Entre filles, ou presque
Point de vue de Lucy...
- Que quelqu'un m'achève... sanglotais-je, affalée sur la table de jardin.
- Allons, ce n'était pas si terrible. Si ? se moque gentiment Ever.
Elle s'est installée en face de moi pour être face au soleil et parfaire son bronzage. La matinée a été une horreur ! Levée aux aurores pour souffrir jusqu'à presque dix heures... je n'ai pu me rendre sur la tombe de mes parents qu'une heure plus tard, après un bain bien mérité qui a apaisé les tensions qu'avait subit mon corps. Et encore, même dans mon jardin je n'ai pas le droit d'être seule...
- Il est inconcevable que je laisse un oisillon sans défense à la merci du premier prédateur venu !
Voilà l'excuse du grand et génialissime Colonel Drear... Heureusement que nous avons pu rester entre filles, mon tortionnaire étant occupé à je ne sais quel projet visant à m'enfermer sous étroite surveillance comme si j'étais une criminelle extrêmement dangereuse. Arrivés au déjeuner, j'avais à peine la force de soulever mes bras pour amener ma fourchette à ma bouche. Autant dire qu'il y en a un qui ne s'est pas privé pour me le faire remarquer... Je me suis retenue de le planter avec mes couverts ! Quoiqu'il en soit, Ever et moi profitons de la chaleur de ce début d'été.
- Pas si terrible ?! Il m'a fait m'échauffer pendant une éternité. Après ça j'ai eu droit à des séries de pompes et d'abdominaux sans fin. Sans parler du passage sur le tapis de course. J'ai cru que j'allais cracher mes poumons quand il m'a autorisé à m'arrêter ! Ensuite il m'a fait soulever des poids... puis l'enfer s'est ramené dans ma maison. J'ai perdu le compte du nombre de fois qu'il m'a fait tomber. Mes fesses me font un mal de chien et j'ai des douleurs à des endroits où je ne savais même pas que je pouvais ressentir quelque chose... J'ai plein de bleus qui commencent à fleurir sur mes jambes ! pleurnichais-je.
- Au moins, il ne t'a pas fais faire de traction ou de squat. Quand je suis arrivée dans son équipe, j'ai fini mon premier entraînement en rampant sur le sol. Il était sans pitié. Mais au second il a été moins exigeant. Ma théorie c'est qu'il veut voir ce qu'on a dans le ventre. La prochaine fois tu n'en baveras pas autant, me rassure t'elle. À moins que tu lui donnes une bonne raison de t'user jusqu'aux os, rajoute t'elle à voix basse avec un regard quelque peu éteint comme si elle en avait déjà fais l'expérience.
- Je ne sais pas si je dois me sentir rassurée ou non, lui fais-je remarquer.
- Tout dépend si tu as quelque chose derrière la tête pour le faire chier, réplique t'elle naturellement.
- C'est si évident ? demandais-je en me préparant à me morfondre à l'entente de sa réponse.
- Franchement ? rit t'elle. Vous passez votre temps à vous battre et nous ne sommes ici que depuis hier. Ça fait quoi ? Moins de trente-six heures. Il a fallu moins de trente-six heures pour que tu lui tiennes tête. Et ce, deux fois ! De plus, vu les regards meurtriers que tu lui lances ce n'est pas dur de supposer que tu aimerais lui faire un mauvais coup. Un conseil : laisse tomber ! Tu n'es pas la première à vouloir lui tendre un piège pour te venger du comportement qu'il a envers toi.
- Tu parles en connaissance de cause ?
- Hm... Eh bien oui et non, admet-elle. J'ai effectivement pensé à lui jouer un tour au début mais on pourrait dire qu'il m'a coupé l'herbe sous le pied en quelque sorte... Par contre, je sais de source sûre que les recrues qui se sont opposées à lui en ont bavé deux fois plus. Il a écopé de plusieurs surnoms comme « le Dragon » après tout. Pour l'anecdote, ça a dû lui plaire car il l'utilise comme nom de code maintenant. Mais ses élèves utilisaient ce terme car il se montrait aussi féroce et impitoyable que cette bête mythique. Il en a traumatisé plus d'un. Je crois d'ailleurs que son simple souvenir provoque toujours des terreurs nocturnes à Nab... Enfin, te voilà prévenue.
