19.Ro
Écrit par Potato_0607 ❤️
PDV RO
En ce moment, je vois bien que Keefe n'est pas dans son assiette. Je dis bien Keefe, et pas Lord Grassecoiffe, parce qu'à chaque fois que je l'appelle de cette manière, il perd le peu de sourire qu'il a et part s'isoler dans la chambre de Jolie. D'ailleurs, c'est maintenant là qu'il dort, et ça ne gêne personne, parce qu'il a pris l'habitude d'être mutique ou insupportable avec tout le monde, depuis quelques jours.
Ça fait une semaine qu'on est là, et je vois bien que depuis qu'il s'est mis à réellement éviter Sophie, plus rien ne va nulle part. Tout le monde se dispute tout le temps, et les seuls moments où il n'y a pas de comptes à régler, c'est quand ils sont en apprentissage de talents, ou de compétences, ou que sais-je, puisque Keefe part s'isoler quelque part et laisse les autres tranquille.
Parce qu'en effet, ce n'est pas pour rien qu'il agace tout le monde ; même s'il ne dit jamais rien, son regard est scrutateur et fixe ses camarades, tantôt sans expression, tantôt moqueur ou méprisant. Alors quand il s'en va, on sent tout de suite que l'ambiance va bien mieux.
Et les rares fois où Keefe daigne participer à une activité, il boucle l'épreuve si rapidement qu'on se demande encore pourquoi on l'a sollicité. Il ne fait que rendre les autres jaloux et rend l'ambiance encore plus tendue dans la maison.
Il me semble avoir suivi que les filles -- la transparente et la fille d'eau -- ont investigué auprès de Fitz pour avoir des informations sur son meilleur ami, mais sans grand succès. Ça a d'ailleurs été une autre source de dispute, et depuis le groupe des filles boude celui des garçons.
Mais attention, ce n'est pas tout ! Quand Mister Frangette est arrivé, il n'a pas tout de suite amené Elerinna avec lui, pour la simple et bonne raison qu'elle était retenue en détention par les conseillers à paillettes en attendant un procès ayant pour objet de se faire gracier pour ses crimes, mais elle arrive dans quelques jours, et dès que Frangette a annoncé la nouvelle à table, Keefe a fortement grimacé, et insulté Elerinna à plus de reprises que je n'ai jamais entendu de vulgarités aux cités pailletées.
Moi j'ai trouvé ça marrant, mais tout le monde s'est immédiatement trouvé un camp, entre celui de Keefe qui ne voulait pas accueillir Elerinna, celui de Tam qui voulait qu'elle vienne pour les aider, et celui de Sophie, qui ne voulait que la paix dans le monde -- moi je n'ai pas participé, je les ai même trouvés un peu faciles à emmener sur le terrain de la confrontation, eux qui sont censés être suprêmement intelligents prout-prout.
Mais nous en sommes donc là. Keefe ne voit plus personne, tout le monde se fait la gueule, les cours n'occupent les jeunes que la moitié de la journée et ils se retrouvent à s'ennuyer et se disputer à chaque fois que les adultes ont le dos tourné. Le pire, c'est qu'on dirait que quand Keefe est dans la pièce, avec tous ces gens qu'il semble détester en train de se crier dessus, il a l'air de s'amuser follement.
Je dois dire que sur ce point, je ne le reconnais pas du tout.
Mais lorsqu'il m'a le plus surprise, c'est quand, lors du cours de compétences avec l'elfe pote de mon père, alors qu'il étudiaient la technique d'implosion de fruits innocents, puis de cailloux, puis de rochers, Keefe s'est dès le début mis face au rocher le plus gros -- il faisait tout de même trois fois sa taille aussi bien en hauteur qu'en largeur -- et l'a fait exploser en une respiration, puis est parti s'asseoir pour continuer à observer les autres, comme à son habitude.
Ce qui est bizarre n'est pas qu'il ait réussi, parce qu'après tout les autres ont fait la même chose une demi-heure après, mais qu'il ne s'en soit pas vanté. Il l'aurait forcément fait, s'il avait été lui-même.
