Sortie
Point de vue de Lucy...
Un mois. Un mois que ce foutu Colonel à la noix est ici. Un mois que je n'ai pas le droit de m'éloigner à plus de deux mètres de mes baby-sitters à peine je suis sortie de ma chambre. Un mois que je dois demander l'accord de cet homme des cavernes pour me promener dans mon propre jardin. Un mois que je n'ai pas eu le droit de sortir de ma propriété et que lui et moi passons notre temps à nous entendre comme chien et chat. J'ai l'impression d'être une enfant de cinq ans qui a été punie. Je suis en train de devenir folle à tourner sans cesse en rond ! Il peut comprendre ça, non ? La réponse : bien sûr que non il ne comprend pas. Ou plutôt : il ne veut pas comprendre. Il n'arrête pas de me rabâcher que sa mission est de me protéger. J'ai droit à ce sermon matin, midi et soir dès que j'essaye d'obtenir gain de cause. À la réflexion, si on était les personnages d'un livre ou d'un film, je serais une princesse prisonnière d'un château gardé par un effroyable dragon sanguinaire ! J'espère juste que mon prince charmant ne ressemblerais pas à Shrek !
- Encore, m'ordonne d'un ton ferme mon tortionnaire attitré.
Ma leçon du jour ? Esquiver ! Après avoir appris à tomber il faut bien que je sache comment éviter de prendre des coups ! Le problème ? J'ai mal aux jambes et aux fesses. Surtout aux fesses ! À croire qu'il aime me regarder de haut après m'avoir fais un balayage. Quand enfin il me dit que l'entraînement d'aujourd'hui est terminé, c'est un immense soulagement. Je m'écroule sur le banc, attrape ma bouteille d'eau et la porte à mes lèvres en basculant ma tête en arrière avant de mourir déshydratée. Je me plains mais je dois reconnaître que son programme porte ses fruits. La veille j'ai réussi à tenir bon face à Ever, ce qui est encourageant même si je sais qu'elle était loin d'être à fond. Au moins je m'en sors un minimum face à une femme. Face à un homme par contre c'est pas encore ça... Je finis de boire et remarque seulement maintenant qu'il ne reste plus que nous deux dans la pièce. Je m'attarde un peu sur lui. J'étais trop occupée pour m'en apercevoir plus tôt mais il a enlevé son haut à un moment donné. Sans se préoccuper plus de moi, il poursuit sa propre routine, se mettant à faire des pompes face à un ordinateur portable. Il n'utilise qu'un bras pour se soulever, son autre main occupée à taper au clavier quand c'est nécessaire. Je peux voir ses muscles serpenter sous sa peau souple et légèrement bronzée. Une partie d'un tatouage tribal est visible sur son omoplate gauche. Il ondule à chacun de ses mouvements. Mais la chose la plus hypnotique, c'est bien la goutte de sueur qui s'échappe de sa nuque et dévale le long de son échine jusqu'à ses hanches. J'étouffe pratiquement immédiatement l'envie de suivre le même parcours avec ma langue. Si seulement ce n'était pas un tel con...
- La vue te plaît ? me demande-t-il, moqueur, en me dévisageant dans le miroir face à lui sans pour autant arrêter son exercice.
- Jusqu'à ce que tu ouvres la bouche, oui, grinçais-je de mauvaise foi.
- Dommage. Si je dois la fermer je ne pourrai pas dire à Ever que nous allons tous les trois en ville demain. Elle va être déçue, elle qui voulait faire du lèche-vitrines avec toi. Elle avait réussi à me convaincre, dit-il avec malice.
Je regarde cet être diabolique mais séduisant au possible. Il sait que je veux sortir mais je n'ai pas spécialement envie de m'écraser pour lui faire plaisir.
- Il te reste tes mains pour écrire, répliquais-je.
- Touché, dit-il avec amusement. Plus sérieusement, j'aimerais que l'on parle de cette sortie, ajoute-t-il sur un ton plus doux.
- D'accord... dis-je lentement et avec réticence en plissant mes yeux.
