Chapitre 17
Toc toc !
Même quand j'étais seule, je ne l'étais pas vraiment. Le soir, je ne voulais que me reposer et rester seule, mais les personnages du livre en avaient décidé autrement. En particulier les parents de Nefeli.
– Nefeli, as-tu un moment ? a demandé le maître de maison en passant sa tête par la porte de ma chambre.
J'étais assise à la table devant la terrasse, là où les bonnes déposaient la nourriture la plupart du temps. Dans mes mains se trouvaient les documents que j'avais ramenés de la bibliothèque. Je lisais et relisais ces lignes sans arrêt, au cas où je raterais quelque chose d'important.
J'entendais le duc s'approcher, alors je levai la tête pour le regarder en soupirant. Malgré mes remarques et mes messages, il ne voulait pas laisser tomber. Recréer le lien entre lui et sa fille était l'ultime quête qu'il s'était fixée.
– Tu es débordée ces temps-ci. Quel travail occupe tant ma fille ?
– Ce ne sont que des recherches personnelles, ai-je annoncé en fermant les documents.
– Dans ce cas, aurais-tu l'amabilité de venir nous rejoindre, moi et ta mère, pour le dîner ?
– Pourquoi ? Manger toute seule dans ma chambre me va très bien.
– Cela fait plusieurs jours que nous n'avons pas passé de temps ensemble, et nous aimerions parler d'un sujet sérieux avec toi.
Il eut un léger sourire rempli d'espoir sur les lèvres.
– Alors allez-y. Parlez-moi.
– Avec ta mère.
Je ne voulais pas. Plus je passais du temps avec eux, plus je me rendais compte de l'écart qu'il y avait entre moi et Nefeli. Elle avait tout pour elle, et ses parents ne s'en privaient pas pour me le rappeler. Je n'en avais pas besoin. Malgré tout, j'ai été contrainte d'accepter. Il s'obstinait tellement... Et puis, dîner une fois de temps en temps avec eux ne me ferait pas de mal.
Je me levai de ma chaise à contre-cœur avant d'avancer vers lui :
– Bien. Allons-y.
Le duc tendit son bras dans l'espoir que je l'attrape. Je le regardai, lui puis son bras, sans vraiment bouger. Il leva son coude et son sourcil d'une manière insistante. Finalement, j'ai pris son bras, levant les yeux au ciel.
Il m'escorta jusque dans la salle à manger : une grande pièce illuminée de toutes parts, là où je n'avais encore jamais mis les pieds. Au centre de la salle se trouvait une longue table rectangulaire décorée pour seulement trois personnes. Sur l'une des chaises était déjà installée la duchesse. Me voyant entrer aux côtés du duc, elle eut un sourire ravi.
Elle pensait sans doute que je n'allais pas venir. Honnêtement, j'y ai pensé, mais son mari ne m'avait pas vraiment laissé le choix.
Je pris une grande inspiration puis, calmement, je m'installai en face d'elle et le duc à ses côtés - là où se situait le troisième ensemble de vaisselle en argent.
– Ma chérie, commença la femme, je suis ravie de te voir parmi nous ce soir.
– Je n'ai pas vraiment eu le choix.
Je lançai un regard plein d'animosité au père de Nefeli. Ce dernier baissa le regard, ne voulant sûrement pas faire face à sa fille. Cet homme avait une certaine notoriété au sein de son business et de la haute société, cependant en tant que papa poule, il me faisait presque pitié.
Le dîner se déroula dans le plus grand des silences. Aucun des deux ne voulait briser ce calme qui régnait, et pour ma part, je n'avais pas grand-chose à leur dire. C'était eux qui voulaient avoir une discussion avec moi, alors c'était à eux d'engager la conversation. S'ils ne parlaient pas, ils gâcheraient leur chance.
On apporta le dessert quand la duchesse prit la première initiative :
– Nefeli... J'ai une question à te poser.
Je n'ai pas répondu. Elle savait, après tout, que j'écouterais ce qu'elle avait à dire.