- C'est encourageant dis donc... dis-je d'une voix dégoulinante de sarcasme. Mais qui est Nab ?
- C'est un collègue qui... euh... comment dire ça gentiment ? C'est un flemmard de la pire espèce ? Non c'est pas vraiment ça, se contredit t'elle. Raah... Il veut travailler mais il attend une mission que lui seul pourrait accomplir en fait. Il n'en démord pas depuis des années. En attendant de trouver « sa » mission parfaite, il aide à la base en gérant un peu de paperasse.
- D'accord... Je pense que je vois le genre... Mais comment Blondinet l'a-t-il marqué au point qu'il soit terrifié ?
- Il en avait marre de le voir errer sans but dans les couloirs alors il l'a amené en camp de survie en forêt avec une autre unité qu'il formait. Que je t'explique. Durant ces camps nous apprenons beaucoup de choses. Notamment a nous déplacer en groupe, en silence. À monter un campement etc. Bref à nous débrouiller au cas où nous nous retrouvions dans ce genre de situation. Cette formation dure plusieurs jours. Nous devons suivre un itinéraire dans un temps imparti mais pas que. Nous avons des marches forcées de nuit, des réunions stratégiques et plein d'autres choses. Nos instructeurs voient si nous commettons des erreurs et gare à celui qui en fait ! Durant une des inspections, Luxus a vu que Nab avait laissé son arme sans surveillance.
- Aïe... Ça n'a pas dû lui plaire, dis-je avec un élan de compassion pour le pauvre homme.
- C'est peu de le dire. Toutes les recrues ont été réunies et Luxus lui a hurlé dessus comme quoi c'était inacceptable et bla-bla-bla. Le but n'était pas de l'humilier bien sûr mais de lui faire prendre conscience que ce genre d'erreur peut mettre ses camarades en danger. Imagine qu'ils n'aient pas été dans un exercice mais en conditions réelles avec de véritables ennemis. L'un d'eux aurait pu prendre l'arme et l'utiliser. C'est une erreur que tu ne peux pas te permettre de commettre.
- Effectivement ça a l'air plutôt dangereux comme conséquence... admets-je sans peine. Mais l'afficher comme ça devant tout le monde est-ce que c'était vraiment nécessaire ? Il aurait pu lui en parler en privé non ? insistais-je.
- En faire une affaire publique lui donne plus de poids et le pousse à réfléchir à deux fois à ses actions. Comme je te l'ai dis, le but de Luxus n'était pas de l'humilier. Il veut que nous soyons tous conscient du danger et que nous ayons toutes les clés en main pour réussir nos missions. Il est rude mais parfois c'est ce qu'il faut pour nous faire progresser. À côté de ça, c'est quand même un mentor exceptionnel, ajoute-t-elle avec un doux sourire. J'en suis venue à le considérer comme le grand frère que je n'ai jamais eu. Un peu trop protecteur quand je fréquente un garçon mais c'est le rôle des aînés dans une famille je présume... Il a gagné mon respect de bien des façons, ainsi que mon admiration. C'est mon modèle...
Je peux voir ses yeux briller durant son éloge. Elle a l'air de tenir énormément à lui. Peut-être n'est-il pas si terrible finalement ?
- Et Bixrow et Freed ? demandais-je par curiosité.
- Comment ça ?
- Parles-moi d'eux. Je n'ai pu leur parler que brièvement.
- Oh ! Qu'est-ce que je pourrais te dire à leur sujet ? marmonne t'elle pour elle-même en inclinant la tête. Eh bien, ils étaient déjà sous les ordres de Luxus quand je les ai connus. Ils m'ont aidé à bien m'intégrer. Je les considère comme des frères aussi mais c'est différent. Bixrow est un farceur né. Toujours le premier à suggérer des plans foireux pour casser les pieds des gens. Cependant, en mission il est extrêmement concentré. Freed, lui il est sérieux en tout temps. C'est en quelque sorte le bras droit de Luxus. Il lui est entièrement dévoué on peut dire. C'est un peu comme avoir un petit frère turbulent et un autre qui est son exact opposé... soupire t'elle. Ça me fait penser ! Au début Freed suivait Luxus partout comme un petit poussin en l'appelant Maître Drear ! s'esclaffe t'elle. Tu aurais dû voir sa tête à chaque fois qu'il l'interpellait ! Un masque d'horreur se peignait sur son visage !