- Pas la peine de me lancer ce genre de regard Princesse. Comme je l'ai dis nous allons sortir tous les trois. Ever et moi serons en tenue civile avec au moins une arme planquée sur nous si quelque chose tourne mal. Je préfère te prévenir. Je vais vous suivre toutes les deux comme si nous étions un simple groupe d'amis. Je connais les visages des anciens associés de ton père mais nous ne sommes pas à l'abris qu'ils aient engagé quelqu'un pour t'approcher alors ne t'éloignes pas de moi. Je suis sérieux. Si je n'ai pas à te courir après, ça n'en sera que plus bénéfique.
- Pourquoi prendre le temps de m'expliquer au lieu de juste m'ordonner de me tenir à carreau comme d'habitude ? demandais-je, dubitative.
- Autant j'aime tes répliques acerbes et divertissantes, autant je pense qu'il est dans notre intérêt à tous les deux d'améliorer notre relation, m'explique t'il en faisant attention à sa respiration. Je sais que je t'ai enfermée contre ta volonté ce mois-ci. Je ne suis pas un gardien de prison mais je devais m'assurer que tu étais en sécurité ici avant de nous aventurer à découvert pourrait-on dire. J'ai également étudié l'architecture de la ville mais aussi tout ce que Freed a pu trouver sur ceux qui te voient comme leur nouvelle poule aux œufs d'or. Je sais tout sur eux. Leurs noms, le lieu où ils résident, leurs habitudes, leurs méfaits enfouis sous une tonne de pots-de-vin. Par exemple, ce Leythis. À la vue de tous il s'occupe d'une entreprise spécialisée dans l'électronique. Mais dans l'ombre, ce fils de pute fait du trafic d'armes. Sa première activité lui permet d'être à la pointe de la seconde. Il a un fils du nom d'Hibiki que tu as déjà dû rencontrer. Il essayait de convaincre ton père de lui donner ta main. Ce mec est un playboy. Mais, comme son père, il a une part obscure en lui, à la limite du dédoublement de personnalité. J'en ai eu la confirmation quand Freed m'a montré son dossier médical. Et non je ne l'ai pas eu par les voies légales, dit-il en anticipant ma réaction. Les conquêtes avec lesquelles il s'affiche ne craignent rien. Mais c'est en apparence seulement. Deux d'entre elles déjà ont mystérieusement disparues du jour au lendemain après avoir passé une nuit avec lui. Des personnes ont affirmés dans les deux cas qu'ils avaient été témoins de disputes assez virulentes entre eux. Je te laisse imaginer ce qui peut arriver aux petites écervelées méconnues du public et qui se jettent dans ses bras. Ces trois dernières années, il est fait état de pas moins d'une dizaine de disparitions de jeunes femmes dans la région.
-C'est impossible, le contredis-je avec assurance. Autant de disparitions auraient fait rappliquer la presse et la police serait aux aboies.
- Tu crois ? J'ai fais mention de pots-de-vin pourtant. Réfléchis...
- Tu penses qu'ils ont servi à acheter le silence des familles ? demandais-je horrifiée après un bref instant de réflexion.
- Pas que. Celui des flics aussi. Du moins en partie. Leythis et le chef de la police de Magnolia sont de grands amis figures-toi. Je ne serais pas étonné qu'il ai même détruit certains indices compromettants.
- Mais c'est horrible...
- On est d'accord sur ce point. Quoiqu'il en soit, restes près de nous demain. J'ai ta parole ? me demande-t-il sérieusement.
- Oui... soufflais-je avant de me murer dans un silence contemplatif.
Je comprends un peu mieux le comportement qu'il a eu envers moi, même si je le trouve un peu « extrême ». D'une certaine manière il souhaite simplement que rien ne m'arrive de mal. Lui non plus ne parle plus, préférant poursuivre son activité sportive et pianoter sur son ordinateur. Je replis mes jambes contre moi et enroule mes bras autour tout en le regardant. Vraiment, si il pouvait être un peu plus comme il l'a été un instant auparavant que comme il l'a été durant tout ce mois...
