Pentagone, mercredi, deux jours plus tôt 10h

Alors que Tom s'installe dans la salle lui servant de classe, Kate arrive et passe sa tête entre la porte. Elle lui fait signe de venir la voir.

TOM
Bonjour Kate.

KATE
Tu peux venir deux secondes dans mon bureau ?

TOM
Oui.

Ils remontent le couloir et passe devant le bureau de Sun occupée au téléphone. Ils s'installent dans le bureau en face de Juliette. Son bureau est grand ouvert.

JULIETTE (les voyant)
Bonjour Tom ! Comment vas-tu ?

TOM
Bien, merci.

Il lui sourit et disparaît dans le bureau de Kate.

KATE
Ferme la porte s'il te plaît.

Tom s'exécute en souriant une deuxième fois à Juliette. Elle le regarde fermer la porte comme s'il complotait.

JULIETTE
Intéressant...

Dans le bureau de Kate.

TOM
Tu as du neuf ?

KATE
J'ai réussi à plaider en ta faveur. Tu pars à Hawaï !!

TOM
Merci Kate... Comment as-tu fait ??

KATE
Ça n'a pas été aussi simple. Allistair m'a aidé. Mais sache tout de même qu'ils sont furieux que tu partes avant le passage de flambeau. Ethan va pallier à ton départ.

TOM
Ce type est une crème ! Quand part-on nous ?

KATE
Dans trois jours.

TOM
Trois jours ??

KATE
Je sais, il va falloir être patient, mais c'est tout ce que j'ai pu t'obtenir.

TOM
Tracy risque de s'évanouir dans la nature.

KATE
Non, Irina est sur le coup. Elle vous attend et d'après ces dires, Tracy n'est pas prête de bouger. Elle monte un business.

TOM
De quel genre ?

KATE
Je n'en sais pas plus. Je me suis plus occupée de la gestion.

TOM
Pardon, merci, c'est déjà bien.

KATE
Tom... Je voulais te voir aussi pour t'annoncer une mauvaise nouvelle.

TOM
Quel genre ?

KATE
Le procès de Felipe va être repoussé.

TOM
Quoi ?

KATE
On n'a pas encore la date. Mais vu qu'il refuse de coopérer... Il a même entamé une grève de la faim.

TOM
Je ne peux toujours pas aller le voir ? Au moins une fois avant mon départ. Je peux peut-être réussir à le faire parler...

KATE
Tu m'en demandes beaucoup. C'est très compliqué ici d'avoir la moindre autorisation surtout quand on est français.

TOM
Alors, laisse-moi gérer ça tout seul.

KATE
Ne fais rien d'imprudent...

TOM
Je sais... Tu as pu en apprendre davantage sur le frère de Sophie ?

KATE
Oui... Et il n'est pas celui que l'on croit.

TOM
Comment ça ?

KATE
Il a fait l'Académie navale, 5 ans dans les services secrets de la Navy, 6 dans les forces spéciales, ses supérieurs disent de lui qu'il est l'un des meilleurs éléments. Il a été recruté par la CIA comme agent de liaison auprès du Mossad dans une unité d'Élite.

TOM
Il travaille pour Israël ??

KATE
Tu n'ignores pas les relations serrées entre les États-Unis et Israël ?

TOM
Non, bien sûr.

KATE
James est officier de liaison de la CIA travaillant avec le Mossad. J'ignore sur quoi porte son contrat, son dossier est classé confidentiel.

TOM
Et du côté de Desmond ?

KATE
Desmond est son homme de main, comme on dit ici. Il travaille au FBI et il l'aide sur une enquête sur le sol américain, mais je ne suis pas autorisée à accéder à son dossier.

TOM
Donc on sait que dalle sur lui, sauf que Desmond l'a sorti de prison... C'est assez vague en effet.

KATE
Et impossible de le localiser.

TOM
Et du côté de Hugo, tu as pu en apprendre davantage ? Comment est-ce qu'il a pu être au courant de Jaina ?

KATE
Ça c'est le mystère absolu. Je n'ai rien trouvé dans ses mails ou ses échanges. Le mystère est total. Malheureusement je n'aurais pas le temps d'enquêter, mes journées sont remplies.

TOM
Je comprends. Je ne vais pas t'embêter plus.

KATE
Tu ne m'embêtes jamais Tom.

TOM
C'est gentil. Tu pars quand en Europe ?

KATE
En même temps que vous. J'ai un vol à peu près à la même heure depuis New York.

TOM
Alors on fera la route ensemble.

Elle lui sourit. Tom ouvre la porte et voit Juliette chercher un classeur dans l'armoire de son bureau. Il ferme la porte de Kate et commence à remonter le couloir quand une idée surgit dans sa tête. Il fait machine arrière.

