Finn, Krista, Aell et Archie firent leurs premiers pas dans la campagne suédoise sur le coup de midi. Émerveillée, Aell écoutait les craquements de la neige sous ses pas, sentait le froid lui grignoter le visage, admirait le paysage entièrement recouvert de poudreuse : les sapins étaient saupoudrés de blanc, le sol était d'une blancheur uniforme, le lac qu'ils contournaient était couvert d'une épaisse croûte de glace d'un bleu givré. Quelque chose se réveilla en Aell à l'instant où ses compagnons de route cessèrent de discuter pour laisser la parole au silence. Elle eut l'impression qu'elle se reconnaissait dans cet environnement, que tout se calmait et se reposait enfin en elle. Elle ne sentait plus le bout de ses doigts, pourtant elle se sentait bien, si bien qu'elle finit par se demander si quelque chose clochait chez elle : pourquoi tombait-elle amoureuse de ce paysage qui cherchait à lui congeler les os ?

Elle n'osa dire un mot de toute leur promenade, de peur de briser le charme, de peur que ses pensées reprennent leur inlassable ballet, de peur de réveiller tout son monde intérieur qui avait enfin réussi à s'assoupir. Elle libéra Archie de son harnais de travail pour le regarder gambader dans la neige, la goûter, s'y rouler, trotter à ses côtés en levant vers elle ses yeux pleins d'amour et de joie. Ce chien était un perpétuel rayon de soleil dans le quotidien d'Aell.

Vint le moment de retourner à la voiture, et Aell poussa un petit soupir de regret, qui n'échappa pas à Krista.

— Tout va bien, Aell ?

— Oui, ne t'en fais pas. J'ai beaucoup aimé ce petit tour, j'ai l'impression d'être plus apaisée que jamais.

— Je vois exactement de quel sentiment tu parles, sourit Krista, je le ressens aussi. C'est ce qui rend la Suède si unique à mes yeux : c'est le seul endroit où je parviens à me sentir aussi calme.

Ils remontèrent en voiture et Finn et Krista passèrent une bonne heure à raconter leurs enfances respectives, à la campagne pour l'une et en centre-ville pour l'autre. Aell ne les écoutait qu'à moitié, restée en partie dans cette forêt de conifères enneigés et endormis par l'hiver. Tombée amoureuse, c'était la bonne expression. Elle ressentait cette attraction, cette incapacité à penser à autre chose, cet élan du cœur qui caractérise l'amour, ou du moins l'attirance portée à son apogée.

Ils ne s'arrêtèrent pas à nouveau avant de parvenir au chalet qu'ils avaient loué : ils voulaient arriver avant les heures les plus sombres et les propriétaires les attendaient pour leur remettre les clés. Aell jeta donc un dernier regard impatient aux arbres environnants avant de se laisser engloutir par la chaleur régnant à l'intérieur de la maisonnette.

— Et si on sortait se promener dans la nuit ? proposa Aell sur un ton enfantin qui lui fit brièvement penser à Roy.

— Il y a des ours, se contenta de répondre Finn tout en déballant sa valise.

Krista se mit à rire, amusée de l'innocence d'Aell. Ils dînèrent de nouilles trop cuites avant de s'installer en cercle (ou en triangle selon le point de vue) sur le grand lit de la chambre de Finn et Krista. Aell se chargea d'allumer une myriade de bougies de toutes tailles, couleurs et formes tandis que Krista rassemblait les couvertures dispersées dans la maison, et que Finn choisissait une playlist.

Enfin prêts à passer une bonne nuit, ils se regardèrent, souriants, et Krista prit la parole la première :

— Alors, Aell, ça a l'air de te plaire, ce que tu as vu de la Suède ?

— Ça oui, c'est certain ! Je ne crois pas avoir un jour autant aimé un endroit. On dirait une sorte d'Irlande gelée, moins accueillante, plus rude, qu'il faut mériter pour apprécier.

— L'Irlande est plus douce, c'est sûr, renchérit Finn. C'est ça qui m'attire dans l'Irlande, d'ailleurs.

— Je suis d'accord avec Finn, mais on adore aussi nos excursions annuelles ici ; ça nous fait toujours un bien fou.

— Je comprends pourquoi, assura Aell.

Son cerveau était en ébullition à présent, brûlant d'impatience de se balader à nouveau dans la neige, de retrouver ce sentiment inimitable, imaginant une vie utopique dans ces contrées gelées.

— Tu as la tête de quelqu'un qui pense à déménager, plaisanta Krista en la poussant du coude.

Aell esquissa un sourire coupable.

— C'est un avis spontané, décréta Finn, on en reparlera demain matin, quand tu sortiras Archie dans le froid.

Aell haussa les épaules. Ce n'était pas l'avis de Finn qui changerait le sien.

Quelque chose d'indéfinissable de produisit entre eux trois cette nuit-là. Ils se remémorèrent chaque instant de l'année passée, chaque moment passé seul ou entouré, heureux ou déprimé, en forme ou épuisé. Au fil des heures, ils retiraient des couches de leur armure mentale et se dévoilaient un peu plus, laissaient entrevoir une plus grande part de leur intimité, de leur identité profonde. Leur discussion finit par aller bien au-delà de cette année-là. Ils se découvrirent dans leur entièreté et leur complexité, dans la diversité et le poids de leurs expériences.

Et lorsqu'ils s'endormirent les uns sur les autres, leurs membres emmêlés, sur le lit, ils ne faisaient presque qu'un.