Terry le regarda longuement puis éclata de rire. Il rit tellement que bientôt il manqua de souffle.

- C'est la meilleure blague qu’on ne m’ait jamais racontée, fit-il quand il reprit son souffle.

- Est-ce que ce que tu regardes dans ce miroir a l'air d'une blague ? lui demanda Mala.

    Le jeune homme partit dans un nouveau fou rire.

- Je parie que tu as une grosse tâche de naissance juste en haut de la fesse droite.

    Il s'arrêta brusquement de rire, manquant de peu de s'étrangler.

- Vous avez sûrement dû le voir sur moi quand j'étais plus jeune puisque vous dites être le meilleur ami de mon père.

- Ta mère ne m'a jamais laissé te voir. Jusqu'à te voir nu.

    Mala souleva son boubou et lui montra sa propre tâche de naissance. Il avait la même tâche difforme au-dessus de la fesse droite. Ce ne pouvait pas être une coïncidence, c'était bien trop précis.

- Je peux ? demanda-t-il en montrant la tâche.

- Vas-y.

    Il trempa son doigt dans son verre et toucha la tâche pour s'assurer que ce ne soit pas un dessin. La tâche ne semblait pas être là depuis peu, il ne partait pas non plus au toucher.

    Et là, tel un camion chargeant à toute allure, la vérité heurta Terry de plein fouet. Les pièces d'un puzzle, dont il ignorait l'existence jusqu'à ce moment précis, se mirent à se rassembler dans sa tête. Des détails, qui jusque-là étaient anodins, lui sautaient à présent au visage, créant ainsi des liens entre eux. Son sang-froid légendaire, son intelligence, sa prestance, son attrait pour le monde du crime et d'autres petits détails qu'il croyait en rapport avec son père venaient plutôt de son sang.

   Ce fut une question de celui qui se disait être son père biologique qui l'arracha de ses pensées.
  
- Est-ce que ta mère t'a déjà parlé de moi ?

    Il vida son verre d'un trait et réclama un autre. Il s'assit, la tête entre les mains. Il resta dans cette position pendant une éternité. Mala attendit patiemment qu'il recouvre l'usage de sa langue.

- Toute ma vie, j'ai vécu dans le mensonge. Toute ma vie est basée sur des secrets et des non-dits. La seule chose à laquelle je m'accrochais encore c'est mon nom et là...

    Il vida le deuxième verre que lui servit Mala et s'empara de la carafe lui-même.

- Là je doute de ma propre existence. Je m'attends à ce qu'on m'annonce que je suis mort depuis des années et que ma vie n'était qu'une simulation de ce que peut être une vie de merde. Mais ça, ça n'arrivera pas de si tôt je pense.

    Il but un troisième verre plus rempli que les premiers.

- À quel moment vous êtes-vous rendu compte que j'étais votre fils ?

    Mala s'assit à côté de lui.

- Quand je t'ai vu débarqué dans ton boubou trois pièces. J'ai eu l'impression de me revoir plus tôt dans la soirée devant mon miroir. Le cri du sang est le plus silencieux des cris, mais il est aussi le plus puissant.

- Et donc vous avez eu une aventure avec ma mère alors qu'elle était mariée à votre meilleur ami, c'est bien ça ?

    Il hocha nonchalamment les épaules.

- Ta mère et moi avions effectivement eu une aventure. Mais c'était un peu avant qu'elle se mette avec ton père et jusqu'à ce soir, j'ignorais qu'elle avait porté fruit. Nous étions jeunes, à peine diplômés. Elle n'a jamais voulu me dire la vérité. Et je ne savais que penser parce que comme je te l'ai dit, ton père et moi nous ressemblions beaucoup.

    Il alla décrocher une photo d'un mur dans la pièce. Il le montra au jeune homme.

    Sur le cliché, son vrai et son faux père se tenaient côte à côte dans des pantalons pattes d'éléphant avec en haut des chemises serrées. Ils se ressemblaient comme deux gouttes d'eau. La seule différence entre eux était que Mala était de complexion plus clair.

- Vous ne trouviez pas cela étrange de vous ressembler autant ? Je veux dire, vous n'avez jamais cherché à savoir si un quelconque lien vous unissait ?

    Mala haussa à nouveau les épaules.

