- Arnaud, je t'ai interdit de toucher à mon téléphone ! entendit Terry.

   C'était la voix de Jessica.

- C'est ton amoureux, répondit le petit avec sa voix normale.

   Terry attendit patiemment que Jessica prenne enfin l'appel.

- Dehors !

   Elle prit enfin le téléphone.

- Est-ce qu'on peut se voir ? lui demanda le jeune homme. J'ai besoin de te parler.

- Je serai au Paradise (i)avec des amis ce soir, répondit-elle. Viens me chercher vers 2h.

- Je serai là.

  Il raccrocha et poussa un grand soupir. Il était soulagé d'avoir pu lui parler. C'était surtout grâce au petit. Mais comment savait-il qu'il était son amoureux ? Il se promit de lui poser la question plus tard quand les choses seraient moins tendues entre eux.

  Il se retourna dans le miroir pour admirer son costume trois pièces qu'il avait reçu dans la matinée. Il aimait bien, mais il ne s'y sentait pas très à l'aise. Il retira le tout puis opta pour un boubou trois pièces en basin blanc. Il se coiffa du chapeau rouge qui l'accompagnait.

  Il chaussa ses pantoufles en cuir blanc et attendit patiemment l'arrivée du chauffeur. Ce dernier arriva dès que les dernières lueurs du soleil disparurent à l'horizon.

  Terry s'installa à l'arrière de la Mazda CX-9 que lui a envoyé le Creed. Ils rejoignirent, une longue queue de voitures identiques à la leur. La même marque, le même modèle et la même couleur : le blanc. Ils se rassemblèrent sur un grand terrain vague situé à deux kilomètres hors de la ville.

  Là, une dernière voiture les rejoignit. A sa couleur noire, Terry devina qu'il s'agissait de celle de Mala Okpara. Sans que personne ne mette pied à terre, sans qu'aucun signal ne soit donné, les voitures blanches suivirent la noire. Terry eut le temps de les compter puisqu'ils fermaient la marche. Elles étaient soixante-treize au total.

  Le convoi se lança doucement vers l’intérieur du pays. Ils roulèrent ainsi vers le nord pendant près d'une heure. Après une bonne soixantaine de kilomètres, ils quittèrent le goudron pour s'engager sur un tortueux chemin de terre bordé de forêt. Ils continuèrent à rouler pendant une bonne dizaine de minutes. Quand ils s'arrêtèrent enfin, ce fut devant une grande villa à deux étages au milieu de la végétation. C'était la réplique exacte de la maison de Mala Okpara.

  Les voitures se garèrent en deux fils parallèles à l'entrée de la maison. Là tout le monde mit pied à terre. Dans les phares des voitures, Terry put remarquer que tout le monde était en costume noir comme celui que lui avait fait livrer Achille.

  Quand vint enfin son tour, il descendit dans son boubou de basin blanc. Tous les regards se tournèrent vers lui. Il était la deuxième personne à porter un boubou. L'autre n'était autre que le boss lui-même. Des murmures commencèrent à fuser dans la nuit calme de l'endroit. Terry en fit fi et quand vint le moment d'entrer dans la maison, il suivit ses compères qui continuèrent de lui jeter des regards furtifs.

- Je crois que c'est le fils du boss, entendit-il devant lui.

- Ah oui il n'y a que ça qui puisse expliquer un tel affront, répondit son interlocuteur.

  Ils entrèrent dans une grande salle où étaient dressées des tables couvertes de nappes noires. Sur une petite estrade, une autre table couverte de nappe verte trônait face aux autres tables. Sur le côté gauche de cette table était installée une autre, couverte d'une nappe bleue. Aux premiers rangs de l'assemblée, trois autres tables couvertes de nappes violettes se côtoyaient.

   Et là comme une évidence, Terry comprit la signification des codes dans le carnet de son père. C'était l’organigramme du Creed.

   Son père avait déjà fait partie du Creed. Il avait déjà assisté à ce dîner. Combien de fois et en tant que qui ? Il espérait le découvrir.

   En suivant l'ordre d'arrivée, chacun des membres reçut un message sur son téléphone lui indiquant précisément sa place dans la salle. Il ne resta bientôt plus que Terry. Il attendit en vain son message.