Point de vue de Luxus...
C'est pas vrai... Pourquoi j'ai accepté déjà ? Quelqu'un peut me le dire ? J'aurai dû prévoir cette tournure des événements. Accompagner deux nanas faire les boutiques... Je suis tombé sur la tête ou quoi ?! Bixrow m'a cogné trop fort à l'entraînement ?! Ou alors c'est cette soubrette bizarre qui m'a drogué en versant quelque chose dans mon café ? Comment j'ai pu être aussi aveugle ?! En plus elles ne font que jacasser ! Pire que des pies ! Et vas-y que ça parle de crème hydratante, de fond de teint, de sous-vêtements et de toutes les conneries devant lesquelles elles s'arrêtent ! Ça ne fait même pas une heure et elles me prennent déjà pour un putain de mulet ! Qu'elles ne viennent pas se plaindre ou m'engueuler si je dois dégainer mon arme et que je laisse tomber tous leurs sacs remplis de futilités ! Je les ai prévenu d'entrée de jeu à partir du moment où elles ont commencé à tout me mettre sur les bras.
Déambulants dans une rue commerçante du centre-ville, les réactions envers notre groupe sont partagées. En premier lieu, les filles attirent les regards mais, dès que les gens comprennent que je suis avec elles, ils s'écartent à toute vitesse. En même temps, je dois avoir une tête à trucider le premier qui osera dire un mot sur ma condition actuelle. Au moins Lucy reste à notre portée comme je lui ai demandé. C'est simple, Ever et elle se tiennent le bras. On jurerait voir deux amies de longue date en les voyant ainsi.
- On s'arrête déjeuner ? Il est bientôt midi et je meurs de soif ! s'exclame un peu plus tard Lucy en faisant naviguer son regard entre Ever et moi pour obtenir notre accord.
- Ça me va ! Qu'est-ce que tu en dis Luxus ? me demande la brune.
J'émets simplement un grognement irrité avant de hocher la tête et de suivre les deux femmes. Lucy nous conduit au 8-Island, un restaurant populaire de la ville et tenu par un homme qui a l'air presque aussi âgé que mon grand-père. Nous nous installons en terrasse, les achats à nos pieds, et j'en profite pour m'affaler sur la chaise pendant que les deux pipelettes reprennent leur débat sur « les règles à appliquer pour séduire un homme et les erreurs à ne pas commettre », ou, plus sérieusement, une suite de mots sans queue ni tête. Elles ont un homme devant elles à qui elles peuvent poser leurs foutues questions ! Ça serait plus simple que d'épiloguer pendant cent sept ans ! Surtout pour déblatérer des suppositions.
- Bonjour et bienvenue au 8-Island ! Je m'appelle Miliana et je serais votre serveuse ! Vous souhaitez commander à déjeuner ou prendre un apéritif peut-être ? nous demande une jeune femme aux cheveux châtains clairs dans une tenue orange surmontée d'un tablier blanc.
- Un Mojito aux fraises s'il vous plaît, commande Blondie après s'être assurée qu'on veuille tous se détendre avant de manger.
- Un Blue Lagoon pour moi, dit à son tour ma camarade.
- Whisky on the rock, réponds-je simplement.
- Je vous amène ça tout de suite ! nous informe t'elle avant de s'éloigner avec enthousiasme.
En attendant nos boissons, j'en profite pour vérifier discrètement qu'aucun individu indésirable ne nous file. Mieux vaut être trop prudent que pas assez. Quelques secondes plus tard, nous sirotons nos verres en parcourant le menu que la serveuse nous a donné. Leurs plats ont l'air très bons et vu comment Lucy ne tarie pas d'éloge sur leur cuisine je me laisserai bien tenter...
- Vous avez fais votre choix ? nous demande Miliana en revenant vers nous.
- Oui. Pour moi ce sera des tomates mozarella et des fettucine au saumon et à l'aneth.
- Des tomates mozarella également, avec un poulet au curry au lait de coco et du riz.
