13. Archéologues en herbe
Juillet 1886
Lise revient à elle. Elle distingue une voix d'homme l'appelant.
VOIX OFF
Mademoiselle... Vous m'entendez ?
Elle reprend connaissance sous une tente et reconnaît l'homme, accoudé contre une chaise, la regardant.
LISE (sonnée)
Où suis-je ?
EDWARD
Je suis Edward Stern, j'étais avec vous dans...
LISE (écarquillant les yeux)
Le temple !
Elle se redresse subitement.
LISE
Oh non... alors tout ceci n'était pas un rêve ?
EDWARD (faisant une grimace)
J'en ai bien peur....
LISE
Lise... Je m'appelle Lise Rollings.
Edward lui sourit. Lise le dévisage. Son visage lui est familier. Elle l'a déjà vu avant cette histoire de temple, mais elle ne saurait dire où quand quelque chose l'intrigue dans le décor.
LISE
Où sommes-nous ?
EDWARD
Pour faire simple.... dans une tente.
LISE (s'inspectant)
Pourquoi est-ce que je porte ces vêtements ??
EDWARD
C'est assez difficile à expliquer...
Lise se précipite à l'extérieur et écarquille les yeux en voyant un site de fouille archéologique.
LISE
Oh mon dieu !! Comment est-ce qu'on est arrivé ici ?
Soudain, une idée lui traverse l'esprit. Elle dévisage Edward, d'un air mauvais.
LISE
Vous m'avez droguée ! C'est pour ça que je ne porte pas mes vêtements !!
EDWARD
Vous vous méprenez, je peux vous l'assurer. Quelque chose ne vous frappe pas ?
Elle détaille les personnes autour d'elle. Quelque chose cloche.
Edward se lance.
EDWARD
Si j'en crois ces tenues coloniales, nous sommes vers la fin du 19e siècle, je dirais vers l'an 1880.
Lise cligne des yeux avant d'éclater de rire.
LISE
Vous plaisantez, bien sûr !
Edward affiche un petit sourire en guise de "non, désolé" quand une voix forte derrière eux, les fait sursauter.
HOMME
Vous deux-là ! Venez nous aider à identifier un artéfact.
Edward s'approche de Lise pour lui murmurer un mot.
EDWARD
C'est le chef de l'expédition...
LISE
Le "quoi" ?
CHEF DE L'EXPÉDITION (s'approchant)
Vous êtes arrivés hier soir ?
EDWARD
Cette nuit plus exactement.
CHEF DE L'EXPÉDITION
Je ne vous ai pas entendu. On a besoin de vos lumières là-bas.
EDWARD
Avant, si vous le voulez bien, j'aimerais que nous fassions les présentations.
Edward a besoin de savoir de toute urgence où il se trouve et le but de l'expédition.
EDWARD
Je me présente Edward Stern, archéologue diplômé d'Oxford. Et voici mon assistante Lise.
LISE (s'étouffant)
Pardon ?!!
CHEF DE L'EXPÉDITION (la dévisageant, impressionné)
Et vous avez fait tout ce chemin depuis Oxford ?
EDWARD (répondant à sa place)
En effet.
CHEF DE L'EXPÉDITION
Moi qui pensais que votre université n'avait que faire de l'Afrique du Sud...
Lise explose de rire.
LISE
Bien, c'est très drôle, vraiment. On y croirait presque ! Je dis presque parce que vos déguisements ont un peu trop pris la poussière... (Sarcastique) la costumière était sans doute en congés...
Elle voit Edward lui faire de gros yeux, mais n'en tient pas compte.
LISE
Alors, où sont les caméras ?
CHEF DE L'EXPÉDITION
Les... Quoi ?
EDWARD
Vous savez, ces nouvelles machines capables de vous dépeindre en quelques heures.
CHEF DE L'EXPÉDITION
Ah oui, j'en ai entendu parler. Mais je n'ai jamais cru à cette histoire. Elles existent vraiment ?
LISE (riant jaune)
Vous plaisantez, là ?
Edward tente de rattraper le coup en noyant le poisson.
EDWARD
C'est un français, Nicéphore Niépce, qui a mis au point l'héliographe.
CHEF DE L'EXPÉDITION (sourcillant)
L'écriture par le soleil ?
EDWARD (acquiesçant)
C'est un procédé long à mettre en place, mais le portrait ou le paysage qui ressort de cette boîte nommée"caméra"est tout à fait prodigieux ! Les gens l'appellent "photo".
CHEF
Jamais entendu parler.
EDWARD
Vous verrez, ça viendra très vite.
LISE (tentant de faire de l'humour)
C'est comme le cheval, ça ne s'oublie pas...
CHEF
Mais qu'est-ce qu'on prend en photo si je reprends votre expression ?
EDWARD
Ce peut être une photo de famille, de vous ou la première photo de l'histoire, la maison de Nicéphore, près du village français de Chalon-sur-Saône.
CHEF DE L'EXPÉDITION (intrigué)
Vous le connaissez ?
EDWARD
Pas personnellement.