   La salle se fit silencieuse dès que Mala se leva.

- Accueillons ensemble Terry Gakpe qui co-présidera cette soirée avec moi.

   Des applaudissements fusèrent de tous les côtés. Mala fit signe à son jeune poulain de le rejoindre sur l'estrade. Ce dernier ne se fit pas prier. Il s'approcha d'un pas méfiant.

   Quand le calme revint dans la salle, Mala reprit la parole.

- Il y a de cela vingt ans, j'ai hérité de ce siège, de tout le pouvoir qu'il confère et de toutes les responsabilités qui y sont attachées. Depuis j’ai toujours fait l’impossible pour mériter d’y siéger. Mais les choses changent et évoluent, et pour que cette évolution soit effective, il faut toujours du sang neuf pour apporter des idées plus adaptées à notre siècle. Aussi ce soir, je vais laisser mon siège à quelqu'un de plus jeune que moi. Ce sera à vous de décider de qui mérite de me succéder. Je vous remercie pour votre confiance et pour votre dévouement à cette organisation.

    Il se rassit sous les applaudissements de ses hommes. On apporta une chaise à Terry. Il prit place à la table du boss. Il était assez près de lui pour sentir son eau de Cologne mais pas assez pour pouvoir le poignarder si l'envie le prenait.

    Des serveurs entrèrent dans la salle et commencèrent à servir l’apéritif. Une dizaine d'hommes en costume entrèrent dans la salle pour collecter les téléphones de tous ceux présents. Terry se sépara de son téléphone à contre cœur. Il s'assura que Mala sache que cela le contrariait.

- Alors Terry, la présidence te tente ? demanda le boss après avoir goûté à son Whisky.

- Pas le moins du monde, je crois que j'ai encore de belles années devant moi avant de chercher à briguer cette présidence.

    Okpara sourit mais ne répondit pas.

- J'accepte la mission de la princesse à une condition, continua le jeune homme.

    Son mentor le regarda une deuxième fois et secoua la tête cette fois.

- Qu'est-ce qui te fait croire que tu as ton mot à dire ou que tu peux poser des conditions ?

- Le fait que je dispose de ma personne et de mes actes peut-être.

- Tu crois ?

    Le ton glacial de cette simple question réussit à troubler Terry. Il repensa au fait que ses parents aient peur de cet homme.

    Il ne répondit pas.

- Pose quand même ta condition, ça m'intrigue.

- Je veux que vous me dites tout ce que vous savez sur mon père, lâcha Terry.

    Okpara l'examina attentivement. Son visage s'illumina d'un coup.

- Mais bien sûr ! s'exclama-t-il. Comment n'ai-je pas tout de suite remarqué cette ressemblance ?

- Vous ne niez donc pas le connaître. Pourquoi l'avez-vous tué ?

     Mala parut interloqué.

- Le tuer ? Pourquoi tuerai-je quelqu'un à qui j'ai confié mes millions ? Il était mon meilleur ami Terry.

    Son regard s'assombrit tout à coup. Ses gestes n'étaient plus aussi sûrs qu'au début de la discussion. Sa nervosité se voyait à travers ses gestes.

- Je vois que Sheena continue de te mentir comme elle l'a toujours fait.

    Il se leva et fit signe à Terry de le suivre. Ils traversèrent un dédale de couloirs puis finirent dans un salon élégamment décoré. Il invita le jeune homme à s'asseoir. Il lui servit un verre de Whisky qu’il déclina.

- Tu vas en avoir besoin, insista-t-il.

    Terry lui prit le verre.

- Viens là, lui ordonna-t-il en se tenant devant le grand miroir.

     Il n'hésita pas. Il ne comprenait pas la situation mais il patienta dans l'espoir que Mala lui explique.

     Ce dernier lui retira sa coiffe et retira la sienne.

- Qu'est-ce que tu vois ?

     La ressemblance entre les deux hommes était frappante. Mais aucun des deux n'avaient fait le rapport avant ce soir-là.

- Tu... tu es le frère de mon père ? balbutia Terry.

- Non. Ton père et moi sommes devenus amis à cause de notre étrange ressemblance. Aussi drôle que ça puisse paraître, je suis ton vrai père Terry. Le pourquoi du comment est une longue histoire que je me ferai un plaisir de te raconter.