C'est ainsi qu'avec tous des éléments combinés je pose mon hypothèse : un esprit frappeur ou un elfe a emprunté le corps de mon protégé et nous roule dans la farine depuis quasiment deux semaines. Et c'est pourquoi je suis actuellement en direction de sa chambre, pour aller l'interroger -- mais la discrétion prime, alors j'y vais à pas de loup et sans parler à personne ; de toute façon ils sont tous en enseignement pratique de talents avec les autres gardes du corps, alors j'ai le champ libre.
Je m'approche de la porte de la chambre et tend l'oreille, mais sa respiration est très ténue à l'intérieur. Est-ce qu'il dort ? Il n'est pourtant pas tard. Le battant n'étant que poussé et pas fermé, je le repousse très légèrement pour me frayer un passage dans la pièce. L'opération ne fait aucun bruit, et je me retrouve face à son dos, lui-même assis sur le matelas. Il est aussi immobile qu'une statue, et à moins qu'il ne soit dans une réflexion profonde, sa respiration n'est vraiment pas normale.
J'hésite tout d'abord à l'appeler -- non pas que le faire sursauter ne me ferait pas plaisir, bien au contraire --, mais constatant qu'il ne détecte pas du tout ma présence, je le fais quand même, en position de combat, mes armes levées.
"Keefe ?"
Pas de réaction. Je ne sais pas s'il m'a entendue. Je m'apprête à réitérer, mais je me rends soudain compte de la tension qui s'installe autour de moi, s'enserrant autour de mes membres comme une coulée de serpents. Et cette tension semble émaner de son propre corps, alors qu'il penche la tête sur le côté, très lentement.
C'est de plus en plus fort. Qu'est-ce que c'est que ce truc ? C'est Sandor et Grizel qui l'ont entraîné à utiliser son empathie comme ça ?
"Keefe ? Le rappelé-je, me rendant soudain compte que ma voix tremble ; je me racle la gorge pour faire partir cette merde. Keefe, qu'est-ce que tu-"
Il retourne sa tête vers moi d'un coup, et je me maudis de sursauter, mais un frisson parcourt mon dos quand je vois que ses yeux ne sont plus bleus, mais luisent d'un violet profond et magnétique, qui me fait tomber un peu plus sous la pression de la pièce.
" Keefe, si tu n'arrêtes pas tout de suite je te décapite, le menacé-je, me rappelant de ma mission première."
Je devais vérifier que rien ne cloche chez lui, et manifestement quelque chose ne va pas. Mon rôle est donc d'exterminer le problème.
Mais pile au moment où je m'avance, faisant fi de la bizarrerie de ses yeux qui me fixent, il secoue la tête et me regarde avec son regard à nouveau clair.
"Bah, qu'est-ce que tu fais ? Les autres t'ont dit de me ramener ?"
Je le regarde comme s'il était attardé.
"Qu'est-ce que JE fais ? T'es sérieux ? C'était quoi, ça ?"
Il essaye de réfléchir, mais il finit par hausser les épaules.
"Je sais pas, je sais plus. Mais du coup, les autres m'ont appelé ? Ou tu as besoin de quelque chose ?"
Je l'observe attentivement. Il a toujours la fatigue et la lassitude de ces derniers jours dans sa posture, et ses yeux ne sont qu'aux trois quarts ouverts, mais je ne décèle plus une trace de ce truc violet flippant. Il ne sait vraiment pas ce qu'il vient de me faire.
"Euh... Nan. Nan nan. Sauf si tu te décides à être vivable et à participer un minimum, mais sinon nan."
Il hoche la tête, ses yeux partant dans le vague, et me fait signe qu'il préfère rester ici. Je me retiens de commenter, et pars rejoindre les autres, ayant toujours en tête la sensation de cette pression dans la pièce, que Keefe est incapable de générer avec son corps normal.
Mais il était seul.
En arrivant dans le séjour, j'observe les autres qu'on voit s'entraîner au loin, et je regarde le plafond. Il est sombre, alors qu'il fait grand soleil dehors, et je me rends compte que c'est anormal que ce séjour soit plongé dans l'ombre, alors que c'est l'une des pièces les plus lumineuses d'Havenfield. Et même, on dirait qu'au fil des jours, il devient toujours plus sombre, peu importe la météo extérieure.
Il y a quelque chose de pas normal dans cette maison, songé-je en sortant, rendue mal à l'aise par cette ambiance silencieuse et froide.
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