
AVANT LA CHUTE 1.3MAHASIAH
Mes yeux n'arrivent pas à se défaire de ceux de Gadrel pendant qu'il me lance un sourire que j'ai appris à apprivoiser. La fierté et l'arrogance ont toujours été le point faible des Archanges, mais il a ingurgité ma pomme et il a eu l'air de l'apprécier. Il est presque normal pour lui de s'en amuser. Étrangement, cela me comble de joie. Pourtant, ce n'est pas la première fois que mes créations plaisent. Beaucoup d'Anges ici présents me réclament souvent certaines de mes œuvres. Comme Miah, qui est une vraie admiratrice de mes raisins. Elle répète régulièrement qu'ils sont mignons et petits comme elle et qu'en bouche, ils éclatent et libèrent leurs jus. Elle adore cette association. Le jour où elle en a mangé, elle a ouvert les yeux de stupeur. Je souris en y repensant. Ce qui est certain, c'est que ma pomme a eu l'air de faire un tout autre effet à Gadrel. Il n'a pas semblé surpris.
— Comment trouves-tu le goût ?
— Acide, mais doux à la fois. Encore une fois Mahasiah, tu nous gâtes. Où pousse ce fruit cette fois-ci ?
J'apprécie son compliment. Un peu trop peut-être. Mon sourire doit me trahir. Je me sens ridicule tandis que j'observe ce vert émeraude me jauger.
— Siah...
Il fronce les sourcils avant de croiser les bras, perplexe. Ce simple geste contracte l'ensemble de ses muscles. Son rire me rappelle toutefois à lui.
— Siah ?
— Oui, je préfère Siah à Mahasiah. Et mes pommes poussent sur un arbre.
Gadrel hoche la tête avec un sourire complice.
— Très bien, Siah.
En entendant mon surnom prononcé de sa voix chaude, mon pendentif déploie doucement sa chaleur, puis picote et enflamme mon corps. Je me racle la gorge en essayant de me détourner de cette sensation qui m'assaille de plus en plus.
— Et, dis-moi, Gadrel, que fait ton bâton ?
Michaël rit avant de s'approcher pour lui taper sur l'épaule.
— Il est sûrement utile pour faire tomber les pommes des arbres, mais ce n'est pas une arme !
Gadrel guette, amusé, son frère du coin de l'œil. Il saisit alors son bâton et le plante avec férocité dans le sol. J'examine l'arme révéler son pouvoir. Nous sommes d'ailleurs tous subjugués par cette magie puissante. Il ordonne ensuite à son bâton d'attaquer Michaël.
— Gadrel, arrête-le !
— Pourquoi mon frère ? Aurais-tu peur ?
— Je n'ai pas peur !
Michaël sort son épée et s'apprête à contre-attaquer lorsque Gadrel se baisse pour récupérer son œuvre.
— Attention à ce que tu fais !
— Là, c'est toi qui trembles !
Michael s'amuse de Gadrel, qui semble craindre pour son bâton.
— Gabriel a peur ! Moi, non !
Je ravale un gloussement. Tous les regards se braquent vers Gabriel qui se tient en retrait des autres. Pleine de compassion, des moqueries que j'ai parfois dans mon propre Chœur, je lui rends un sourire avant de tourner mon attention vers Gadrel. Son arme m'a surprise. J'avoue qu'elle est intrigante.
— Quel nom as-tu donné à ton bâton ?
Il hausse les sourcils sans dire un mot. L'hésitation se lit sur ses traits ce qui le rend plutôt attendrissant. On est bien loin de cet Archange créé pour défendre et combattre. Il retrouve toute la grâce des plus jeunes d'entre nous en un clin d'œil.
— Je... ne sais pas encore.
— Il va lui falloir un nom si tu souhaites que je le présente au Père.
Ses yeux s'écarquillent. Je ne sais pas pourquoi je viens de dire cela. Je ne présente jamais d'armes ni me porte garante pour un Archange.
— Ferais-tu cela, Siah ?
— Oui, ton bâton est... surprenant.
