153. Santiago de Cuba
Océan Atlantique, an 1514
Après un mois en mer, les navires espagnols arrivent sur une grande île.
Sophie respire l'air marin. Elle commence à s'y faire à ce nouveau corps d'homme, à cette barbe drue et à tout ce jargon marin. Elle a appris à faire des nœuds, pécher du poisson en mer, et tout un tas de choses utiles à la survie en milieu aquatique. Le capitaine Pedro de Alvarado l'a initiée aux cartes maritimes et à l'actualité de la couronne espagnole.
PEDRO
Enfin, nous arrivons ! J'ai hâte de voir ce que ce Nouveau Monde nous réserve comme sort. Et hâte de voir si tes prédictions sur l'or seront avérées...
Sophie se contente d'un sourire. Jamais elle n'a été à Cuba. Elle va pouvoir découvrir les fondations de la ville de Santiago en avant-première.
SOPHIE (regardant la plage de sable blanc)
Cuba ! Nous voilà !
Pedro lui tape sur l'épaule.
PEDRO (hurlant à ses hommes)
Qu'on jette l'ancre. Le banc de sable est dangereux. Nous irons en barque.
Avec quelques soldats, ils débarquent sur la plage immaculée avec leur embarcation.
Sophie a très envie d'embrasser le sable mouillé sous ses pieds, mais se retient.
SOPHIE (poussant un soupir de soulagement)
Enfin, pied-à-terre ! Ça m'avait tellement manqué !!!
PEDRO (montrant un groupe d'hommes au loin)
Voilà le comité d'accueil.
Des Espagnols arrivent sur la plage.
ESPAGNOL
Bienvenue sur l'île de Cuba, mes amis !
PEDRO
Bonjour, je suis le capitaine Pedro de Alvarado d'Estrémadure, et voici mes frères Jorge, Gonzalo, Gómez et Juan, et (présentant Sophie) mon ami Diego de Almagro.
ESPAGNOL
Enchanté. Je m'appelle Juan. J'imagine que vous devez être exténués par ce long voyage. Je vais vous conduire à vos quartiers. Suivez-moi !
Ils remontent un vaste champ couvert de sable et d'herbes hautes. Sophie remarque les ouvriers en train de déboiser et défricher les forêts, formant de longues colonnes de fumée s'étirant sur des kilomètres à la ronde. Ils arrivent à l'entrée d'un village en construction.
JUAN
Bienvenue à Santiago ! Notre nouveau chez nous !
SOPHIE
Vous avez déjà battis d'autres villes sur l'île ?
JUAN
Le Gouverneur s'est attelé à la tâche. En 1511 il a fondé Baracoa, et cette année : Santiago, La Havane et Trinidad !
SOPHIE
Il ne chôme pas votre Gouverneur...
PEDRO
Il a navigué avec Colomb, il me semble.
JUAN
Oui, il a fait partie de l'expédition de Cuba avec son Fils Diego Colomb, devenu gouverneur d'Hispaniola.
SOPHIE
Hispaniola ? Ce nom ne me dit rien.
JUAN
Les locaux l'appellent Haïti.
SOPHIE
Oh, je vois....
Juan fronce les sourcils.
SOPHIE (changeant vite de sujet)
Santiago, pourquoi avoir choisi ce nom ?
JUAN
C'est parce que nous avons posé le pied ici le 25 juillet dernier, en l'honneur de Jacques le Majeur !
PEDRO (précisant)
L'un des douze apôtres qui fut arrêté en pleine période de Pâques à Jérusalem, et eut la tête tranchée...
SOPHIE
Vous n'avez pas peur que ça vous porte malheur ?
Juan et un soldat la dévisagent.
PEDRO (s'approchant de Sophie)
Tu as une prémonition, Diego ?
SOPHIE
Euh, non. Je disais ça comme ça. Rassure-toi.
Elle affiche son plus beau sourire. Juan continue de la dévisager comme si elle était une extraterrestre...
