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Enio habitait à Bourges, qui était pile sur le trajet d'Aell et Orlann pour rejoindre le village de Roy. Ils s'y arrêtèrent donc pour une nuit, et les deux hommes s'entendirent à merveille, mille fois mieux que ce qu'Aell avait pu imaginer. Ils échangèrent leurs numéros de téléphone et se promirent de s'appeler ; et Aell et son ami suédois déplièrent le canapé-lit pour se coucher. Le silence profond de la nuit laissa la place à l'agitation qui régnait en journée dans la famille d'Enio – quatre enfants et leurs deux parents, ça fait un paquet de monde.
Aell se glissa entre les draps froids et se tourna vers Orlann avec un sourire :
— Je suis contente que vous vous entendiez bien, mon frère et moi. Si vous devenez amis, ça m'offrira un prétexte pour le voir plus souvent.
— Tu aimerais le voir plus souvent ?
— Oui, évidemment... Il est extraordinaire, Enio, et on commence enfin à construire une relation ensemble, après des années de gâchis.
— Toi aussi, tu es extraordinaire, murmura Orlann en abandonnant le français pour passer en suédois.
Son regard passait de l'un des yeux d'Aell à l'autre, indécis, incapable de se poser. Elle prit une grande inspiration et regarda ailleurs, nerveuse.
— Tu sais, parfois, j'ai peur de ne pas être assez bien pour les personnes de mon entourage. Ma famille, mes amis... toi, aussi. Il n'y a que pour mes chiens que je suis certaine d'être comme il faut.
— Je t'assure que tu es comme il faut pour moi aussi. Je ne peux pas parler pour les autres, mais je suis certain qu'ils t'aiment comme tu es aussi. Tu n'as pas à être « assez » ou « comme il faut ». Sois juste toi-même, c'est comme ça qu'on t'aime.
— Ah oui ? Tu m'aimes, toi ?
Il baissa les yeux en rougissant légèrement.
— Bien sûr, Aell.
Elle rapprocha sa tête de la sienne sur l'oreiller, planta fermement son regard dans le sien.
— Moi aussi, je t'aime, Orlann.
— C'est gentil.
Il posa doucement la main sur sa joue, puis son cou, sa nuque. Une flamme s'était allumée dans ses prunelles. Aell toucha son torse du bout des doigts, effleura son menton. De quoi avait-elle envie ? Elle n'aurait su le dire quelques minutes plus tôt mais à ce moment précis, à l'instant où ils commencèrent à se mouvoir dans l'obscurité, elle sentit ce désir profond, ce besoin charnel de le sentir contre elle.
Elle n'avait connu que l'intimité de Roy, jamais personne d'autre ; bien sûr, elle avait expérimenté un bel éventail de plaisirs solitaires, mais rien n'égalait la sensation du cœur d'un autre humain battant contre sa poitrine, la sensation de caresses brûlantes, le souffle d'un homme sur sa peau. Elle était à fleur de peau, ce soir-là, un geste maladroit l'aurait brisée ; Orlann ne fit rien de travers. Par un miracle tombé du ciel, il était et faisait exactement ce dont Aell avait besoin à cet instant. Le temps s'évapora, tout fut d'une fantastique intensité, et même après le point culminant du plaisir, les caresses continuèrent, ils redoublèrent tous deux de tendresse. Ils s'endormirent dans les bras l'un de l'autre, nus, apaisés, chacun de leurs muscles détendu.
•••
Le réveil ce matin-là fut pour le moins douloureux. Les souvenirs de la veille frappèrent Aell de plein fouet et semèrent la confusion dans son cerveau. Elle ne quitta pas Orlann des yeux pendant le petit-déjeuner, cherchant à comprendre d'où était venue cette attraction, cherchant des miettes d'affection amoureuse au fond de son cœur sans succès ; pourtant sa peau l'appelait toujours, elle se remémorait leur nuit fiévreuse et ne pensait qu'à la réitérer. Alors pourquoi ne se sentait-elle pas amoureuse ?
— Ça m'a fait plaisir de te voir, dit Enio à sa sœur lorsqu'ils se retrouvèrent seuls à débarrasser la table, tandis que le reste de la famille et Orlann étaient sortis au parc.
— Ça m'a fait plaisir aussi, sourit Aell.
Elle aligna les assiettes dans le lave-vaisselle et laissa échapper un soupir involontaire qui retint l'attention d'Enio.
— Tout va bien ?
— Oui, oui, ne t'en fais pas...
— C'est à propos d'Orlann ?
— Non, je... si. Oui, c'est à propos d'Orlann.
— Ça ne se passe pas bien dans votre couple ?
— Couple !? Mon dieu. On est amis !
— Oh, excuse-moi ! Je pensais que... enfin, vous n'avez pas été spécialement discrets hier soir, alors j'ai supposé que vous étiez ensemble et que tu avais voulu le faire passer pour un ami... Désolé...
— Non, je... C'était la première fois qu'une telle chose arrivait, hier soir. Je ne sais pas ce qui a déclenché ça, ni ce que ça va devenir. Navrée de vous avoir dérangés...
— Ne sois pas ridicule, ça ne nous a pas dérangés du tou. Tu veux m'en parler ? C'est peut-être trop frais pour que tu y aies vraiment réfléchi ?
— Je ne sais pas... Je suppose que c'est trop récent, oui. Je ne sais plus vraiment où j'en suis, pour être honnête. On aura le temps d'en discuter dans la voiture !
— Il vous reste deux heures de route, c'est ça ?
— Grand maximum, oui.
— Tu as hâte de revoir Roy ? Ah, l'époque où tu l'appelais ton prince charmant me manque... Tu étais attendrissante que tu parlais de lui.
— Parfois je me demande si je tomberai à nouveau amoureuse, tu sais. C'est le seul homme que j'aie jamais aimé.
— Comme ça doit être simple, une vie sans sentiments qui partent dans tous les sens !
— Attention, on parle seulement de sentiments amoureux, là ! Pour ce qui est de l'anxiété et de la confiance en moi, c'est moins facile !
— Je plaisantais, Aell, s'amusa Enio. Allez, va préparer tes affaires, vous allez finir par être en retard.
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