Aell rentra de sa promenade revigorée. Il faisait beau, le soleil automnale répandait ses dernières lueurs avant de s'évanouir derrière l'horizon, et le silence des montagnes atténuait également le bruit dans sa tête.

Ses parents cuisinaient ensemble avec un fond musical. Elle les observa une seconde sans rien dire, profitant de la douceur de cette fin d'après-midi.

Quelques heures plus tard, elle embarquait dans un avion à destination de Dublin. Archie était couché à ses pieds – on l'avait surclassée pour donner un peu plus d'espace au chien – et la musique dans ses oreilles lui permettait de se concentrer sur autre chose que son stress.

Après avoir atterri, elle chercha des yeux l'homme de la photo, au milieu du hall principal de l'aéroport. Elle le repéra enfin : il brandissait une pancarte clamant « Aell & Archibald ».

— Finn ? lui demanda-t-elle en venant à sa rencontre.

— En chair et en os ! Glad to finally get to meet you!

— I'm glad too! J'ai l'impression de te parler depuis une éternité, j'avais hâte de te voir enfin.

— Suis-moi, ma voiture est sur le parking. Je te préviens, on a quelques heures de route...

— Pas de souci, on est patients, Archie et moi. Est-ce que je peux juste prendre quelques minutes pour le laisser se dégourdir les pattes ?

— Bien sûr ! Tu l'appelles Archie plutôt qu'Archibald ?

— Oui, c'est moins pompeux.

Finn était un éducateur canin reconnu en Irlande, d'origine suédoise. Il cherchait un collaborateur depuis un moment et Aell était tombée sur son annonce. De longues heures passées au téléphone à discuter de tout et de rien, mais surtout de chiens, leur avaient permis de réaliser qu'ils formeraient une super équipe. Aell avait accepté de se rendre en Irlande pour commencer à travailler avec Finn, et se former un peu à la rééducation des chiens, domaine qu'elle ne maîtrisait pas tout à fait.

Ils se garèrent devant une jolie petite maison située en campagne, à trois quarts d'heure de Dublin, calée entre une colline boisée et une vallée parsemée de lacs. La nuit était tombée, si bien qu'Aell ne put admirer le paysage dès ce soir-là ; en revanche, elle entendit distinctement les aboiements des chiens de Finn, deux malinois plus que ravis de voir leur maître revenir à la maison.

Ils firent connaissance avec Archie avant de se détourner de lui pour inspecter les odeurs portées par les chaussures d'Aell. Finn l'aida à porter ses valises jusqu'à la maison, et lui fit une visite rapide. Entre le lambris, les murs aux pierres apparentes et le mobilier en bois, on se croyait dans un véritable petit chalet, comme Aell en avait tant vu au cours de ses promenades autour de chez ses parents.

La chambre que Finn avait réservée à Aell était aussi petite que chaleureuse : il y avait à peine assez de place pour tirer la chaise de bureau sans qu'elle heurte le lit, et c'était un peu compliqué d'ouvrir la fenêtre ornant la sous-pente sans s'y cogner. Aell sourit beaucoup au cours de la visite ; c'était si dépaysant qu'elle était certaine de s'y sentir bien. Elle ne risquait pas de ruminer des pensées sombres concernant Roy, ou de mâcher ses regrets indéfiniment.

L'épouse de Finn se leva du canapé lorsqu'ils entrèrent dans le salon. Un nourrisson était emmailloté contre sa poitrine, endormi. À la vue de ses fins cheveux blonds, le cœur d'Aell se serra : Leios avait eu la même chevelure.

— Bonjour ! Vous devez être Aell, la salua-t-elle. Je m'appelle Krista, enchantée, et voici notre petit Thomas.

— Bonjour Krista, je suis contente de vous rencontrer. Merci beaucoup de m'accueillir chez vous le temps que je trouve un logement !

— Je t'en prie, c'est normal. Tu veux manger un bout ?

— C'est gentil, par contre j'ai mangé dans l'avion. Je crois que je vais plutôt aller déballer mes affaires, si ça vous va.

— Oui, pas de souci, installe-toi et fais comme chez toi, Aell.

La jeune femme vida donc la valise contenant ses vêtements et autres objets qui lui seraient utiles durant ces quelques semaines passées avec Finn et Krista. Ceci fait, elle souhaita une bonne nuit à ses hôtes et s'allongea sous la fenêtre de sa chambre, observant les étoiles. Et dire que le matin même elle se trouvait dans les Alpes, avec ses parents et leurs vaches... Quelle drôle de vie elle menait, ces temps-ci. Elle avait la vague impression d'observer son corps de l'extérieur, de regarder ses émotions plutôt que de les ressentir – expérience plutôt dérangeante, mais elle était trop fatiguée à cet instant pour se poser plus de questions. Elle sombra dans le sommeil sans même tirer le volet.