Lise explose de rire. Edward doit vite changer de sujet avant qu'elle ne commette d'autres boulettes historiques.
EDWARD
Et si vous me parliez de vous ?
CHEF DE L'EXPÉDITION
James Clark, je dirige cette expédition.
EDWARD
Enchanté monsieur Clark. Pouvez-vous nous redéfinir les objectifs de cette expédition ? Mes collègues d'Oxford m'ont donné les directives avant de partir, mais vous et moi savons qu'entre ce que l'on écrit dans un bureau et la réalité de terrain, il y a rift !
CLARK (riant aux éclats)
Bien parlé ! Parce que c'est exactement l'objet de notre venue !
Lise ne sait plus si elle doit être impressionnée par Edward ou furieuse contre toute cette mise en scène théâtrale.
CLARK
Mes compatriotes britanniques préfèrent étudier l'Afrique du Nord. Moins sauvage dirons-nous...
EDWARD
Et surtout moins loin !
CLARK (souriant)
Vous marquez un point !
EDWARD
Mais vous ?
CLARK
De toute évidence, j'ai toujours eu un penchant pour les paradis lointains. L'Afrique du Sud m'en a donné pour mon temps et mon argent, enfin... celui de la couronne, surtout...
Lise tente de garder un sourire de façade, cherchant du regard tout indice qui pourrait mettre fin à cette grotesque scène.
CLARK
Vous qui venez d'Oxford, je ne vous apprends rien si je vous dis que la Préhistoire a connu un certain essor ces dernières années en raison des conditions d'investigation particulièrement favorables qu'offrent ces pays du sud traversés par le rift africain ?
EDWARD (acquiesçant)
Un fossé tectonique fossilifère riche en faunes et en hominidés.
CLARK
En effet. Nous avons repéré un nouveau site plus au nord, très prometteur. C'est pour ça que j'ai demandé des renforts. Mais je ne vous attendais pas avant une semaine tous les trois.
EDWARD (étonné)
Pardon, vous avez dit, tous les trois ?
Une voix de femme les fait sursauter derrière eux.
FEMME
Voyons Edward ! Tu n'as pas oublié notre fabuleux voyage pour venir jusqu'à Cap Town...
Edward et Lise se retournent.
LISE
Mais je vous connais vous !! Vous étiez avec nous dans le temple de....
Susan s'approche de Lise pour l'embrasser sur la joue.
SUSAN (lui chuchotant à l'oreille)
Ne dites plus un mot, où nous sommes tous morts !
Clark les regarde s'étreindre, étonné.
SUSAN
Vous permettez que je les brieffe sur le voyage à venir ?
CLARK
Faites donc. Et venez me voir après, pour que j'examine cet artefact.
SUSAN
C'est déjà fait. Il s'agit de billes issues de l'un des dépôts de pyrophyllites vieux de 3 milliards d'années.
CLARK
Vous en êtes certaine ?
SUSAN
Elles sont naturelles, même si elles paraissent artificielles à cause de leurs formes polies et de leurs aspects esthétiques.
CLARK
Bien... On peut dire que vous êtes efficace. Finalement, faire venir des gens d'Oxford n'était pas une mauvaise chose.
Susan sourit en coin.
SUSAN
Si vous me permettez, je vais aller les brieffer.
CLARK
Faîtes.
Susan les entraîne à l'écart sous la tente.
LISE (s'asseyant)
Bon, vous allez tout de suite me dire ce qu'il se passe. Je commence à trouver cette farce très longue.
SUSAN (levant les yeux au ciel)
Mon dieu, vous vous croyez encore à l'époque d'Internet et des réseaux sociaux ?
LISE
À quelle autre époque ??
SUSAN
Edward, tu ne lui as pas dit ?
LISE
Vous vous connaissez ?
EDWARD
Non, mais vous étiez présente avec nous dans le temple.
SUSAN
En effet. Et je suis la seule personne à pouvoir nous faire sortir vivant de ce siècle !
Lise met du temps à intégrer l'information.
LISE
Quel siècle ?
SUSAN
Regardez tout autour de vous !! Vous vous croyez dans un film ?
LISE
De toute évidence, j'ai été droguée.
SUSAN
Ok, alors, faisons les présentations.
Edward sourit. Pour commencer toute bonne discussion, il n'y a rien de mieux que de connaître son interlocuteur, son statut social, sa fonction et ses croyances.
SUSAN
Je m'appelle Susan, je suis, du moins, j'étais la conservatrice en chef du Musée du Caire.
En entendant ces derniers mots, Edward pousse un souffle.
EDWARD
Alors nous sommes sauvés !
SUSAN
À vous, Edward.
EDWARD
Edward Stern, je suis connu dans le monde comme étant le fils de Leonard Stern.
LISE
Je savais bien que je vous avais vu quelques parts !
EDWARD
Accessoirement, je travaille au Washington Post, ou travaillais... depuis une semaine... Je crois... J'ai perdu la notion du temps.
LISE
Pardon, mais pourquoi parlez-vous au passé ?
