167. Yoruba, l'esclave
Cuba, Santiago, 1512
Hernan Cortès, maire de Santiago de Cuba vient d'être arrêté au petit matin par le gouverneur Vellazquez. Sophie a subitement disparu de la circulation, histoire de se faire oublier pendant quelque temps.
Après une semaine à flâner sur les plages de Cuba, elle retourne à Santiago et subit les foudres de son ami Pedro qui n'a rien pu faire pour empêcher l'arrestation de Cortès. Pour se faire pardonner, elle décide d'aider à construire les villas du quartier des Hidalgos.
SOPHIE (prenant une pause à l'ombre)
Quelle chaleur !
Elle attrape un pichet d'eau et l'avale d'une traite en affichant une moue triste. Thot sourcille.
THOT
Pourquoi cette grimace ?
SOPHIE
Cortès est à présent sous les barreaux et l'esclavagisme ne s'est jamais aussi bien porté !!! C'est quand même dingue !
THOT
Et ça t'étonne ?
SOPHIE
Pas toi ?
THOT
Vellasquez a enfin compris qu'avec de la main-d'œuvre gratuite, ils pouvaient construire des villes rapidement et faire venir les Hidalgos d'Espagne. Et donc... il est en train de construire un empire aux frais de la couronne espagnole...
SOPHIE
Ce gredin a volé les idées de Cortès !! Idées qui je te le rappelle, il combattait ! Je me suis bien fait avoir !!!
THOT
Tu sauras qu'en matière de pouvoir, tous les coups sont permis !
SOPHIE
Je saurais en tenir compte les prochaines fois !
THOT (ricanant)
Si tu ne te fais pas tuer avant, vu ta capacité innée à te mêler des affaires des autres...
SOPHIE (le fusillant du regard)
C'est mon destin, il me semble !! J'en fais ce que j'en veux !
THOT
Soit ! Ça me va ! Ça abrégera mes souffrances à te tenir compagnie.
SOPHIE (le fusillant du regard)
Quel dieu mesquin tu fais...
THOT
Si tu avais eu mon parcours, tu ferais bien pire que moi, crois-moi.
SOPHIE
Discutons-en de ton parcours !
THOT
Je regrette. Je ne suis pas autorisé à te dévoiler ma vie.
SOPHIE (sarcastique)
Tu m'en diras tant...
Elle soupire une fois de plus, en regardant les esclaves travailler sous une chaleur torride.
SOPHIE
Et dire que j'en suis à ma 3ème vie sur 12....
Elle repère un esclave assis, l'air triste.
SOPHIE
Je reviens.
Thot la regarde saluer l'esclave.
SOPHIE
Ça ne va pas Yoruba ?
YORUBA
C'est encore cette douleur au ventre.
Sophie s'assoit à ses côtés.
SOPHIE
Tu veux que je regarde ?
YORUBA
Pas ici... Tu risquerais de t'attirer des ennuis.
Au même moment le maître d'œuvre débarque sur le chantier et les voit tous les deux assis.
SOPHIE (entre ses dents)
Oh non...
MÉTAYER (fonçant vers Yoruba)
Non, mais tu te crois où, le nègre ??!!!
YORUBA
Ça fait des heures que nous travaillons en plein soleil. Nous avons besoin d'eau pour tenir !
L'homme se met à ricaner.
MÉTAYER
Voyez-vous ça.... Tu as besoin d'eau... Et pourquoi pas un brandy tant qu'on y est ??
SOPHIE (intervenant)
Il ne se sent pas bien. Il doit certainement être déshydraté, enfin, assoiffé...
MÉTAYER
Ça fait trois fois cette semaine que je le vois assis là, à se prélasser !!
Yoruba évite de regarder l'homme qui devient tout rouge.
MÉTAYER
Retourne tout de suite au travail !
YORUBA
Je... je n'ai plus de forces...
L'homme sort son arme et la place sous la gorge de l'esclave.
MÉTAYER (sortant son arme)
Eh bien dans ce cas, tu ne nous es plus utile !
Les autres esclaves s'arrêtent aussitôt de travailler, et regardent la scène, effrayés et épuisés.
SOPHIE (s'interposant)
Si vous le permettez...
Sophie tend sa main pour réclamer le fusil.
SOPHIE
J'aimerais m'en occuper moi-même !
MÉTAYER (la dévisageant)
Vraiment ?
SOPHIE
Je veux montrer l'exemple à tous ces ouvriers ! Après tout, je viens sur ce chantier de mon plein gré. Tout le monde devrait en faire autant !