TOM (toquant sur sa porte)
Juliette, je me demandais...

JULIETTE
Je t'écoute Tom ?

TOM
Je vais à la machine à café. Ça vous dit un café ?

JULIETTE (se levant en remettant sa jupe crayon en place)
Oui, volontiers.

Elle prend un classeur et le ferme.

JULIETTE
Dire qu'à l'heure du numérique on passe du temps à chercher des documents papier...

TOM
Oui, pas de touche "contrôle F" pour effectuer une recherche indexée...

JULIETTE
C'est exactement ce que je me disais !

Ils prennent leur café dans le hall autour de grandes tables hautes éloignées les unes des autres.

JULIETTE
Tes cours se passent bien ?

TOM
Oui, c'est vraiment très instructif. Les coachs sont excellents. Je voulais vous demander...

JULIETTE (le coupant)
Je sais bien qu'en France on fait la distinction entre le tutoiement et le vouvoiement, mais en Amérique non. Tu peux me tutoyer, ce n'est pas un manque de respect. Je ne le prendrai pas mal.

TOM
Oui, c'est vrai. Je voulais te demander...

JULIETTE
Je t'écoute.

TOM
Ton rôle ici ? Au Pentagone.

Juliette sent la question piège.

JULIETTE
Je suis en charge de mettre en place un plan de communication pour le programme.

TOM
Avec madame Kwon ?

JULIETTE
Je m'occupe uniquement de la partie communication médiatique. Sun s'occupe de la gestion de projet, placé sous la responsabilité du Secrétaire d'État et de son adjoint.

TOM
Jack...

JULIETTE
Jack.

TOM
Je peux être franc ?

Juliette sent venir la deuxième question piège. Tom cherche visiblement à la mettre mal à l'aise, intentionnellement.

JULIETTE
Bien sûr.

TOM
Vous étiez mariés non ?

JULIETTE (étonnée de cette entrée en matière)
Oui...

TOM
Je sais que ce ne sont pas mes oignons...

JULIETTE
Mais tu as repéré l'animosité qui planait entre nous.

TOM
Oui. (Se grattant la nuque) en fait... je crois que tout le monde l'a bien cerné... enfin, cette tension.

JULIETTE (soupirant)
Au moins toi, tu as vu juste.

TOM
Comment ça?

JULIETTE
La plupart des gens pensent que nous sommes d'anciens amants, mais nous avons été plus que ça.

TOM
Washington...

JULIETTE
La capitale du pouvoir et des relations extra-conjugales. Aucune femme n'y échappe. On leur prête à quasiment toutes des relations hors mariage. Pourtant Jack et moi avons été un véritable couple pendant bien des années. A nous deux, nous étions intouchables. On nous surnommait les rocs !

Elle baisse les yeux se remémorant pourquoi ça n'a pas fonctionné. Tom a la décence de ne pas lui demander, même s'il meurt d'envie de savoir ce qu'il a bien pu se passer entre eux. Il revient à la charge d'une autre façon.

TOM
Ça fait longtemps que vous travaillez ensemble ?

JULIETTE
Plusieurs années également.

Elle cligne des paupières. Tom comprend qu'il l'agace. Juliette décide de ne pas prendre de gants.

JULIETTE
Et si tu me disais ce que tu veux réellement savoir ?

TOM
Pardon ?

JULIETTE
Tom, je sais reconnaître quand une personne cherche à obtenir une information. C'est mon métier.

TOM
Vous n'êtes pas une communicante au sens de l'entreprise, je me trompe ?

JULIETTE
Non, pas comme on l'entend. Je suis journaliste, mais je pense que tu l'avais deviné.

Tom acquiesce. Juliette ignore comment il a eu l'information. Tom décide lui aussi de jouer cartes sur table.

TOM
Je le sais car en allant au cimetière, je suis tombé sur vos collègues.

Elle fronce les sourcils. Elle ne s'attendait pas à celle-là.

TOM
Hugo et Miles.

La colère l'envahit. Hugo a décidé d'alerter la planète entière sur sa couverture.

JULIETTE
Tu en as parlé à qui ?

TOM
Kate et moi le savons.

JULIETTE
Oh...

TOM
Mais nous n'avons rien dit. Donc le fond de ma pensée est : pourquoi être ici ?

JULIETTE
À la demande du Secrétaire d'État, comme je te l'ai dit, pour relayer l'information dans les médias. Jack connait mon réseau et il sait qu'il n'a pas le choix si il veut que cette information sorte correctement dans la presse.

TOM
Correctement ?

JULIETTE
Sans déformation, sans fake news ou autre théorie du complot. La plupart du temps, les journalistes se contentent de reprendre l'information dans les médias sans prendre la peine de vérifier les informations.

TOM
Donc tu es la garante de la véracité de ce programme.

