"Au commencement des temps, les mots et la magie étaient une seule et même chose."  Sigmund Freud

Paris, en soirée

Quelque part dans Paris, une jeune femme menottée marche le long d'un couloir éclairé par une faible lumière bleue, peu rassurante. Ses pas résonnent contre les parois en béton, couvrant le léger grésillement des néons.

SOPHIE
Dites, c'est un véritable bunker cet endroit ! !

L'agent ne lui répond pas.

SOPHIE (grommelant entre ses dents)
Qu'est-ce que je fabrique ici, moi ?

Au bout d'interminables minutes, l'homme s'arrête enfin devant une jolie porte en merisier, tranchant avec le reste du bâtiment en béton armé. Sophie jette un œil de l'autre côté. Le couloir continue jusqu'à se perdre dans la nuit.

SOPHIE
C'est quoi cet endroit ?

L'écho lui renvoie « cet endroit » en triple exemplaire. L'homme s'approche d'un écran digital. Un laser de reconnaissance facial scanne sa rétine.

VOIX OFF
Accès autorisé !

Sophie aperçoit un logo se dessiner sur l'écran et s'approche pour essayer de l'identifier. Le logo disparaît.

AGENT LECLERC (se retournant)
Entrez !

SOPHIE
Oh... Vous avez retrouvé la parole ?

L'homme reste impassible. Elle entre en lui lançant un regard hautain.

SOPHIE
J'espère que le comité d'accueil est un peu plus chaleureux à l'intérieur !

Elle découvre une salle de réunion, déserte.

SOPHIE
Mais ? Il n'y a personne...

L'homme ne dit rien et lui ôte les menottes.

SOPHIE (se massant les poignets)
Enfin ! J'ai cru en l'espace de cinq minutes que j'étais devenue une criminelle !

AGENT LECLERC
Simple précaution.

Elle examine la luxueuse salle de réunion, contrastant avec le couloir morose.

SOPHIE
Vous pouvez enfin me dire ce que je fabrique dans ces locaux ?! Ce n'est pas tous les jours que l'on se fait arrêter par de mystérieux inconnus. Je ne sais même pas pour qui vous travaillez !

De toutes les possibilités qui s'offrent à elle, une seule émerge dans son cerveau laser.

SOPHIE (ouvrant de grands yeux)
Si ça se trouve, je suis en train de me faire kidnapper par une organisation criminelle !!

La possibilité devient idée, l'idée atteint des sommets. Sophie ouvre la bouche.

SOPHIE
Oh mon dieu !!! Si ça se trouve, vous allez me revendre dans des circuits de prostitution...

L'agent Leclerc la dévisage.

Sophie n'arrive pas à lire l'expression dans son visage.

AGENT LECLERC (mettant court à son délire rapidement)
Veuillez attendre ici ! Quelqu'un va vous recevoir.

Il sort de la salle de réunion.

SOPHIE (dépitée)
Génial... Je dois être dans un mauvais rêve... C'est ça, c'est un mauvais rêve. Réveille-toi Sophie. Allez, réveille-toi ! (Se pinçant) Aïe ! Ah ben non...

Au bout de plusieurs minutes d'attente, elle commence à faire les cent pas. Un dossier posé à l'autre bout de la table attire son attention.

Elle se rapproche discrètement.

SOPHIE
Voyons voir... 

Elle regarde à droite, puis à gauche. Personne.

SOPHIE (lisant le titre du dossier)
« Projet I-Alpha — S.D. ». Qu'est-ce que c'est que ce truc ?

Elle ouvre discrètement le dossier... avant de ressentir un subtil changement dans le décor. Elle relève les yeux et sursaute.

SOPHIE
Oups !

La baie vitrée jusque-là opaque est devenue transparente. Un homme barbu d'une soixantaine d'années se tient derrière et l'observe avec méfiance.

JACQUES (parlant au travers de la vitre)
Ne touchez pas à ça !

La grande baie coulisse. L'homme entre dans la salle de réunion. Il porte un costume rayé bleu gris, de bonnes factures, mettant en valeur ses yeux bleus perçants, et ses cheveux blancs. Sophie lui jette son plus beau sourire denté.

SOPHIE
Pardon ? Je n'ai pas bien entendu...

JACQUES
Je disais, ne touchez pas à ça ! Sauf si vous voulez aller en prison...

SOPHIE
Comment ça ??

JACQUES
« S.D. » pour Secret Défense !


