* * *

    Ne trouvant plus son chemin pour quitter la maison, Terry se réfugia dans une pièce vide, son verre à la main et la carafe sous le bras. Il s'assit dans la pénombre et se mit à repenser à la semaine folle qu'il venait de passer et à toutes les révélations qui lui ont été faites en si peu de temps.
   
    Ainsi, l'homme qu'il avait pleuré une grande partie de sa vie était toujours en vie quelque part, et il n'était pas son vrai père. Et l'homme que sa mère voulait le faire faire tomber n'était autre que son père biologique. Comment prétendre aimer quelqu'un et autant lui mentir, lui cacher des choses et lui gâcher la vie ?
   
    Terry continua à enchaîner les verres, si bien qu'il ne put bientôt plus penser clairement à quoi que ce soit. Complètement ivre, le sommeil commençait à l'emporter quand la sonnerie d'un téléphone dans la pièce le fit sursauter. Il plissa les yeux pour essayer de repérer le combiné mais il n'y vit que du noir. Il se leva et avança à tâtons dans le noir en suivant la lumière sous la porte. Il réussit à trouver l'interrupteur et alluma.
   
    Il balaya la pièce du regard et trouva le combiné tout juste à côté de là où il était assis. Il jura et reprit le chemin retour vers son siège, en s'agrippant à tout ce qu'il pouvait trouver. Il se rassit enfin et décrocha le téléphone qui n'avait cessé de sonner.
   
- Allô ? fit-il d'une voix nonchalante.

- Où es-tu passé Terry ?

- Mala ou papa, peu importe, j'aimerais rentrer chez moi. Fais venir le chauffeur et mon téléphone. J'ai un appel important à passer.

- Dis-moi où tu es et ça se fera.

   Terry regarda tout autour de lui.
  
- Ça m'a tout l'air d'un bureau mais il y a tellement de pièces dans cette maison que....

- Quel est la couleur du téléphone que tu tiens ?

   Terry regarda le combiné.
  
- Il est rouge.

- Bien j'envoie te chercher.

   Une minute plus tard, quelqu'un ouvrit la porte.
  
- Vous avez mon téléphone ?

- Non.

- Vous voulez vous faire virer ?

   L'homme ne répondit pas tout de suite. Il fit quelques pas vers lui dans la pièce.
  
- C'est moi Terry, dit-il enfin. C'est papa.

   Terry reconnut enfin l'homme qui l'avait élevé. Sa grande barbe grisonnante avait quelque peu changé son visage.
  
   Le plus jeune membre du Creed resta figé dans son fauteuil. Les émotions se succédèrent rapidement en lui. La joie, la tristesse, la colère puis au final le dégoût. Un profond dégoût envers cet homme qui lui avait causé tant de souffrances par sa fausse mort.
  
- Ah ! s'écria-t-il avec dédain. Monsieur je suis mort mais je me la coule douce à Kigali. Vous avez décidé tous les trois d'organiser une petite orgie pour voir qui sera le plus rapide pour me faire un petit frère ? Eh bien j'ai un scoop pour vous, ma chère mère est déjà à la ménopause.

   Par un effort titanesque, il réussit à se lever. Il tituba vers la porte. Quand il arriva à la hauteur de son père, il planta son index dans sa poitrine avec un air désenchanté.
  
- Tu aurais dû rester mort, cracha-t-il avant de sortir.

   Une fois dans le couloir, ne sachant toujours pas vers où se diriger, il ouvrit la première double porte qu'il trouva pour échapper à son père. Il se retrouva dans la grande salle où tous les autres membres du Creed dînaient bruyamment. Ne voulant pas se mêler à la foule, il ressortit et se retrouva nez à nez avec son père.
  
- Est-ce qu'on peut se parler ? lui demanda ce dernier.

- Pas ce soir, répliqua sèchement Terry. Est-ce que j'ai l'air de quelqu'un qui est en état de discuter de ton irresponsabilité ?

    Mala choisit ce moment pour les rejoindre.
   
- Le chauffeur est là, lui apprit-il. Nous reparlerons de toute cette histoire demain quand tu seras plus sobre. Voici ton téléphone.

   Il saisit le téléphone et suivit Mala jusqu'à la voiture.
  
- On se voit demain, lui dit ce dernier.

   Terry ne répondit pas. Sa seule envie était de quitter cet endroit où s'étaient donné rendez-vous tous les gens qui lui avaient menti toute sa vie. Ces gens qui avaient fait de sa vie ce qu'elle était.
  
- Je vous emmène à votre appartement ? lui demanda le chauffeur.

- Non. Emmenez-moi au Paradise.

