Le cœur de Jessica manqua un battement.

- Je...tu...

Elle se gratta le front.

- Je suppose qu'il va bien. Je n'ai pas eu de ses nouvelles dernièrement.

- Quand tu dis "dernièrement" tu entends les douze dernières heures ? Ou les derniers jours ? Sois plus précise s'il te plaît.

La jeune femme resta silencieuse. Son père avait dû lire sa conversation avec Terry, se dit-elle. Une fois en charge, l'écran de son téléphone ne se verrouillait que si elle le faisait manuellement. Mais elle s'était endormie en relisant avec nostalgie les conversations de Terry et lui. Son père a dû tomber dessus en venant lui dire bonne nuit ou en venant la réveiller.

- Parle-moi Jess, l'encouragea son père.

Jessica Akue savait que son père n'était pas d'un tempérament calme. S'il était aussi calme c'était sûrement parce qu'il n'avait pas trouvé assez d'éléments dans le téléphone de sa fille pour se mettre en colère. Aussi il essayait calmement de lui tirer les vers du nez.

- C'est-à-dire que... Lui et moi avions eu une aventure...

Elle avait prononcé ces mots presque dans un souffle.

- Vous aviez eu ou vous avez ? Jessica est-ce que tu as une idée de qui est ce jeune homme ? enchaîna-t-il impatiemment.

- Oui papa, répondit timidement la jeune diplômée.

- Non je ne pense pas. Je pense que ma fille que j'ai élevée ne peut pas sortir avec ce jeune homme en sachant pertinemment qui il est. Alors laisse-moi te rafraîchir la mémoire. Ce...criminel est venu dans mon bureau et m'a extorqué cinquante mille francs en se faisant passer pour un agent des affaires internes. Il a volé un collier en or qui vaut des millions à ta tante Ama, et quand on l'a attrapé, il s'est mis à vomir partout et une fois qu'on l'a transporté à l'hôpital il s'est enfui. Ça fait des mois que je le recherche. Et toi, mon enfant, celle dont je fais l'éloge devant tous mes amis, tu sors avec ce jeune homme pendant tout ce temps. Je t'ai demandée ce qu'il y avait entre vous et tu m'as juré que tu le connaissais à peine. Est-ce donc si mal de faire confiance à sa fille ? Il se paie ma tête et toi ma fille, tu le soutiens ? Il traîne mon nom et ma réputation dans la boue et toi tu l'y aides ? Il traîne notre nom dans la boue et toi ma fille aînée tu penses que la meilleure des choses à faire c'est de le couvrir ? Tu mens à nous qui t'avons mise au monde, qui avons tout fait pour toi pour le protéger, lui ? Jusque-là je te pensais être la plus intelligente de mes enfants. Mais après cet épisode je me demande sincèrement si tu as un cerveau et surtout si tu as un cœur.

Le ton avait monté pendant son sermon. Il fulminait rien qu'en la regardant. Jessie pouvait ressentir sa colère. Elle attendait juste qu'il prenne une décision à son sujet. Qu'une sanction tombe. L'heure n'était plus aux aveux. Même si elle prenait la peine de lui expliquer, il ne la croirait plus pour la simple et bonne raison qu'il était trop tard. Et puis qu'est-ce qu'elle pourrait lui expliquer si ce n'est lui mentir à nouveau ?

- Je suis désolée papa, lui dit-elle. Si j'ai pu avoir quoi que ce soit avec Terry, ce n'était pas dans l'intention de ruiner ta réputation et de nuire à notre famille par la même occasion. J'étais juste...

Elle s'interrompit au début de sa phrase et éclata en sanglots. Si elle lui avouait qu'elle était amoureuse de ce criminel comme il l'appelait, il allait tout simplement sortir de ses gonds. Il irait peut-être même jusqu'à la renier comme enfant. Pourtant elle l'aimait et n'avait pas envie de le voir derrière les barreaux.

- Désactive le code de sécurité, redépose ce téléphone et va-t-en ! lui intima le commissaire. Je ne veux plus te voir pour le moment. Mais si jamais j'apprends que tu as déjà été impliqué dans ses activités criminelles...

Il s'interrompit en serrant le point.

- Je préfère ne pas l'imaginer, conclut-il.

Pendant ce temps chez Faith...

- Mon identité a été plus chamboulé en une nuit qu'en une vie. Hier matin, je pouvais affirmer avec assurance que je m'appelle tel et que je viens de telle famille. Mais aujourd'hui, je n'en sais rien. Tout ce que je sais c'est que je m'appelle Terry, et même ça ce n'est pas sûr...

Faith lui offrit un sourire compatissant. Elle en savait quelque chose sur les identités chamboulées.