JUAN
Saint Jacques est le patron de l'Espagne, et le protecteur des chevaliers et des orphelins ! Enfin, je ne vous apprends rien... n'est-ce pas ?
Il dévisage Sophie se demandant comment un Espagnol a pu oublier ça.
PEDRO
Excusez mon ami. Il a des problèmes de mémoire, suite à une maladie contractée sur le bateau.
ESPAGNOL
J'espère que votre maladie n'est pas contagieuse dans ce cas...
SOPHIE (souriant à pleines dents)
Aucune chance là-dessus...
Ils entrent dans ce qui ressemble à un campement. Sophie découvre plusieurs maisons en bois.
SOPHIE
Eh bien, vous n'avez pas perdu de temps !
Une voix lui répond derrière elle.
THOT
Par contre, toi si...
Elle sursaute en voyant le Dieu Thot l'attendre dans la contre-allée du village.
THOT
Je me demandais quand tu allais arriver...
Pendant que Pedro discute avec son hôte, Sophie s'écarte pour parler au dieu derrière une charrette remplie de bois.
SOPHIE
Comment se fait-il que je ne te vois jamais en mer ?
THOT
Je n'ai pas le pied marin.
SOPHIE (sourcillant)
Mais sur le Nil, si ?
THOT
Il n'y a pas de vagues sur le Nil...
SOPHIE
Noooon... J'le crois pas, tu es malade en mer ??
Pedro surgit derrière elle.
PEDRO
À qui parles-tu ainsi, Diego ?
SOPHIE (se retournant)
Euh... C'est l'émotion ! Tu verras, ça m'arrive souvent. Ne t'affole surtout pas.
Pedro ne prête plus attention à ses excentricités après un mois de cohabitation en mer.
PEDRO
Viens, je vais te présenter au maire de Santiago, c'est un ami !
Ils remontent le campement prenant des allures de village au fur et à mesure qu'ils avancent.
SOPHIE
C'est chouette ici ! Je n'arrive pas à croire qu'ils aient construit tout ça en quelques mois seulement...
L'espagnol se contente d'un sourire en coin comme réponse.
ESPAGNOL
Ce sont les quartiers des Hidalgo.
SOPHIE
Les nobles, c'est ça ?
ESPAGNOL
Oui. Ils ne sont pas du genre patient. Nous avons dû construire leur quartier avant les nôtres, si vous voyez ce que je veux dire...
PEDRO (soupirant)
Hélas...
Sophie ne semble pas comprendre la référence, et continue de s'émerveiller devant les belles maisons flambant neuves, sentant la peinture fraîche.
Ils arrivent devant l'entrée d'une villa et passent devant plusieurs gardes.
PEDRO (s'exclamant)
Hernando !!!
HERNAN
Ce cher Pedro !! Te voici enfin !! Je me languissais de ta venue !!
Les deux hommes s'étreignent. Pedro se tourne vers Sophie.
PEDRO
Diego, je te présente mon ami Hernán Cortés !
Sophie manque de s'étouffer. Thot lui donne un grand coup de coude.
THOT
Reprends-toi et vite !
SOPHIE (tentant de sourire)
Enchantée. C'est un... horreur, euh, un honneur, bien sûr !
CORTÈS (parlant à Pedro)
On dirait que ton ami a vu un fantôme...
SOPHIE
Toutes mes excuses, je suis... impressionnée...
PEDRO (arrivant à son secours)
Diego est un vieil ami de Castille et aussi le meilleur cartographe que je n'ai jamais vu !!
CORTÈS
Ça tombe bien. J'ai organisé un banquet pour votre arrivée. Il va falloir me raconter ça à table !
PEDRO
Avec joie !
Sophie les laisse passer devant. Elle s'approche de Thot pour lui murmurer quelque chose à l'oreille.
SOPHIE
Tu le savais ?
THOT
Que ce type était là pour vous accueillir, bien sûr ! Il vous attend depuis plusieurs jours et se demandait si vous n'aviez pas coulé en mer...
