Une semaine. Ça faisait une semaine que Chan n’avait pas avancé dans ses missions. Il redoutait tellement de se retrouver en situation de stress qu’il préférait ne rien faire du tout. Il avait joué les aveugles des jours durant, allant même jusqu’à tirer les rideaux sur la fenêtre où s’affichait le timer.

Pourtant il n'était pas non plus resté qu’au loft, bien au contraire. Il avait passé beaucoup de temps au café à parler avec le barista, avec qui il familiarisait de plus en plus. Il s'était vu faire plusieurs passages dans la boutique de Minhye pour renflouer un peu sa garde-robe, et celui-ci avait réussi à lui faire aimer des vêtements qu’il n’aurait jamais pensé mettre auparavant. Il n’était pas retourné au Black Moon, et n'avait donc pas recroisé Jeonghoon. Mais il espérait que celui-ci aille bien.

Il menait une petite vie tranquille dans le déni total de son but initial. Pourtant, les messages de son boss se multipliaient sur son téléphone alors il avait fini par complètement l'éteindre. Ce n’était pas qu’il avait tout laissé tombé du jour au lendemain, mais il craignait tellement de recroiser Junghwa qu’il préférait sacrifier certaines choses pour ne pas se retrouver à nouveau face à lui. Même des années plus tard, il était encore sous emprise.

Pourtant, il devait bien finir par s’activer, et puis il commençait à avoir fait le tour de son quartier, qui n’était pas non plus très animé. Il commençait à tourner en rond et à se retrouver de plus en plus enfermé dans la solitude de son loft. Alors, après une semaine passée à ne rien faire, il ralluma enfin son portable qu’il avait laissé à l’abandon.

Plusieurs notifications se mirent à sonner, indiquant de nombreux messages reçus et non lus de la part de son boss. Ce fut avec une certaine appréhension qu’il ouvrit la conversation pour lire tout ce qui lui avait été communiqué. Il y avait des informations sur sa prochaine mission, des mises en garde et puis des menaces. S’il ne s'exécutait pas au plus vite, il risquait de goûter aux conséquences. Mais des répercussions il en avait assez.

Alors, il fouilla dans sa penderie fraîchement refaite pour en tirer un costume bleu marine, que Minhye lui avait conçu sur mesure. Il n’était pas certain que ce soit le genre de vêtement à porter pour un entretien de ce type mais au moins il ferait chic et ferait sûrement bonne impression. Il n’avait que rarement porté de costume dans sa vie, pour ne pas dire jamais, mais le vendeur lui avait tout expliqué pour s’assurer qu’il le porte correctement. Il avait un peu eu l’impression d’être traité comme un gamin mais, au moins, il était sûr de ne pas faire un pas de travers.

Il s’était rapidement préparé, sachant très bien que son boss lui avait programmé un rendez-vous pour le jour même. Et s’il voulait être à l’heure, il se devait de ne pas traîner plus que ça. Ses gestes étaient lourds et dénués d’envie, il ne voulait absolument pas s’y rendre. Il avait réussi à éviter au maximum les situations stressantes et voilà qu’il se jetait à nouveau tout droit dans la gueule du loup.

Il rassembla rapidement quelques affaires et quitta son loft pour prendre la route. L’agence ne se trouvait pas si loin que ça, même s’il n’était jamais passé devant. Il essayait de ne pas s’encombrer l’esprit plus que nécessaire mais il n’avait pas d’ancrage pour l’aider. Chan allait devoir rester complètement lucide et conscient tout au long du trajet.

Pour le moment, il passait dans des rues qu’il connaissait à force de les avoir parcourues en long, en large et en travers. Il pouvait même dire qu’il les connaissait mieux que celles de son quartier d’origine. Le petit parc sur la droite, ou le restaurant indien caché entre deux ruelles, il savait où se situaient les meilleures adresses. C’était surtout à force de parler avec le barista du café qu’il en était venu à connaître autant de recoins. Par moment, il ne se reconnaissait plus, il était beaucoup moins craintif dans la rue qu’avant. Le café était devenu comme une safe place, au même titre que son groupe Discord.

Les arbres se succédaient sur le trottoir et le gros building de l’agence se dessinait au bout de la rue. C’était l’un de ces grands bâtiments modernes et entièrement vitrés qui comptabilisaient une centaine d'étages. Chan avait presque le vertige à le regarder, il le surplombait de toute sa hauteur, donnant l’impression de dominer les alentours.

Il se retrouva face aux portes automatiques du bâtiment. Il voyait des hommes et femmes d’affaires aller et venir, tous tirés à quatre épingles. Il avait l’impression d’être un intrus au milieu de tous ces employés, mais il avait un rendez-vous et il devait s’y tenir, il n’avait plus le choix. Chan se mêla aux autres, en essayant d’avoir l’air naturel, et finit par se retrouver devant l'accueil de l’agence où une plusieurs femmes se tenaient à leur poste. Il ne savait pas vers laquelle aller, il avait l’impression qu’elles se ressemblaient toutes. Une des femmes finit par le regarder par-dessus ses lunettes et lui fit un signe de tête pour lui dire de s’approcher.