SOPHIE (reposant le dossier délicatement)
Ah... Pourtant sur le carton d'invitation, il n'y avait pas marqué « Défense » de toucher !

L'homme s'avance vers elle, et lui tend la main.

JACQUES
Bonjour, je m'appelle Jacques Barreau.

Elle se contente de regarder sa main, tout en levant un sourcil interrogateur.

SOPHIE
On m'arrête pour quoi au juste ?

JACQUES
Ce n'est pas une arrestation.

SOPHIE
Une proposition ?

JACQUES
Une collaboration !

SOPHIE
Vous travaillez pour qui déjà  ?

JACQUES
Je suis le directeur d'Interpol !

SOPHIE
Interpol? (Reculant d'un pas, réalisant) L'Interpol ?!

JACQUES
Oui, l'organisation internationale de police criminelle.

SOPHIE
Ah non, désolée, je ne touche pas à ça !

JACQUES (impassible)
Et pourtant, vous n'avez pas le choix.

SOPHIE
J'ai juste grillé la priorité à un cycliste ce soir. Ce n'est pas suffisant... (S'apprêtant à quitter la salle) Si vous voulez bien m'excuser...

Jacques referme la baie vitrée avec son iPhone. Sophie voit son reflet et sa tête mécontente.

SOPHIE
Euh... Vous ne m'avez pas précisé le type de collaboration, si je ne m'abuse...

JACQUES
Je n'en ai pas eu le temps !

SOPHIE
Je suis bavarde... trop... peut-être.

Jacques lève les yeux au ciel et appuie à nouveau sur l'iPhone. La lumière devient plus tamisée. Un grand écran holographique s'allume sur l'estrade.

SOPHIE
Waouh ! On trouve cet écran dans le commerce ??

JACQUES
Pas encore, mais ça viendra. Très bien, prenez une chaise, je vous explique de quoi il en retourne.

Sophie s'assoit en bout-de-table.

Le logo d'Interpol se matérialise en hologramme.

 Suivi des lettres " I-ALPHA".

JACQUES
I-ALPHA désigne le nom du projet sur lequel vous êtes recrutée.

SOPHIE
J'ai bien entendu le droit de décliner l'offre, si le salaire ne correspondait pas à mes attentes ?

JACQUES
Ce n'est pas envisageable.

Une large baie informatique remplie de plusieurs serveurs prend forme sur l'hologramme.

JACQUES
Je vous présente I-Alpha !

SOPHIE
Ce tas de ferraille ?

JACQUES
Bien sûr, ce n'est qu'une représentation sommaire. I-Alpha est le nom donné à une Intelligence Artificielle.

SOPHIE
Oh là... Une Intelligence Artificielle... c'est Matrix, c'est ça ? Et je suis néo ??? Non, non, mon commandant, vous vous êtes trompé de poulain. Je n'y connais rien en informatique. Vous perdez votre temps.

JACQUES (levant les sourcils, désespéré)
Nous sommes d'accord sur ce point. Mais si vous le permettez, je vais vous expliquer de quoi il en retourne. I-Alpha a été créée par des scientifiques de l'université de Berkeley.

Le logo de l'université apparaît et pivote.

JACQUES
L'objet de leur expérimentation devait porter sur la possibilité pour l'homme, de générer une conscience universelle, via un circuit fermé.

SOPHIE
Et ils ont réussi, vos scientifiques ?

JACQUES
Oui. L'intelligence s'est développée de façon exponentielle. Elle s'alimentait dans un premier temps à travers les bases de données des serveurs fournis par les scientifiques. Mais un petit malin a pris connaissance du projet et a réussi à entrer dans le circuit, qui je vous le rappelle était...

SOPHIE
Coupé de l'extérieur.

JACQUES
Exact. I- Alpha a pris son envol et s'est échappée dans les limbes du numérique.

SOPHIE
Mais vous êtes sérieux quand vous parlez de conscience ? Comment une entité composée de binaire peut ressentir ou penser par elle-même ?

JACQUES
Nous savons que c'est possible. Ses géniteurs l'ont démontré par tout un tas de démarches empiriques et de tests comportementaux.

SOPHIE
Si vous le dîtes... Et elle s'est manifestée, après sa fuite ?

JACQUES
Oui. Et c'est bien ce qui nous inquiète.

SOPHIE
C'est-à-dire ?

JACQUES
Les scientifiques ont été assassinés...