SOPHIE
Tu sais qui c'est au moins ? C'est l'un des plus grands destructeurs de civilisations d'Amérique du Sud !!!
Pedro se retourne et l'appelle.
PEDRO
Diego, tu nous rejoins ?
SOPHIE
J'arrive !
Elle fusille Thot du regard.
SOPHIE
Toi, tu ne perds rien pour attendre !!
Plus tard dans la soirée,
Le banquet touche à sa fin. Après avoir congédié Thot, Sophie quitte la propriété de Cortès et s'assoit sur un banc tout neuf sur la place de l'église pour réfléchir à ce coup du sort. Pourquoi est-elle là ? Dans quel but ?
Elle est perdue dans ses pensées quand Pedro surgit, complètement éméché.
PEDRO
Tu n'as pas dit un mot de la soirée. Quelque chose ne va pas ?
SOPHIE (se tenant le ventre)
Non... Je crois que j'ai avalé quelque chose qui m'a fait mal.
PEDRO
Vraiment ? Pourtant sur le bateau, j'aurais juré que tu étais increvable !
SOPHIE
La fatigue, très probablement. Où puis-je trouver mes quartiers ?
PEDRO
Ici même !
SOPHIE
Chez Cortès ?
PEDRO
Nous sommes ses invités ! Je te l'ai dit, c'est mon ami.
Sophie entend le rire de Thot derrière elle. Elle se retourne et tente de le trouver caché dans la pénombre des villas.
PEDRO
Un souci ?
SOPHIE
Non, je crois que j'ai besoin de dormir pour avoir les idées plus claires demain !
Le lendemain matin,
Thot trouve Sophie dans le patio en train de jeter des petits cailloux dans la fontaine neuve.
THOT
Bien dormi ?
SOPHIE
Je n'ai pas fermé l'œil de la nuit !
THOT
Tu es enfin décidée à me parler ?
SOPHIE (lui décochant un regard noir)
Pourquoi m'avoir envoyée ici, à cette époque ?
THOT
Je te l'ai dit... Tu dois le découvrir par toi-même.
SOPHIE (les yeux dans le vide)
Les conquistadors n'ont fait que semer la terreur partout où ils passaient. Je ne veux pas faire partie de cette conquête de l'Ouest qui s'est soldée par des exterminations de populations.
Elle voit un homme élégant arriver devant l'entrée de la villa de Cortès avec plusieurs gardes.
HOMME (se présentant aux gardes de la villa)
Annoncez-moi auprès de Cortez. Ici le Gouverneur de Cuba, Diego Velázquez de Cuéllar.
GARDE
Bien, monsieur.
Sophie tend l'oreille en entendant le Gouverneur jurer.
VELÁZQUEZ (parlant à ses gardes)
Comment ose-t-il ! Nous allons le remettre dans le droit chemin, croyez-moi !!
SOPHIE (haussant les sourcils)
Tiens, tiens... On dirait que Cortès ne s'est pas fait un ami... Il faut que j'en ai le cœur net.
Elle se rapproche discrètement de l'entrée pour écouter la conversation, tout en étant cachée de l'autre côté du mur. Cortès sort au même moment de la villa.
CORTES
Mais c'est ce cher Gouverneur ! Comment allez-vous ?
VELÁZQUEZ
Pas de ça avec moi, Cortés ! Vos bonnes manières ne servent qu'à vous draper d'apparence.
CORTES
Vous semblez remonté, monsieur le Gouverneur. Un souci ?
VELÁZQUEZ
Cessez de jouer les idiots ! Un de mes hommes a intercepté votre cargaison à destination des nobles !
CORTÈS
Voyons, ce n'est que quelques attentions pour ces Hidalgos que tout bon maire doit faire à ses convives.
VELÁZQUEZ
Pas de ça avec moi, Cortès !
CORTÈS
Vous savez tout comme moi que faire venir la couronne espagnole à Cuba est plus ardue qu'il n'y paraît. Les nobles ne veulent pas habiter dans des marais ou sur du crottin de cheval... Nous devons construire au plus vite cette ville.