- Avoir un nom de famille, savoir de quelle lignée l'on vient et tout le reste, c'est bien et c'est important. Mais ton identité c'est plus que quelques lettres qu'on associe à ton prénom. C'est d'abord ce que tu choisis d'être, les actes que tu poses en tant qu'être humain, comment tu traites les autres. Ton nom te donnera des papiers, une place à certaines tables et d'autres privilèges dans la société mais ta vraie identité, c'est toi qui la définis. Aussi choisis la bonne part. Sache une chose, ton Père Céleste est Celui qui ne te décevra jamais, Il ne te laissera jamais tomber et il ne te tournera jamais le dos. Aussi laisse le te donner Son Nom et Son Identité.

Terry fit mine de réfléchir en posant son index sur ses lèvres.

- Du coup je m'appellerai Terry Dieu ? Ce n'est pas mal ça ! Terry Dieu !

Il avait prononcé le nom en écartant les bras d'un air théâtral. Ils éclatèrent tous les deux de rire.

- Même si ça sonne fou, oui. Dieu veut que tu sois de la même nature que Lui. Pense sérieusement à ce que je viens de te dire. Si j'en ai l'occasion, je te raconterai mon expérience avec les identités chamboulées.

Le téléphone de Terry les interrompit. Ce dernier regarda sur l'écran. C'était Mala Okpara, ou plutôt son père biologique. Il rejeta l'appel et lui envoya sa localisation par message. Il remit ensuite le téléphone dans la poche de son boubou.

- Tu sais quoi ? dit-il à Faith. Je t'aime bien et je veux bien qu'on garde contact. Comme ça un jour tu pourras me raconter ton expérience avec les identités chamboulées. Identité chamboulée, ça fera un bon titre de roman ça !

Ils rirent à nouveau. Puis il lui tendit son téléphone. Elle hésita quelques secondes puis lui prit le téléphone.

- Je veux bien te donner mais avant tout, j'ai quelques règles de base que tu devras respecter. J'y tiens beaucoup.

- Vas y je t'écoute.

- Voici la première : pas d'appel après vingt et une heure trente. Du moins pas jusqu'à ce que je t'en donne l'autorisation.

- D'accord. Mais pourquoi ? Tu dors tôt c'est ça ?

- Non. Je considère juste que ce sont des heures privées donc réservées uniquement aux intimes.

La vérité était qu'elle se sentait quelque peu vulnérable à ces heures là. Aussi pour se protéger d'éventuels beaux parleurs, elle n'acceptait que des appels de ses proches à partir de ces heures.

Le dernier mot de Faith fit revenir à la mémoire de Terry sa rencontre avec Jessica. Elle lui avait tenu un discours semblable au sien. Mais avec elle, il avait franchi le cap d'intimité le même jour. Mais c'était une toute autre histoire. Une histoire qu'il n'avait pas envie de vivre avec Faith. Il désirait être une autre sorte d'intime avec elle.

La vérité était que Terry n'avait pas d'amis. À part quelques vagues connaissances, il n'y avait que Jessica dans sa vie avec qui il pouvait discuter. Mais même avec elle, il était limité sur les sujets qu'il pouvait aborder. Il voulait quelqu'un à qui parler de tout et de rien quand la solitude viendra lui rôder autour. Il voulait une amie, une vraie.

- J'espère qu'un jour je deviendrai le genre d'intime qui pourrait t'appeler à n'importe quelle heure, commenta-t-il avec un faible sourire.

- Ce n'est pas impossible, répondit-elle. La deuxième règle à présent. Les propos obscènes, les images et messages à caractère sexuel ne m'intéressent en rien. Aussi si tu aimes en envoyer, je ne veux en aucun cas faire partie de ta liste de destinataires.

- Tu n'as pas à t'inquiéter sur ce point, la rassura-t-il. Je n'en suis pas fan non plus.

- Bien. Pour le reste on verra au fur et à mesure.

Elle écrivit enfin son numéro sur le téléphone et le rendit au propriétaire. Terry la remercia et l'appela tout de suite pour qu'elle puisse avoir le sien.

- Mon téléphone est dans la chambre, je vais le chercher.

Elle joignit la parole à l'acte et revint vers lui. Il plongea les mains dans ses poches et se tint en face de Faith. Il la fixa pendant un moment sans parler. Cette dernière était gênée par son regard insistant mais ne dit rien. Elle attendit qu'il parle.

- Au risque de me répéter, très peu de personnes auraient fait ce que tu as fait pour moi. C'est quelque chose qui m'a vraiment touché. Tu n'imagines pas combien de problèmes tu m'as évité rien qu'en faisant cela. Je tiens à te remercier du plus profond de mon cœur. Je trouverai sûrement un moyen de te montrer ma gratitude. En attendant, je te dis merci et remercie Jésus pour moi.