- Tu plaisantes non ? fais-je en me joignant timidement à son rire, imaginant la scène dans ma tête.
- Si seulement ! Une fois Luxus lui a crié dessus pour qu'il arrête. Freed n'a rien trouvé de mieux que de s'accrocher à sa jambe et sangloter en lui demandant de lui pardonner son effronterie ! Il n'a pas réussi à le décrocher avant que tout le quartier général n'entende leurs hurlements.
- Oh mon Dieu ! Dis-moi que quelqu'un a immortalisé ça et qu'il y a une preuve de cet événement quelque part ! la suppliais-je.
- Qu'est-ce que tu crois ? se moque t'elle. S'il y en avait une tu peux être sûre qu'elle a été détruite.
- Zut... Ça aurait égayé ma journée si j'avais pu mettre la main dessus, marmonnais-je. D'ailleurs ! Maintenant que j'y pense. Ils sont passés où tous ? Qu'est-ce qu'ils peuvent bien fabriquer encore ?
- Information classée secrète par le Colonel. Désolée Lucy. Ne leur en veux pas, répond-elle en faisant une légère grimace.
Je croise les bras sur la table et pose ma tête dans le creux formé par ceux-ci avant de fermer les yeux, appréciant la caresse du soleil sur mon dos nu.
- Pourquoi je devrais leur en vouloir s'ils tiennent le Colonel qui a manche à balai coincé dans le cul éloigné de moi ? soufflais-je. Je devrais leur dire « merci » plutôt !
- Tu sais, il n'a pas toujours été comme ça apparemment. Je ne l'ai jamais vu de mes propres yeux mais j'ai entendu certains de nos camarades les plus anciens, ainsi que le Général en personne, parler de lui comme un enfant qui respirait la joie de vivre et qui passait son temps à sourire.
- Sérieusement ? Pourtant les traits de son visage paraissent presque figés dans un froncement de sourcils colérique, soulignais-je. Il semble tout le temps en colère. Le seul moment où il ne paraît pas énervé c'est quand il fait son petit sourire suffisant, narquois, moqueur ou tout ce que tu veux !
- La Guerre change le cœur et l'âme des Hommes. Les répercussions qu'elle engendre également. Personne n'est épargné... explique-t-elle sur un ton énigmatique en portant son regard vers le ciel azur.
- Tu veux dire... commençais-je, hésitante en relevant la tête pour la dévisager. Tu veux dire qu'il a été une victime aussi ?
Elle abaisse ses yeux pour me regarder mais alors qu'elle ouvrait la bouche pour me répondre, son visage est devenu blanc comme un linge en l'espace d'une micro-seconde et une goutte de sueur s'est mise à couler de sa tempe. J'ai beau l'appeler, me redresser et secouer ma main devant son visage, elle ne réagit plus.
- Hey oh ! Hearthland à Ever ! Y'a quelqu'un là-dedans ?! Qu'est-ce qu'il t'arrive à la fin ?! râlais-je, agacée de ne pas comprendre ce qu'il se passe avec elle.
- Elle a seulement jugé bon de se taire avant que je ne m'énerve et qu'elle écope d'un doublement de son temps d'entraînement, me répond l'homme qui se trouve dans mon dos.
Oh oh... Je connais un peu trop bien cette voix grave et profonde pour mon propre bien. Je me retourne de manière mécanique en essayant de sourire mais je pense que je ne dois pas ressembler à grand chose. Je découvre ainsi qu'il se tient juste derrière moi et je me demande vraiment comment j'ai fais pour ne pas l'entendre approcher. Surtout quand le sol est en gravier ! C'est sensé faire du bruit quand on marche dessus non ?!
- Alors comme ça on parle de moi ? ricane t'il en se penchant vers moi avec une lueur sadique dans les yeux. Il faut le dire si je t'intéresse chérie. Même si, de ce que j'ai entendu, tu penses que j'ai quelque chose de coincé dans mon cul. Pour ton information, je ne suis pas adepte de l'anal. Pas sur moi en tout cas...