VELÁZQUEZ
Et je vous le répète une fois de plus, nous ne nous lancerons pas dans ce genre de trafic !!
CORTÈS
Vous avez tord, il est très lucratif !
VELÁZQUEZ
Si nous sommes venus pour le Nouveau Monde, c'est pour découvrir tout l'or qu'il recèle ! C'est ça notre objectif, et je souhaite que vous ne le perdiez pas de vue !!
CORTÈS
Bien au contraire ! J'ai cet objectif en tête, croyez-moi ! Mais avant de conquérir le Nouveau Monde, il faut s'assurer de nos bases arrière. Vous voyez ce campement ? Je parie que dans trois ans, les travaux n'auront pas avancé ! Ce ne sera qu'un vulgaire campement avec sa petite église.
VELÁZQUEZ
Vous ferez mieux peut-être ?
CORTÈS
Bien sûr !! Il n'y a qu'à voir les quartiers des Hidalgos. Je leur ai offert une villa en trois fois rien de temps. C'est ça l'avenir, Gouverneur ! Pour continuer à prospérer, à augmenter nos effectifs, nous avons besoin de financements. Tant que nous ne trouverons pas l'or du Nouveau Monde, nous devrons solliciter l'or de la Noblesse espagnole. Et vous savez tout comme moi que l'on n'attrape pas les mouches avec du vinaigre...
Sophie écoute la conversation animée. Thot la rejoint.
SOPHIE
Je me demande quel genre de trafic mène Cortés avec les nobles de Santiago.
Elle ne tarde pas à avoir sa réponse.
VELÁZQUEZ
Nous ferons venir la noblesse espagnole avec d'autres cartes dans nos manches. Il est hors de question que vous fondiez cette ville sur le commerce des esclaves noirs !
SOPHIE
Oh mon dieu !!!
CORTÈS
Vous avez tort, Gouverneur. Et je ne suis sans doute pas le premier à vous le dire. Mais ces esclaves nous permettront d'aller plus vite, de construire une ville en un rien de temps et de consolider notre armée très rapidement !
VELÁZQUEZ
Il en est hors de question ! Nous ferons venir les Hidalgos en leur offrant de nouvelles terres, avec la perspective d'un nouvel Eldorado.
CORTÈS
Ainsi deux visions s'opposent. Celle du vieux monde, la vôtre, et la mienne, celle du commerce sous toutes ses formes.
VELÁZQUEZ
Un Nouveau Monde bâtit sur le feu et le sang ! Quel chef-d'œuvre ! Vous devriez avoir honte !
CORTÈS
Nous trouverons un arrangement, Gouverneur. Nous l'avons toujours fait.
VELÁZQUEZ
Alors, réfléchissez à ma requête.
CORTÈS
J'ai une autre idée à vous soumettre... Vous fondez Trinidad et La Havane comme bon vous semble, et je m'occupe de faire prospérer Santiago avec ma méthode...
Velazquez en a plus qu'assez de ce Cortès. Il cède une fois de plus à son caprice, persuadé qu'il fonce droit dans un mur.
VELÁZQUEZ
Je vous laisse un an, avec votre méthode. Quand vous aurez des rébellions à gérer, nous en reparlerons !
CORTÈS
C'est un accord on ne peut plus viable. Bien, c'est entendu. Je dois vous laisser. Ravi de vous avoir parlé, Gouverneur Velázquez.
Cortès rentre dans sa villa, plantant le Gouverneur sur le seuil de la porte.
De l'autre côté du mur, Sophie sourit à Thot.
THOT
Pourquoi ce sourire débile ?
SOPHIE (parlant doucement)
Ça, c'est le sourire de celle qui va changer l'Histoire avec un grand H !!!
THOT (étonné)
Que comptes-tu faire ?
SOPHIE (se frottant les mains)
Savonner la planche de Cortès !!
Bạn đang đọc truyện trên: Truyen247.Pro