SUSAN
Parce que notre vie d'avant est révolue.
LISE (sarcastique)
Cette plaisanterie commence à me fatiguer...
SUSAN
Vous n'avez toujours pas compris...
LISE (s'agaçant)
Compris quoi ???
SUSAN
Vous avez reculé dans le temps ou dans une nouvelle dimension parallèle, allez savoir....
LISE (se levant)
Ça suffit ! J'en ai marre !! Les plaisanteries les plus courtes sont les meilleures. Où sont les caméras ?
SUSAN (soupirant)
Il n'y a pas de caméras...
LISE
Où est Steve ?
SUSAN
Qui est Steve ?
EDWARD
Son compagnon, si j'ai bien suivi dans le temple.
LISE (sortant de la tente)
Vous ne voulez rien me dire ?? Soit ! Je vais trouver un Uber et rentrer.
Susan explose de rire.
LISE (vexée)
Adieu !
SUSAN (se moquant)
Bon chance pour trouver un Uber !
EDWARD (étonné)
Vous la laissez partir ?
SUSAN
Elle n'ira pas loin. Une fois qu'elle comprendra que son monde n'existe plus, elle reviendra au galop.
EDWARD
Qu'est-ce qu'on fait à présent ?
SUSAN
Suivez-moi. Je dois vous montrer quelque chose.
Edward hésite.
SUSAN (le rassurant)
Il ne lui arrivera rien, vous verrez...
Susan traverse le site de fouille. Edward la rejoint en pressant le pas.
EDWARD
Vous savez ce qu'il se passe ? Pourquoi avons-nous reculé dans le temps ? Pour quelle raison sommes-nous là ?
SUSAN
Je crois que j'ai ma petite idée.
Edward se tourne. Lise a disparu. Il décide de suivre les conseils de la conservatrice, car quoi qu'il fasse ou dise, l'Américaine ne l'écoutera pas.
SUSAN
Au fait, bien joué pour Oxford. Vous avez assuré.
EDWARD
Quand j'ai compris que nous étions revenus dans le passé, et que j'ai vu mes vêtements d'archéologue, j'ai tout de suite pensé qu'il fallait dans un premier temps sauver les apparences.
SUSAN
J'imagine que ce mantra, votre père vous l'a constamment répété durant votre enfance... Sauver les apparences...
EDWARD (souriant)
On ne peut rien vous cacher.
SUSAN
Et donc vous avez opté pour la plus vieille école britannique formant des archéologues de tout temps.
EDWARD
À vrai dire, j'ai fait une année à Oxford pour me spécialiser.
SUSAN
Quelle disciple ?
EDWARD
L'histoire coloniale...
SUSAN (souriant)
Comme c'est pratique !!
EDWARD
Mon père voulait que je connaisse les rouages du commerce britannique. Des experts de tout temps.
SUSAN
Si vous saviez comme je suis heureuse de l'entendre. Ma spécialité est l'archéologie égyptienne. Si nous avions été téléportés tout en haut de l'Afrique, je pense que j'aurais été d'une grande utilité.
EDWARD
Je suis sûr que vous le serez.
SUSAN
Comme vous êtes charmant.
Susan se stoppe devant un trou creusé dans le sol.
EDWARD (voyant des billes en pierre)
Ce sont les artefacts ?
SUSAN
Oui, j'avais demandé à Clark de vous envoyer tout de suite vers moi dès votre réveil.
EDWARD
Vous êtes sur place depuis combien de temps ?
SUSAN
Ça doit bien faire deux heures que j'arpente ce site, à la recherche de réponses...
EDWARD
Vous avez trouvé quelque chose ?
SUSAN
Seulement ces billes... Elles sont tout ce qu'il y a de plus artificiel....
EDWARD
Mais vous avez dit tout à l'heure qu'elles étaient naturelles....
SUSAN
J'ai menti. Regardez par vous-même....
Edward attrape une bille.
EDWARD
Elles ont l'air très anciennes...
SUSAN
Vous voyez ces motifs ?
EDWARD
Des stries parfaitement parallèles. Incroyable. Qu'est-ce que c'est ?
SUSAN
Je n'en sais encore rien, mais vu leur état de délabrement, je dirais que ces billes ont plusieurs millénaires au compteur.
Elle en glisse une dans sa poche.
EDWARD
Vous comptez l'examiner ?
SUSAN
Oui, sans éveiller les soupçons.
EDWARD
Je ne comprends pas ?
SUSAN
J'ai toutes les raisons de croire que notre venue dans ce monde est liée à ces billes de pyrrhotite.
EDWARD
Vous possédez d'autres informations ?
SUSAN
Que je vous partagerai en temps voulu. En attendant, nous devons trouver un moyen de retourner à notre époque...
EDWARD
Je ne sais même pas comment nous sommes arrivés ici...
SUSAN
Pour l'instant, contentons-nous de faire profil bas et de survivre dans ce monde.
EDWARD
Avec nos connaissances, nous devrions pouvoir nous en sortir.
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