C'est officiel. Je hais ce type ! Comment peut-il sortir des phrases comme ça en gardant son calme ?! Et me sourire comme s'il était fier de lui et de sa réplique ?! D'accord, je dois être aussi rouge qu'une putain de tomate. D'accord, j'ai perdu ma voix et mon visage doit être la caricature parfaite de l'embarras. Mais c'est pas des choses à dire à une jeune femme !
Point de vue de Luxus...
Je n'avais pas prévu d'espionner leur conversation mais en me dirigeant vers elles j'ai entendu Ever mentionner le fait que je lui avais interdit de dire où j'étais et ce que je faisais. Je suis donc resté à l'intérieur, adossé au mur et j'ai écouté. Ah, les femmes. Toujours à mettre leur nez dans les affaires des autres. Je tique à la mention de mon enfance qui me ramène à des souvenirs douloureux mais retiens un rire quand la demoiselle de bonne famille parle de mon froncement de sourcils.
Alors qu'Ever mentionne la Guerre, je décide que c'est assez. Je n'ai pas envie que ma vie personnelle soit déballée au grand jour et qu'elle finisse par me regarder avec pitié. Je passe la tête par la porte et vois cette dernière le visage tourné vers le toit du monde. Je sors aussi discrètement que possible, à pas de loups, pour ne pas me faire repérer trop tôt. S'il y a bien une chose indispensable à notre survie, c'est la discrétion. L'expression qu'elle prend quand elle me voit enfin est juste magique. On dirait un poisson avec sa bouche bée et ses yeux de merlan frit. Et Blondie qui essaye de la ramener parmi nous... Je réponds à la question qu'elle posait à sa nouvelle amie et sa réaction est inestimable. Un peu plus et j'aurai pensé à une crise d'épilepsie tellement elle tremblait en se retournant vers moi.
Je ne peux pas m'empêcher de la taquiner un peu. Le rose foncé qui apparaît sur ses pommettes lui va à ravir... Même ses oreilles et son cou prennent une couleur semblable. La pauvre, j'ai dû tellement la choquer ! Plus aucun son ne sort de sa jolie bouche aux lèvres attrayantes... Je soupire intérieurement. Je dois vraiment réussir à retrouver mes priorités avant de franchir les limites que je me suis fixé. Embêter ce pauvre poussin ne la protégera pas. La mettre dans mon lit encore moins, bien que je trouve sa fougue rafraîchissante. J'éloigne les pensées impures la concernant et reviens à l'essentiel. J'ai passé la journée à installer les caméras de surveillances avec Freed et à poser des micros à des endroits stratégiques pour palier à toute éventualité. Je dois encore vérifier les informations récoltées sur les employés pour être sûr qu'ils sont clean. Mon instinct me dit qu'il y a anguille sous roche concernant un certain Zoldio. Depuis notre arrivée il fait bien attention à nous éviter. Je n'aurais même pas su qu'il travaillait ici si je n'avais pas son dossier.
- Trêve de plaisanteries. Je venais vérifier si tout allait bien et te faire savoir que le manoir était sous étroite surveillance, déclarais-je en retrouvant mon sérieux.
- Ou...Oui ! T...tout va bien ! réussit t'elle à dire alors qu'elle est toujours statufiée.
J'incline la tête et m'apprête à repartir quand je me souviens que ma subordonnée est toujours figée. Allez. Une dernière taquinerie ne peut pas faire de mal après tout...
- Au fait. Tu veux connaître l'astuce pour reboot le cerveau d'Ever ?
J'attends qu'elle acquiesce et lui adresse un sourire carnassier. Je me rends à ses côtés pour pouvoir lui glisser un nom en particulier à l'oreille. Le frisson qui la parcourt quand mon souffle caresse sa peau ne m'échappe pas et un sentiment de victoire s'empare de moi. Je retourne à l'intérieur et attends quelques secondes pour savoir si elle fait ce que je lui ai suggéré. Il n'a pas fallu longtemps avant qu'Evergreen pousse un cri perçant et commence à bégayer comme une adolescente. La pauvre Lucy doit être en train de me maudire. Avec elle, ce qui est sûr, c'est que je ne vais pas m'ennuyer.
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