- Vous êtes ? dit-elle d’un ton sec.

- Euh, Bang Chan…

La femme pianotait à une vitesse ahurissante sur son ordinateur, dans des gestes mécaniques et précis, presque agressifs, qui perturbèrent Chan.

- J’ai rendez-vous avec…

- Monsieur Kim, je sais. Salle D004 au treizième étage.

Chan avait à peine pu en placer une qu’il se faisait déjà jeter par la secrétaire sans aucune vergogne. Mais au moins il avait les renseignements qu’il souhaitait, il ne restait plus qu’à trouver comment s’y rendre. Une lignée d'ascenseurs se trouvait non loin, vomissant une quantité phénoménale de personnes. Chan ne se voyait pas du tout prendre un ascenseur et se retrouver complètement submergé par la foule. Rien que d’y penser, un frisson d’angoisse courut le long de son dos.

Après quelques instants de repérage, son regard tomba sur une porte qui menait vraisemblablement à une cage d’escalier que peu de monde avait le courage d’affronter. Treize étages, c’était long. Il savait que ça allait être une grosse épreuve mais ça ne serait jamais pire que les ascenseurs.

Chan entama l'horrible ascension des escaliers. Ils ne faisaient que tourner sur eux-mêmes, dans une ronde infernale qui semblait sans fin. Chaque palier à atteindre paraissait plus dur que le précédent, chaque marche devenait un supplice. Chan sentait ses cuisses lui brûler sous l’effort qu’elles devaient fournir, et sa respiration devenait de plus en plus anarchique. Il savait qu’il serait complètement épuisé une fois arrivé.

Son but final finit par se dessiner quelques marches plus haut. Une grosse plaque portant fièrement le chiffre treize se dressait en haut de la porte d’un palier. Chan parvint enfin au bon étage, il était complètement essoufflé et quelques gouttes de sueurs perlaient sur son front. Il ne lui restait plus qu’à trouver la bonne salle en espérant avoir le temps de souffler un peu.

Les couloirs étaient longs et assez larges, desservant une quantité astronomique de portes. Le silence régnait et pourtant Chan avait l’impression que ça grouillait de partout. Tout le monde était plongé dans son travail et personne ne se calculait, même pas un regard ou une salutation, c’était chacun pour soi. Chan essayait tant bien que mal de trouver la salle de réunion quand une pensée surgit soudainement dans son esprit.

Il n’avait rien préparé. Mis à part le contrat à signer, il ne savait absolument quoi dire pour les convaincre de signer. Chan se sentait comme le dernier des abrutis de ne pas y avoir pensé plus tôt, il était tellement dans son monde qu’il n’avait pas songé au reste. Mais c’était trop tard, l’heure tournait et il voyait les numéros de salles défiler sous ses yeux, se rapprochant de celle qu’il cherchait.

Chan arriva malgré lui devant la porte, voyant que des gens l’y attendaient déjà. Il remit quelques mèches rebelles en place et frappa à la porte avant d’entrer. Tous les regards se tournèrent vers lui, le fixant comme une bête de foire. Il se sentait épié de tous les côtés mais entra timidement dans la salle, s’approchant à pas feutrés de la dernière place disponible, les yeux rivés au sol. Ses mains se posèrent sur le dossier de la chaise pour qu’il puisse se tenir à quelque chose et il s’inclina devant les autres personnes.

- Bonjour… Je suis Bang Chan, l’envoyé de la Cheong Corp.

Une jeune femme au visage tiré se redressa pour s’adresser aux autres.

- Maintenant que tout le monde est enfin là, nous pouvons commencer.

Chan déglutit et releva les yeux vers les autres personnes présentes autour de la table. Il y avait deux hommes assez âgés à sa gauche, semblant prêts à en découdre avec toute personne qui pourrait les contrarier. À sa droite, il y avait un jeune qui semblait être à la charge de la femme qui avait parlé, assise à ses côtés. Et quand Chan posa son regard sur la personne assise en bout de table, face à lui, il crut vomir.

Il était là, le fixant déjà avec un léger sourire en coin. Jeon Joon-hui, le plus violent de la bande du lycée. Chan avait l’impression qu’il pourrait le dévorer avec un simple regard. Ses oreilles bourdonnaient tellement qu’il entendait à peine ce qu’il se disait autour de lui. Ses mains étaient devenues moites au point d’en froisser la feuille qu’il tenait. Tous ses sens étaient en éveil mais complètement confus par la panique qui montait. Il savait que ces négociations allaient être très longues.

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Ici un chapitre qui marque un petit tournant dans l'histoire 👀