MÉTAYER (sceptique)
Voyez-vous ça... Alors pourquoi vous discutiez tous les deux ??
SOPHIE
J'étais en train de lui dire de retourner rapidement au travail, sinon je m'occupais de son cas.
Yoruba n'en revient pas.
YORUBA (les yeux ronds de stupeur)
Mais enfin.... tu....
Sophie doit réagir et vite avant qu'il la condamne elle aussi. Elle le frappe au visage, le faisant s'écrouler au sol sous le choc.
SOPHIE
Silence esclave quand je parle !!
Le métayer sourit devant tant de brutalité. Yoruba dévisage Sophie, ne comprenant pas ce revirement de situation.
SOPHIE (regardant le maître d'œuvre)
Laissez-moi m'en occuper. Vous avez déjà tué deux ouvriers récalcitrants cette semaine dans la villa voisine. Je me ferais une joie de mettre cet homme sous terre !
L'homme barbu la dévisage un instant. Sophie compte les longues secondes, en essayant de se décrisper le plus possible. Le métayer finit par lui tendre son révolver.
MÉTAYER
Allez-y, et faites ça vite ! (Se confiant) je dois encore aller sur la propriété voisine. Les Hidalgos veulent prendre possession des lieux rapidement. Il va falloir que je trouve d'autres esclaves pour remplacer les deux autres.
SOPHIE
Oui, ce n'est pas une mince affaire... depuis que le Gouverneur les réquisitionne tous pour sa villa.
Le métayer pose sa main sur l'épaule de Sophie.
MÉTAYER
Tout le monde n'est pas comme vous, Diego !
SOPHIE (entre ses dents)
Non... C'est certain...
Sophie se tourne vers Yoruba et lui hurle dessus.
SOPHIE
Toi, suis-moi ! Et dis adieu à tes copains...
Yoruba se met à genou pour l'implorer.
YORUBA
S'il vous plaît ! Je n'avais pas idée à quel point je vous offensais. Je vous en prie.
Sophie l'attrape par le col de sa chemise couverte de poussière.
SOPHIE (lui soufflant à l'oreille)
"Joue le jeu"....
Elle l'entraîne derrière le chantier, et vérifie que personne ne l'espionne, avant de le relâcher.
SOPHIE
Enfuis-toi le plus loin possible d'ici, Yoruba !
YORUBA (tremblant)
Tu... tu me laisses en vie ?
SOPHIE
Bien sûr que oui !! Tu n'as pas choisi ta vie. Alors, choisis ton destin !
YORUBA
Je... je ne sais pas quoi dire.
SOPHIE
Ne reste pas ici, sur cette île. Tu y es en danger avec les Espagnols. Ne leur fais surtout pas confiance !
YORUBA
Tu es.. si différent.
SOPHIE (lui souriant)
Quitte cette île. Ce soir un convoi se rend dans les terres de l'Ouest. Pars avec eux en disant que Diego del Almagro t'a envoyé en renfort. Une fois sur place, enfuis-toi le plus loin possible.
YORUBA
Merci, maître. Je ne vous oublierai jamais !
SOPHIE
Je ne suis pas ton maître, Yoruba. Seulement ton amie.
L'homme l'étreint fort et part en s'enfuyant dans la forêt sous le regard de Thot qui observe la scène avec un grand intérêt.
SOPHIE (sifflant entre ses dents)
Foutue époque !!!
Le soir, elle se rend à la nouvelle maison du Gouverneur Velázquez qui organise un banquet. Son ami Pedro l'attend sous le porche.
PEDRO
Diego, te voilà enfin ! Où est-ce que tu te caches la journée ?
SOPHIE
J'aide les ouvriers à construire les villas voisines.
PEDRO
Vraiment ? Je pensais que tu plaisantais quand tu disais que tu voulais te faire pardonner pour ta conduite récente...
SOPHIE
Eh non... Ma résurrection a entraîné bien des changements dans mon âme.
Pedro la dévisage.
PEDRO
Ce n'est rien de le dire...
SOPHIE (changeant vite de sujet)
Et toi, quoi de neuf ?
PEDRO
Plusieurs expéditions se montent pour rejoindre le Nouveau Monde. Le Gouverneur a de nouvelles informations qu'il va nous partager ce soir.
SOPHIE (sarcastique)
J'ai hâte de les entendre....
PEDRO (murmurant)
Entre nous, je ne l'aime pas beaucoup....
SOPHIE (souriant à pleines dents)
Pourquoi tu dis ça ?
