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Aell avait gardé en tête son intense échange visuel avec le petit caniche fauve, si bien qu'elle se porta volontaire pour gérer cette portée-là. Elle observait de près ce fameux chiot, impatiente de savoir comment il se comporterait au travail ; mais il était encore trop jeune pour ça. Ses frères et sœurs et lui exploraient pour l'instant les parcours d'éveils qu'Aell leur mettait en place : différentes surfaces et matières sous leurs pattes, du relief avec des ponts et des minuscules barrières à enjamber. Son favori parcourait tous les obstacles avec une confiance étonnante, hésitant à peine à explorer. Lorsque vint le moment de nommer les petits, Aell le baptisa Archibald, inspirée par son port de tête fier et l'espèce d'arrogance sous-jacente à sa confiance en lui. Il fut vite surnommé simplement Archie, et Aell le regarda grandir avec une fascination qui n'avait de cesse d'augmenter.
Aell fut épargnée par les évanouissements pendant deux bonnes semaines, à tel point qu'elle crut être guérie ; mais elle se faisait des idées et prenait ses espoirs pour des réalités. Elle s'en rendit compte le jour où elle perdit connaissance à nouveau, au milieu des chiots cette fois. Elle se demandait pourquoi Archie la fixait avec autant d'insistance, et la seconde d'après tout était noir.
Elle se réveilla avec le chiot couché sur sa poitrine et une Tania morte d'inquiétude au-dessus d'elle.
— Aell, ça ne va pas du tout, tu ne peux pas continuer à travailler alors que tu as besoin de repos... Personne ne t'en voudra de prendre l'air quelques semaines, tu sais, on est tous touchés par ce qui t'arrive. On veut que tu prenne soin de toi plutôt que tu fasses passer le travail avant ta santé.
— Je vais bien, assura Aell. Qu'est-ce qu'il fait là, ce petit bonhomme ?
Elle souleva délicatement Archie de son torse et le déposa au sol.
— Il me regardait tellement fort avant que je m'évanouisse, songea Aell à voix haute. Tu crois qu'il a senti quelque chose ?
— C'est bien possible. Tu devrais le prendre comme chien d'assistance pour toi ! plaisanta Tania. Bon, si tu as besoin de moi, je suis dans le parc à côté. Ne te relève pas trop vite !
Aell rentra chez elle plus tôt ce jour-là afin de grappiller quelques heures de sommeil supplémentaires. Roy la trouva endormie sur le canapé, une couverture remontée jusqu'au menton et repliée sous ses jambes pour avoir les pieds bien au chaud. Il attendit qu'elle se réveille en préparant leur dîner, puis vint l'embrasser lorsqu'elle se leva pour le rejoindre dans la cuisine.
— Tu t'es endormie en rentrant du boulot ?
— Je suis rentrée plus tôt que prévu... Je me suis évanouie au milieu des chiots et j'étais complètement dans les choux ensuite.
L'inquiétude envahit aussitôt les prunelles étoilées de Roy, ternissant leur éclat.
— Oh chéri ne sois pas inquiet, tes yeux sont tout tristes...
Il sourit et lui embrassa le front, attendri. Il savait qu'elle adorait la lumière de ses yeux.
— Tu vas rester à la maison te reposer quelque temps alors ? Il faut que tu évites le stress, souviens-toi des mots du docteur.
— C'est vrai que j'ai été un peu soucieuse ces derniers temps. Il y a une augmentation de la demande de chiens guides et les listes d'attentes ont des délais absurdes maintenant. Cinq ans d'attente ! Tu te rends compte ? Du coup, peut-être bien que je me sens coupable de ne pas travailler assez pour combler les besoins de tout le monde, et peut-être bien que ça me stresse de ne pas pouvoir travailler vingt-quatre heures par jour et m'occuper de deux-cents chiens à moi toute seule... Bref. Je ne suis pas sûre que quitter le travail quelques jours diminue mon anxiété, mais Tania et Gabrielle m'ont interdit de revenir tant que j'aurai encore des cernes sous les yeux.
— Elles ont bien raison, Aell, il faut impérativement que tu reprennes des forces.
— Je vais essayer.
Elle sortit de quoi mettre la table et poursuivit ;
— Il se passe quelque chose d'intriguant avec un des chiots de la dernière portée... Il est extrêmement attentif à moi et à chaque fois que je me sens angoissée, que j'ai des vertiges ou que je suis sur le point de m'évanouir, il me fixe et ne me quitte plus des yeux. Quand j'ai repris connaissance tout à l'heure, il était carrément couché sur moi !
— Intéressant en effet, répondit Roy. Qu'est-ce que tu en penses ?
— Beaucoup de choses. Beaucoup de choses irréalistes.
— Par exemple ?
— Par exemple le prendre avec moi comme chien d'assistance et d'alerte médicale... Mais ce n'est pas possible, on ne peut pas prendre un chien maintenant et l'éduquer sera un travail de titan à concilier avec mon boulot à l'élevage. Ce n'est pas réaliste.
— Pourquoi ne peut-on pas prendre de chien maintenant ? Et tu pourrais passer à mi-temps à l'élevage, non ? Tu te reposerais et tu aurais du temps pour le chiot.
Aell se figea et regarda Roy avec des yeux ronds comme des soucoupes. Elle n'osait croire ce qu'elle pensait comprendre. Roy lui proposait-il vraiment d'adopter Archie ?
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