JULIETTE
Tu as tout compris. Je connais bien mes homologues et je sais comment les remettre dans le droit chemin. Je fais en quelques sortes le travail d'une attachée de presse.

TOM
Le Pentagone n'en avait pas ?

JULIETTE
Si, mais j'ai pris l'avantage. J'ai obtenu l'information avant tout le monde.

TOM
Je vois. Jack ne voulait pas que le bruit circule et a décidé d'étouffer l'affaire en t'embauchant.

JULIETTE (clignant des yeux)
Je ne l'aurai pas mieux dit.

Juliette voit très bien aussi que Hugo l'a mis directement sur la piste, sans quoi il ne lui aurait jamais proposé de prendre un café.

JULIETTE
Et si tu me disais ce qu'Hugo  t'a dit ?

TOM
Hugo ?

JULIETTE (clignant à nouveau des paupières pour maîtriser sa colère)
Oui.

TOM
Rassurez-vous il ne m'a rien dit sur toi.

JULIETTE
Mais suffisamment pour vendre la mèche.

TOM
Il pensait que j'étais au courant.

JULIETTE
Ne jamais rien confier à un journaliste... Sinon vous retrouvez l'information placardée dans tous les journaux.

TOM
Non, en fait, il m'a parlé de Sophie.

Juliette remballe sa colère.

JULIETTE
Pardon ?

TOM
Il m'a dit l'avoir vue. Tu étais au courant ?

JULIETTE
Il m'en a parlé, effectivement. Mais si tu veux mon avis, je pense qu'il traverse une drôle de période. Je lui ai recommandé de consulter une amie, car je m'inquiète pour lui.

Là, elle ne joue pas. Elle affiche clairement sa peur.

TOM
À quoi ça pourrait être dû ?

JULIETTE
Je n'en ai pas la moindre idée. Il semblait pourtant aller bien.

TOM
Ce n'est pas la première fois qu'il a des hallucinations ?

Juliette le regarde se gardant bien de lui dire qu'il lui est arrivé de faire il y a plusieurs années de ça des séjours en hôpital psychiatrique. Tom le lit dans ses yeux.

TOM
En fait, ce que je ne comprends pas, c'est comment il a ces visions. Je veux dire, il ne connaissait pas Sophie.

JULIETTE
Vous êtes très populaires de par le monde...

TOM
Oui... Mais pas au point d'avoir des hallucinations.

JULIETTE (cherchant à clore la conversation)
Pour tout te dire, depuis qu'il sait que vous êtes à Washington il a passé du temps à vous suivre. Ça a certainement dû lui monter à la tête.

TOM
Nous suivre ?

JULIETTE
Pour essayer de vous filmer lors des... funérailles.

TOM
Oh... je vois.

Autant le discours semble clair comme de l'eau de roche, autant le fait qu'Hugo est cité Jaina ne colle pas avec de simples hallucinations. Tom doit savoir absolument d'où il a eu cette information confidentielle.

TOM
J'aimerais aller lui parler. Tu crois que c'est possible ?

JULIETTE (étonnée)
Oui, je suppose. Mais je ne sais pas si c'est une bonne idée.

TOM
Non, ça va aller. Je vais lui faire comprendre que tout ceci n'est que le fruit de son imagination. Ça me peine de le voir dans cet état.

Juliette comprend immédiatement que Tom lui cache autre chose.

JULIETTE
Et si j'organisais un dîner chez moi ? Qu'en dis-tu ? Ce soir ?

TOM
Euh... Eh bien...

JULIETTE
Pour tout te dire, tout ceci est récent. Hugo est venu me voir ce midi avec Miles pour m'apprendre qu'il avait ces visions.

TOM
Quoi ?

JULIETTE
Je ne l'ai pas prise au sérieux, mais à présent vu qu'il t'a contacté aussi, je m'inquiète réellement. Je préfèrerais éviter de le laisser trop longtemps dans la nature avec de tels délires. Qui sait à qui il pourrait en parler...

Juliette sait très bien où appuyer, sans jouer la comédie.

TOM
Oui... Vu comme ça.

JULIETTE
Il serait judicieux de le convaincre de ne pas ébruiter toute cette histoire. À deux, l'union fait la force.

Tom n'avait pas prévu ça. Il pensait le rencontrer en tête à tête pour lui parler de Jaina. Et hors de question d'aller déranger Kate. Il repense à sa phrase "faire les choses à l'ancienne". Copiner prend du temps, et Juliette peut être une entrée en matière, d'autant qu'il risque de manquer de temps. Son avion décolle dans trois jours.

TOM
Entendu.

JULIETTE
Disons 20 heures à mon appartement. Voici l'adresse.

Elle lui tend sa carte de visite personnelle. À Washington, tout le monde a deux cartes de visite.

TOM
À ce soir...