Pendant ce temps...
Paradise
02h19

- On te dépose ? demanda son amie à Jessica.

- Oui, s'il vous plaît.

   Elle était épuisée par son interminable journée et déçue que Terry ait pu lui poser un lapin alors même qu'elle voulait lui offrir une seconde chance. Elle se sentait stupide. Elle se résigna donc à rentrer chez elle.
  
- C'est ton mystérieux petit ami que tu ne nous présentes jamais que tu attendais ?

- C'était mon mystérieux petit ami...

   Elle n'ajouta plus rien. Son amie aussi ne posa plus d'autres questions. Au ton de sa voix, elle comprit la déception de son amie. Ils se contentèrent donc de rouler en silence.

    Elle se mit à repenser aux moments qu'elle avait passé avec Terry. Rien dans leur relation n'avait été ordinaire. De leur rencontre au lien qui les unissait, elle n'avait jamais rien vécu de pareil.
  
   Pour elle c'était la dernière chance qu'elle venait de lui offrir. Elle aurait dû arrêter cette relation depuis le jour où elle a su qui il était véritablement. Mais puisque tout cela était nouveau pour elle, elle était indéniablement attirée par le danger qu'il représentait dans sa vie. Elle voulait vivre de folles aventures que toutes les règles à respecter à la maison ne permettaient pas. Elle rêvait de briser le cocon familial dans lequel elle avait grandi. Mais elle s'est rendu compte qu'elle s'y prenait de la mauvaise manière et qu'elle briserait la confiance de ses parents, surtout celle de son père, en même temps que ce cocon. Pour elle, la belle histoire d'amour entre le bandit et la fille du commissaire venait de s'achever sur un lapin posé au milieu de la nuit dans un night club. Elle devait à présent faire taire son cœur et laisser parler son cerveau.

   Tout ce qui lui restait à faire, c'était de trouver un moyen de raconter tout cela à son père sans perdre sa confiance et sans s'incriminer. Mais comment ? Comment avouer quelque chose qu'on a déjà fermement nié ? Comment revenir sur ce qu'on avait juré sur ce qu'on a de plus cher au monde comme étant la vérité ? Elle allait devoir trouver un moyen de le faire et y procéder avec un doigté d'orfèvre. Chaque détail la crédibilisera ou la décrédibilisera, elle devait donc trouver une histoire cohérente sur tous les points.

   Une fois près de chez elle, elle appela son père comme il le lui avait recommandée. Ce dernier vint lui ouvrir le portail dès qu'il entendit le bruit du moteur. Jessica remercia ses amis et rentra chez elle.

Pendant ce temps en ville...

   Terry arriva au Paradise, il entra dans la boîte en titubant. L'endroit était à moitié vide. Il comprit qu'elle l'avait attendu en vain. Il commença à l'appeler mais n'obtint pas de réponse.
  
- Emmenez-moi à cette localisation, ordonna-t-il à son chauffeur.

   Le chauffeur tiqua en reconnaissant l'endroit.
  
- Vous êtes sûr de vouloir vous rendre chez le commissaire Akue à une pareille heure de la nuit ? Déjà qu'il vous recherche activement, ce serait vous jeter dans la gueule du loup.

- Je m'en fous ! répliqua-t-il. Je dois voir sa fille.

- Je préfère vous ramenez à votre appartement. Vous pourriez la voir demain quand vous serez plus sobre.

- NON ! beugla Terry. Emmenez-moi où je vous demande ou je vous fais virer.

    Le chauffeur ne tenant pas à perdre son emploi démarra la voiture sans un mot de plus. Une fois devant la maison du commissaire, il lui demanda de s'en aller.
   
    Il ne sonna pas à la porte, il continua de l'appeler sur son téléphone mais n'obtint pas de réponse. Il s'assit devant la maison et continua à l'appeler jusqu'à ce que l'alcool et la fatigue ne l'endorment.

   * * *

   Jessica dans son lit, regarda les appels de Terry sans daigner y répondre. Elle se contenta de mettre le téléphone en mode silencieux. Elle prit une douche et se glissa sous ses draps. Elle décida d'effacer toute trace de Terry dans son téléphone. Elle commença par les quelques photos rares qu'elle avait prises avec lui pendant qu'il dormait ou qu'il avait le dos tourné. Elle s'était assurée que son visage n'apparaisse que partiellement, au cas où quelqu'un tomberait dessus. Ensuite vint le tour des messages. Elle relut toute leur discussion depuis le jour où ils se sont rencontrés quelques mois plus tôt. Elle finit par s'endormir, laissant son téléphone allumé à côté d'elle.