PEDRO
Tu as vu avec quelle rapidité il a enfermé Cortés ?
SOPHIE
Tu as raison ! Il faut rester vigilant.
PEDRO
Si tu veux mon avis, cette histoire de trahison est à dormir debout !
Sophie se contente d'acquiescer et termine son pichet de bière histoire de ne pas s'engouffrer dans cette discussion. Pedro soutient son ami Cortès coûte que coûte. Il va tenter une fois de plus de défendre sa cause durant la soirée.
Velázquez arrive dans le patio.
VELÁZQUEZ (haussant la voix)
Mes amis ! Merci d'avoir répondu nombreux à mon invitation dans ma nouvelle demeure !
La foule le salue.
VELÁZQUEZ
Demeure qui avance à une rapidité incroyable ! Dire qu'hier j'habitais encore à Baracoa, et aujourd'hui j'ai un pied à terre à Santiago !
Il se tourne vers Sophie qui sourit, mal à l'aise.
VELÁZQUEZ
Il faut reconnaître que nous sommes en train de construire là; la société du futur !
Plusieurs personnes applaudissent.
VELÁZQUEZ
Et bien sûr, demain ce sera au tour de la Couronne d'Espagne de nous rejoindre et de voir avec quelle rapidité nous avançons. Nous pouvons être fiers de nous !
Des exclamations de joie se font entendre.
VELÁZQUEZ
Je lève mon verre en l'honneur de la Couronne d'Espagne et de la liberté !
Sophie s'étouffe en buvant une gorgée.
SOPHIE (marmonnant)
Tu parles d'une liberté... fondée sur l'esclavage !! Tss...
Pedro la dévisage, étonné par sa réaction hostile.
SOPHIE (se justifiant en montrant son nouveau pichet)
Il est corsé ce vin !
PEDRO
C'est du jus de raisin....
Sophie se contente d'un clin d'œil mal venu et écoute la suite.
VELÁZQUEZ
Grâce à vous, l'Ennemi de notre empire est à présent sous les barreaux ! Je vous invite tous à l'avenir, à dénoncer ce genre de comportement complotiste visant à renverser l'ordre établi. Nous ne devons pas déroger aux règles édictées par la couronne. Il en va de notre survie !
Plusieurs personnes applaudissent.
VELÁZQUEZ
Et pour vous prouver ma gratitude, je tenais à vous montrer le fruit des premières expéditions dans le Nouveau Monde !
Il se dirige vers la grande table gardée par plusieurs soldats sous le regard intrigué de la foule. Il sort d'un coffre en ivoire deux gros bracelets en or.
VELÁZQUEZ (montrant à la foule)
N'avez-vous rien vu de tel ?!!
Pendant que l'assemblée pousse des cris de stupeur, Sophie pousse un soupir.
VELÁZQUEZ
Comme vous le savez, j'ai accompagné Christophe Colomb dans son deuxième voyage. Je dois savoir me tenir au bon endroit au bon moment. Avec ceci, mes amis...
Il montre une nouvelle fois l'or luisant aux flammes, comme si elles dansaient devant le diable.
VELÁZQUEZ
Avec cet or et avec le commerce d'esclaves noirs que je compte bien intensifier sur l'île, nous allons fonder de nouvelles villes !!
Plusieurs personnes applaudissent.
VELÁZQUEZ
Et j'ai l'immense honneur ce soir de vous partager le nom de la prochaine ville cubaine que je m'apprête à fonder....
Il marque un silence pour captiver son auditoire.
VELÁZQUEZ
La Havane !
Pedro repose bruyamment son verre pendant que la foule applaudit.
PEDRO
Il a repris les idées de Cortés, le mécréant !!! Je te laisse, Diego. Tout ça m'écœure...
Sophie se retrouve seule à la fête à écouter les délires mégalomanes de Vellazquez. Thot la rejoint.
THOT
Tout va bien ?
SOPHIE (sarcastique)
Super !
Elle l'entraîne dans un coin où elle peut parler tranquillement au Dieu égyptien.
SOPHIE (rouspétant)
Je me rends compte que les fondations de notre monde capitaliste ont été construites avec l'esclavagisme.
THOT (soupirant)
Oui... Beaucoup de sociétés ont démarré dans le feu et le sang, le vol et le pillage...
SOPHIE
Il n'y a donc aucune autre façon de procéder ?
THOT
C'est ce que tu dois découvrir...
Bạn đang đọc truyện trên: Truyen247.Pro