    Terry ne cessait d'enchaîner les verres. Il s'agenouilla tout à coup sur le riche tapis qui couvrait le sol et joignit les mains vers le ciel.

- Seigneur envoyez-moi un troisième père car entre celui qui fait semblant d'être mort et celui qui couche avec la femme de son meilleur ami, je ne sais qui suivre.

     Il avait prononcé sa petite prière avec toute la sincérité dont pouvait faire preuve un homme ivre.

- Je t'ai dit que c'est arrivé avant que tes parents se marient, rétorqua Mala.

     Quelqu'un toqua à la porte. Un homme entra dans la pièce. Il vint chuchoter quelque chose à l'oreille de Mala. Il hocha la tête.

- Excuses-moi, j'ai un truc à régler, je reviens, dit-il à Terry avant de quitter la pièce.

     Ce dernier décida de s'en aller lui aussi. Il saisit la carafe de Whisky et sortit du salon avec une démarche incertaine. Il ouvrit quelques portes dans le couloir à la recherche d'une porte de sortie mais ils donnaient tous sur des chambres. Il finit par ouvrir une qui était occupée. Sa mère était en pleine dispute avec Mala. Il poussa un juron, referma la porte et reprit ses recherches.

     Sheena sortit dans le couloir pour le rattraper.

- Terry tout ce qu'il t'a dit est faux !

- Bonsoir maman, retourne mentir à ceux qui en ont besoin s'il te plaît, lui répondit-il d’une voix traînante. Moi je ne suis qu'un pauvre orphelin qui essaie de rentrer chez lui pour dormir. Il n'y a aucun intérêt diplomatique à me mentir.

- Je te ramène à la maison, tu es complètement ivre.

    Mala se joignit à eux dans le couloir.

- Tu es ici chez toi Terry. Si tu as envie de dormir, toutes les chambres de la maison sont à ta disposition.

    Il se tint devant Sheena avec un air menaçant. Il la saisit par le menton. Il la fixa dans les yeux pendant un court laps de temps puis commença d'une voix calme et profonde :

- Sheena, tu n'en as pas marre de mentir à tous et pour tout ? Tu fais fuir tous ceux à qui tu prétends tenir, un mensonge après l'autre. Tu t'es tellement habituée à mentir que ça ne te fait plus rien. Regarde bien ce jeune homme et regarde-moi. Et ose me dire que ce n'est pas mon fils. Ose me dire que ce n'est pas la chair de ma chair, et que ce n’est pas mon sang qui coule dans ses veines. Ose me dire qu'il n'a rien hérité de moi.

    Elle demeura silencieuse, le regard fuyant.

- Je compte faire un test ADN de toutes les façons.

    Sheena leva un regard rempli de larmes vers lui.

- On n'en aura pas besoin, répondit-elle. C'est bien ton fils. Il a ta tache de naissance. Et...

    Terry leur avait faussés compagnie sans qu'ils ne s'en rendent compte.

- Tu es si belle mais dès que tu ouvres ta bouche, les seules choses qui sortent de ta bouche ne sont que mensonges. La vérité te coûte donc aussi cher ? Il t'est arrivé quoi, maintenant que tu m'as enfin avoué que cet enfant est de moi ?

   La tête baissée, elle éluda sa question

- On peut former une belle famille tous les trois, continua-t-elle. Avec nos positions on peut fonder un empire pour notre fils.

    Mala rapprocha sa tête comme pour l'embrasser. Elle ferma les yeux.

- Rentre chez toi Sheena, lui ordonna-t-il calmement. Je ne veux plus jamais te revoir. Quant à notre fils, je peux lui offrir cet empire dont tu parles sans ton aide. Pour toi, tout ne tourne qu'autour de l'argent. Sache bien que l'argent peut acheter un chauffage, mais pas la chaleur humaine. L'argent peut acheter des choses pour faire plaisir, mais il n'achètera jamais le bonheur. Qu'est donc devenue la jeune femme qui voulait sauver le monde ? Qui voulait veiller sur veuves et orphelins ?

- Elle est devenue riche et ne s'en est jamais remise, répondit une voix derrière eux. Bonsoir vous deux.

    Ils se retournèrent tous les deux vers celui qui venait de parler. Le sac de Sheena lui tomba des mains. Elle ouvrit la bouche mais avant de pouvoir émettre le moindre son, elle tomba dans les vapes.