contre son gré depuis bien trop longtemps.
Son corps sans vie était pâle, maculé de sang et de blessures, un contraste saisissant de par sa splendeur morbide. Un large trou ornait son côté droit, ses yeux étaient fermés comme pour un long sommeil. Je me risquai à effleurer son épaule, hébétée.
Froide. Glacée.
Morte.
Mais c'est grâce à cela que sa tristesse si significative auprès des empathe les plus sensibles l'a quittée au moment de son dernier souffle.
[<>] [<>] [<>]
Triste ? Oui...
Révélations ? Oui...
Record de nombre de mots dépassé ? Oui...
Fin du livre ? Évidemment que non, vous croyez quoi ?
Plus sérieusement, j'ai fait 2740 mots, plus grand chapitre que j'ai écrit. Et cette fin est très triste, oui... En commentaire, mettez-moi ceux qui ont pleuré.
N'ayez pas honte.
Et je sais que beaucoup seront triste de ne plus voir Paolina, mais n'arrêtez pas de lire pour autant, ça continue encore un peu !
(j'espère juste avoir fini le livre pour la rentrée...)
A demain pour de vrai mes pommes de terre !
Ps: j'ai réuni 4 chapitre et ça m'a duré 3h...
Date de la NDA : J'ai oublié oupsi
Pour une grande occasion, me revoilà.
Ce chapitre est triste, il réunit toutes les étapes de la mort de notre chère Paolina... J'ai pleuré quand je l'ai relu pour la première fois, mais bien que je trouve l'effet renforcé aujourd'hui,— j'écris mieux oui oui —, je n'ai pas pleuré.
Mais reconnaissez que c'est pas trop mal écrit quand même.
Allez.
Svp.
Bref, ce chapitre fait maintenant 4862 mots, moins une centaine pour les NDA, comptez vous-même. 😂
A bientôt pour la suite, Chères pommes de terre.
Date de réécriture : 02/06/2021
Une update a chaque passage n'est-ce pas ?
Eh bien... 5532 mots.
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