- Une salade de magret de canard fumé puis une entrecôte saignante avec des légumes rôties et une sauce béarnaise.
Elle note notre commande sur son petit carnet et s'éloigne en direction des cuisines. Les entrées ne mettent pas longtemps à arriver. Nous avons à peine fini nos verres que les plats étaient déjà devant nous, c'est pour dire à quel point les cuisiniers mais aussi les commis sont efficaces. Nous nous souhaitons un bon appétit et attaquons nos assiettes dans un silence religieux. En fait, tout le repas se passe dans le calme, même quand le plat principal nous est servi. Au final, nous étions apparemment affamés car nous finissons en quelques minutes. Miliana revient en nous proposant la carte des desserts que j'accepte avant de remarquer que les filles deviennent un peu maussades.
- Qu'est-ce qu'il vous arrive d'un coup ? je demande distraitement en parcourant les choix proposés avant de lever les yeux vers elles.
- Tu ne comprendrais pas même si on essayait de t'expliquer, claque Evergreen en réajustant ses lunettes pendant que Lucy hoche la tête pour la soutenir.
- Tu crois ça ? J'allais juste me prendre un café mais finalement... Je vais prendre un mi-cuit au chocolat avec une crème anglaise et une glace à la menthe, dis-je à la serveuse en adressant un sourire diabolique à Blondie et sa nounou.
- Ça sera tout ? veut s'assurer Miliana en regardant les deux casse-pieds en face de moi.
- Oui, coupais-je les filles qui allaient s'exprimer. Vous comprenez... Elles font régime.
- Espèce de... commencent-elles.
- Quand vous ferez autant de musculation que moi on en reparlera, tranchais-je avant d'enfoncer le clou. Je dépense toutes les calories que j'ingurgite tandis que vous ça risque de tomber sur vos hanches comme vous aimez si bien le faire remarquer à tout bout de champs. À quoi ressemblerez-vous en bikini si je vous laissais prendre quelque chose d'aussi sucré qu'un dessert ?
- Démon ! s'exclament-elles mortifiées.
- Réaliste. Simplement réaliste, les taquinais-je, amusé par leur synchronisation.
Les minutes qui suivent sont tout simplement jouissives. J'ai trouvé la vengeance parfaite. Elles y réfléchiront à deux fois avant de me prendre pour une mule. Les deux me font des yeux de chien battu et bavent presque devant le cœur fondant du gâteau au chocolat. Rien que l'odeur donne l'eau à la bouche et la douceur de la crème à la vanille se marie parfaitement avec la puissance du cœur chocolaté. La menthe apporte de la fraîcheur à l'ensemble. Un pur chef-d'œuvre dont je me délecte devant ces petites manipulatrices machiavéliques. Je réclame l'addition et paye pour nous trois. J'ai beau être un connard quand je le veux, je n'en n'oublie pas les bonnes manières. Puis, il faut quand même avouer que les voir dépitées comme ça est un bonus en soit. En attendant, je ne porte plus leurs sacs donc je pourrais dire « mission accomplie ».
- Allez, dépêchez-vous si vous voulez encore faire les boutiques, on repart au manoir dans deux heures, les informais-je en râlant quelque peu à la perspective de devoir encore subir leur fièvre acheteuse.
- Roh c'est bon Goliath ! On a pas tous de grandes jambes pour faire des pas de géant, bougonne Lucy. Puis c'est pas facile d'avancer vite avec des sacs qui tapent dans les mollets ! Surtout quand lesdits mollets sont couverts de bleus par ta faute !
- Je ne te rappellerai pas mon rôle Princesse... Je ne suis pas là pour être tendre avec toi.
- Pas besoin de me ressortir ton laïus ! Je connais déjà le refrain ! Tu devrais changer de disque d'ailleurs ! s'écrie t'elle en tournant la tête vers moi, ne faisant ainsi plus attention à la chaussée devant elle.
- Et toi tu devrais regarder où tu vas, la mis-je en garde en soupirant.
- Je sais parfaitement où je... Ah !
Bạn đang đọc truyện trên: Truyen247.Pro