Gadrel se mordille le coin de la lèvre, étonné. Sa mimique réveille mon corps. Mon fardeau se réenclenche. J'ai la sensation que mon âme a été subitement brutalisée et qu'elle a eu peur d'être secouée de cette façon. Je ne pensais pas que mon pendentif en était capable. Metatron a raison, je dois mieux appréhender ma tâche pour ne pas être prise au piège. C'est pour cette raison que nous dissimulons les pierres après tout. Je triture la boucle d'or à ma taille. La cordelette qui serre mes hanches est rugueuse sous la pulpe de mon index. Elle me rappelle mon rang et mon devoir. Dieu a choisi les plus sages d'entre nous pour les garder. Je me dois de ne pas m'égarer. Mais le regard de Gadrel ne m'y encourage pas. Il m'observe en pinçant les lèvres, amorçant ce que je crains. Tout s'emballe dans mon corps et les images défilent. Toujours ses songes qui me bousculent. Je déglutis avec difficulté et lui rends un sourire qui se veut rassurant. Il ne doit rien remarquer. Aucun ne doit savoir ce que je porte sous ma tunique ni la puissance qu'elle recèle.
— Trouve lui un nom, et je me porterai garante pour toi. Tu en as ma parole.
Sans même attendre une réponse de sa part, je salue les autres Archanges et tourne les talons. Je ne tiens pas à m'attarder. Je suis consciente de ce que je fuis. J'ai besoin de me calmer. Je me précipite vers la sortie lorsque Miah m'interpelle.
— Siah ! Attends !
Je me retourne vers elle et sans le préméditer, je recroise le regard de Gadrel qui me scrute au loin. Songeur, il se tient droit en triturant son bâton et ne me quitte pas des yeux. Ma poitrine me brûle si fort en le voyant me lorgner de cette façon que j'en prends peur. Je dois partir au plus vite. J'ai besoin d'espace pour éviter mon esprit bien trop étroit.
— Miah... pas maintenant.
— Mais ! Mais...
Elle s'interpose entre Gadrel et moi, rompant notre contact.
— Siah, est-ce que... tu vas bien ?
Je me racle la gorge, reprends une grande bouffée d'air et hoche la tête. Que dire ? Je ne peux pas dévoiler le trouble qui opère en moi ni ce qu'il génère.
Je dois fuir.
Au plus vite.
— Oui, tu me montreras ta création une autre fois. J'ai... du travail.
Elle baisse la tête, dépitée. Cela me peine. Je ne désire pas la décevoir.
— Promis, Miah. Dès que je le peux.
Ma petite sœur acquiesce, rassurée, et s'en va vers son rang. La salle commune grouille d'anges et de créations. Chaque Chœur à son propre espace et mes frères et moi nous égarons vers chacun d'eux. Au loin, je discerne Sitael proche des Trônes et curieux de ce que lui montre Caliel. Contrairement à moi, il semble maîtriser son péché. Je soupire en fermant les yeux. En les rouvrant, je croise à nouveau les deux perles émeraude. Ma gorge s'assèche. Je m'y fourvoie précipitamment et déguerpis.
Une fois dans ce long couloir blanc, je presse le pas en essayant de reprendre mon souffle, mais plus mon air me parvient et plus je le subis. Ma respiration est saccadée. Intérieurement, j'ai l'impression de me consumer ou encore de me liquéfier, assaillie par les émanations de ma pierre. Je ne connais qu'un endroit capable de m'apaiser. Je me dirige, avec hâte, vers ma délivrance. Je sors de la salle en silence et marche droit devant moi.
Au bout du couloir, j'ouvre la porte. Je retrouve la vue sur le Paradis. Des milliers de filets lumineux qui serpentent l'espace. Une toile gigantesque me fait face. Chaque trait étincelant me soulage par leur présence. Aussitôt, je prends mon envol et me dépêche. Je pique en flèche pour descendre tous les étages de la hiérarchie à vive allure. Comme toujours, personne ne me voit filer.
Personne ne saura où je vais.
Le battement de mes ailes libère un souffle qui sillonne mon passage. J'adore cette sensation que je laisse. Voler n'est pas qu'un moyen de me déplacer, c'est bien plus splendide que cela. Je compare le rouge de mes plumes qui contraste tant avec la lumière des passages qui m'entourent, en savourant l'air qui fouette mon visage. J'évite les flux lumineux les uns après les autres en battant des ailes plus vite. Une fois devant les portes du paradis, je reprends une goulée d'air, me retourne pour vérifier que personne ne me voit et sors discrètement du Paradis.
Bạn đang đọc truyện trên: Truyen247.Pro