– Est-ce que... tout se passe bien pour toi ?
– Bien sûr. Je vous l'ai déjà dit. À tous les deux.
Lassée, j'insistais sur chacun de mes mots pour ne pas avoir à répondre encore une fois à la même question.
– La duchesse et moi, reprit l'homme, nous nous inquiétons beaucoup pour toi.
– Je sais.
– Alors pourquoi ce changement d'attitude ?
– C'est-à-dire ?
Je piquai dans la part de tarte qui se trouvait dans mon assiette. Le goût du chocolat était tellement fort qu'il m'écoeurait rien qu'à l'odeur. Le duc n'avait, quant à lui, pas encore touché son dessert.
– Depuis cet incident au lac, tu ne ris plus. Tu ne vis plus.
– Ta manière de parler a aussi beaucoup changé... Serait-ce à cause du choc de la noyade ? demanda la duchesse, les yeux plongés dans mon regard.
– J'ai aussi entendu dire que tu avais quelques problèmes de mémoire. C'est forcément dû à un coup sur la tête.
– Qui vous a dit ça ? ai-je interrompu, écrasant le dessert.
– Cela n'a pas d'importance, fit le duc en balayant l'air de la main.
– Pour moi, si. Qui vous a dit ces conneries ?
– Ton langage. Je veux bien que tu changes ta manière de t'exprimer, mais tu te dois de rester polie... Tu nous le dirais si quelque chose s'était passé ?
Une nouvelle fois, je ne répondis pas. Les seules personnes qui savaient que la mémoire de Nefeli avait été touchée étaient Orion et Émilia. Orion étant détesté par le duc, il ne pouvait s'agir que de l'adolescente. Il fallait que j'aie une discussion avec cette grande gueule.
– Nous tenons à toi et nous ne voulons pas que tu deviennes... une mauvaise personne, avoua la femme dans un soupir.
– Une mauvaise personne ?
Je piquai de nouveau le dessert brusquement.
– Je ne suis pas une mauvaise personne. Si je suis celle que je suis aujourd'hui, c'est à cause d'eux.
Encore un pique, sans porter la fourchette à ma bouche.
– Ce n'est pas de ma faute si vous n'êtes qu'une bande de fragiles vêtus de soie.
Je tournai la fourchette dans l'assiette, étalant le chocolat sur les rebords. Je parlais tout en soutenant son regard, elle qui avait l'air si intéressée par ma vie.
– Je suis quelqu'un de bien. Le monde ne sait juste pas recevoir une personne comme moi.
La part de tarte ne ressemblait même plus à une tarte, mais à de la bouillie.
– À vos yeux, je ne suis pas une bonne personne ?
Je me décidai finalement à quitter la table. Ils ne m'avaient pas encore répondu, et je n'avais pas encore fini mon assiette, mais vu la tonne de chocolat qu'il y avait à l'intérieur, je ne regretterais sûrement pas.
Ils disaient que j'étais une mauvaise personne, mais ils ne savaient rien. J'étais gentille, aimable, adorable. J'étais la meilleure des personnes et ça n'a fait que me brûler petit à petit. Pourtant, je n'avais jamais joué avec le feu.
Depuis que j'ai commencé ce jeu, plus rien ne m'atteint.
Je partis sans leur adresser un seul regard, malgré les leurs, insistants et presque méprisants. Je ne pouvais pas rester plus longtemps. Je sentais déjà le repas remonter dans mon estomac. Pourtant, je n'avais pas tant mangé que ça et encore moins mangé n'importe quoi.
Fermant la porte derrière moi, je pus entendre le couple continuer la discussion entre eux.
– Je soupçonne notre fille d'être possédée, a déclaré le duc.
– Je n'irais pas jusqu'à dire qu'elle est possédée, mais je dois avouer qu'elle est étrange... Elle est si... vulgaire.
– Croyez-vous que nous devrions la faire examiner par un médecin ?
– Ce serait pour le mieux, je pense.
Peut-être que j'entendais mal à cause de la porte qui étouffait le son...
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