- On peut le faire ensemble tu sais, Il sera content de t'entendre lui parler.

- Avec tout ce que j'ai pu faire dans ma vie, je ne pense pas qu'Il veuille entendre quelqu'un comme moi. Mes péchés sont un peu trop sales pour Ses saintes oreilles.

Faith secoua la tête en signe de désapprobation.

- Car Dieu a tant aimé le monde qu'il a donné son Fils unique, pour que quiconque croit en lui ne périsse pas, mais ait la vie éternelle.

- J'ai déjà entendu ça.

- Gloire à Dieu ! Mais est-ce que tu sais que le "quiconque" en question ici c'est toi et moi ? Est-ce que tu sais que c'est aussi le fou dans la rue ou encore le sorcier qui est réputé tuer les enfants dans ton village ? Ou encore quelqu'un comme Hitler ? Il nous aime tous d'un amour égal et son désir est que nous soyons tous sauvés à travers le sacrifice de Jésus à la croix. Aussi rien, absolument rien de ce que tu as pu commettre comme péché n'est trop sale pour Lui. Maintenant j'ai une question pour toi Terry, est-ce que tu aimes le danger ?

- Si j'aime le danger ?

- Oui, est-ce que tu t'exposes souvent au danger ? Consciemment je veux dire.

- Oui assez souvent. Mon travail m'y oblige.

- Tu sais donc que tu peux y laisser la vie à tout moment, n'est-ce pas ?

- Où veux-tu en venir exactement ?

- À ton éternité. Est-ce que tu y as déjà songé ? Si tu venais à perdre la vie, où iras-tu ? Parce que ce n'est pas parce qu'on n'y croit pas que le paradis et l'enfer cesseront d'exister. Alors dis-moi, où iras-tu selon toi ?

Terry resta silencieux. Il connaissait bien la réponse à la question. Mais il n'osait pas le dire à haute voix de peur qu'elle se matérialise et qu'il se condamne lui-même.

- Le but n'est pas de t'effrayer, l'apaisa Faith, mais de te montrer quelque chose. Dieu dans Son Amour infini a sacrifié Son Seul Fils pour que toi et moi puissions voir Sa Face un jour, pour que nous puissions demeurer à ses côtés pour l'éternité. Mais bien avant cela, Il veut que nous soyons libre des choses qui nous dominent ici-bas, le sexe, la drogue, l'alcool, le mensonge, le vol et tout ce qui peut exister comme péchés. Afin que nous puissions dès lors commencer à vivre la joie, la paix et l'amour qui nous attend à Ses côtés. C'est ainsi qu'Il nous a aimé. L'enfer n'a pas été créé pour nous les humains, alors pourquoi nous y condamner nous-mêmes ?

- Il a été créé pour qui alors ?

- Pour le diable et ses anges. Dieu aime trop ses enfants pour les condamner à l'enfer.

- Pourtant Il le fait ! répliqua Terry.

- C'est nous qui nous condamnons en choisissant de ne ni L'écouter, ni Le suivre.

Le jeune gangster resta muet. Il n'avait plus rien à répliquer. Pas parce qu'il manqua de mots, mais parce qu'il n'avait jamais vu les choses de la sorte. Personne ne lui avait jamais expliqué. Ou plutôt, il n'écoutait jamais les gens qui essaient de lui parler de croyances religieuses.

- J'ai une grande faveur à te demander, lui dit-il.

- Je t'écoute.

- J'aimerais que tu transmettes un message à Jessica pour moi. Dis lui que je l'aime et que je suis désolé de ne pas avoir pu être là. Et que si elle décrochait mes appels, je pourrais peut-être lui expliquer pourquoi.

À sa mine, ça se voyait que Faith était déçue. Elle espérait qu'il lui demanderait de prier pour lui ou avec lui. Elle espérait qu'il voudrait donner sa vie à Christ. Mais elle accepta quand-même de transmettre son message.

Le téléphone de Terry se remit à sonner.

- Il faut que j'y aille à présent. Encore merci pour tout.

Ils sortirent tous les deux de la maison. Une voiture blanche aux vitres teintées attendait devant la maison. Terry embrassa Faith une nouvelle fois et entra dans la voiture. Cette dernière prit le chemin de la maison voisine, celle de Jessica. Ou plutôt celle du commissaire Akue.

La voiture de Terry arrivait devant la maison du commissaire pile au moment où ce dernier ouvrait le portail. Terry et lui se fixèrent, à travers la vitre teintée, jusqu'à ce que la voiture sorte de son champ de vision.

- Tu connais cette voiture ? demanda-t-il à Faith.