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Aell fit ses premiers pas dans la rééducation canine durant les semaines qui suivirent son arrivée en Irlande. Finn remarqua bien vite sa capacité à se mettre à la place du chien pour mieux le comprendre. Elle regorgeait d'imagination pour inventer toutes sortes d'exercices destinés à faire réfléchir le chien et résoudre ses soucis, parfois en douceur, parfois avec des chocs mentaux, mais toujours dans le but de "discuter" avec le chien pour lui faire comprendre ce qu'il faisait de travers.
D'autre part, elle trouva bien vite une collocation à Athlone, la ville la plus proche de son lieu de travail. Elle vivait donc avec deux étudiantes, Ella et Erin, une chatte qu'Archie terrifiait, et approximativement quarante-trois plantes – l'addiction d'Erin.
Aell déjeunait souvent avec Finn et Krista, cela lui évitait d'avoir à rentrer chez elle entre midi et deux. Elle évitait à chaque fois de regarder trop longtemps le petit Thomas, de peur que son cœur se brise encore un peu plus. La douleur due à l'absence de Leios ne semblait décidément pas vouloir s'estomper.
— On a vu les futurs propriétaires d'un chiot, déclara un Finn souriant ce midi-là.
Leurs séances s'étaient bien passées, alors la bonne humeur était au rendez-vous.
— Ils voulaient nous voir avant de récupérer leur chien pour être sûrs de ne pas faire de bêtises.
La conversation dériva vers les premiers mois d'Archie, l'arrivée des chiens de Finn chez lui – Aell apprit qu'ils venaient de refuges –, les bêtises que les chiots avaient pu faire.
Finn quitta la table pour prendre un coup de fil, et Krista se pencha aussitôt vers Aell :
— Dis-moi Aell, tu ne m'as pas l'air dans ton assiette chaque fois que Thomas est dans la pièce. Tu n'aimes pas les enfants ?
Les larmes montèrent aussitôt aux yeux d'Aell.
— Non, ce n'est pas ça ; au contraire, j'aime beaucoup les enfants. Simplement... j'ai perdu un bébé il y a quelques années.
L'expression de Krista se décomposa :
— Oh mon dieu, je suis désolée. Je suis si maladroite. Je suis désolée pour toi, Aell. Tu veux en parler ou tu préfères parler d'autre chose ?
— Je veux bien en parler... Je n'ai pas beaucoup l'occasion d'en discuter.
— Je suis là.
Krista serra la main d'Aell dans la sienne et esquissa un sourire empreint de compassion.
— Je tenais tellement à ce bébé. Nous l'avions appelé Leios, mon ancien conjoint et moi. Il promettait d'être un beau garçon, il était tout blond et rose. Il y a beaucoup de bébés moches, mais lui, il était magnifique.
— Il devait tenir de toi, assura Krista.
— De son père, Roy, surtout. Ils avaient déjà la même expression du visage. J'ai eu l'impression que mon cœur implosait quand Leios est mort. Je n'avais jamais rien ressenti d'aussi violent... Et la douleur sur les traits de Roy, ça m'a tuée de l'intérieur aussi.
— Je n'ose pas imaginer ce sentiment...
— Oh, il ne vaut mieux pas. Neuf mois à imaginer le bonheur que serait cette parentalité, les nouvelles habitudes qu'il faudrait prendre, les nouvelles joies que cet enfant nous apporterait... On était allés voir mes parents, Roy et moi, pour leur annoncer la nouvelle ; mon ventre avait déjà commencé à s'arrondir. Tout le monde était tellement content pour nous, tellement impatient que Leios arrive... Je ne leur ai pas annoncé sa mort avant un mois, au moins. Ça me faisait trop mal de me représenter ses joues grises, le froid de sa peau...
Elle se moucha un coup et essuya ses joues humides de larmes.
— Oh, Roy aurait été un si bon père, tu ne peux pas savoir à quel point. Il semblait né pour donner de l'amour, et il avait une candeur unique en lui. C'est sans doute ça qui le rendait si doué dans l'enseignement : il était prof de guitare et il excellait dans son domaine. Je l'ai beaucoup admiré au début ; puis j'ai vu ses défauts, et je l'ai aimé comme jamais je n'ai aimé un homme. Mon Roy...
Tout lui revint violemment en tête : ses sourires et les étoiles dans ses yeux, ses sanglots au téléphone et sa voix vacillante, ses baisers et ses caresses, ses larmes et son regard devenu terne. Son amour, sa tristesse ; ses mots amoureux et ses mots durs.
— Excuse-moi, murmura Aell en croisant les bras sur la table pour y poser son menton.
— Je suis ton amie, je suis là pour ça.
— Mon amie, répéta Aell étonnée par la bienveillance de Krista. Merci. C'est difficile de passer à autre chose, Roy a été mon premier amour et il sera sans doute le dernier aussi. Je ne crois pas être capable d'aimer à nouveau un autre homme, ou de retrouver une aussi belle relation.
— C'est lui qui est parti ?
— C'est le bonheur qui est parti, je crois. Il y avait le spectre de Leios entre nous, et puis l'épée de Damocles qu'impose ma maladie. C'était devenu trop difficile d'avoir des pensées légères et de s'aimer.
— C'est triste...
— Un peu. Ça m'a fait mal, ça aussi, mais ça m'a soulagée aussi. C'est mieux ainsi, et pour lui aussi sans doute ; on était arrivés au bout du segment de vie qu'on devait parcourir ensemble. Au fond, heureusement que Leios n'a pas eu à grandir avec des parents qui ont cessé d'être heureux ensemble !
Krista prit Aell dans ses bras de longues minutes durant. Le bruissement de la maison craquant sous les bourrasques et les sifflements du vent dans les arbres avaient quelque chose d'apaisant, ainsi que l'odeur vanillée de Krista et la douceur de ses cheveux.
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