Gabrielle n’était qu’un bébé lorsqu’elle fut adoptée par la famille Rocheman. À quatre ans seulement, elle ressentait la haine et le dégoût qui émanaient de ses parents et frères adoptifs. Jamais elle ne souriait. Jamais elle ne rigolait. Jamais elle n’a été heureuse. L’amour, elle ne connaissait pas. C’était une petite fille solitaire et autonome.

En cette saison d’hiver, elle se déshabillait et prenait une douche si chaude, qu’elle en ressortait la peau rougie par la chaleur. Ses longs cheveux bruns lui chatouillaient le dos tandis qu’elle courait nue jusque sa chambre. Elle se fichait de qui pouvait la voir, sa famille adoptive ne la remarquait jamais. Elle doutait parfois de n’être qu’un fantôme.

Telle une souris, elle se faufilait dans la cuisine, le soir, pour voler quelques gâteaux. Elle faisait des réserves dans sa chambre pour ne pas mourir de faim. Gabrielle s’était, en quelques sortes, habituée à cette vie là. Mais au fond d’elle-même, elle savait que quelque chose lui manquait.

Tous les petits enfants de mon âge vivent ainsi ?

Une fois, alors qu’elle sortait de la salle de bain, elle surprit un de ses cinq frères frappant furieusement un gros sac pendu au plafond de sa chambre. Celui-là étant le moins menaçant de tous, elle demanda, innocente :

       ㅡ Pourquoi tu es énervée ?

Son frère adoptif se retourna et lui claqua la porte au nez. Elle haussa les épaules et s’apprêta à partir quand il ouvrit à nouveau la porte.

       ㅡ Je ne suis pas énervé, je fais du sport, imbécile ! Nous les garçons, nous sommes forts et tenaces. Vous les filles, vous êtes là pour nous servir !

Puis il referma la porte à bout de souffle.

Gabrielle n’était pas du tout d’accord avec son frère.

Elle vola de l’argent dans la tirelire de son frère le plus grand et décida de sortir de la maison. Elle revint une heure plus tard avec un mini sac de boxe qu’elle installa dans sa chambre.

Elle frappait le sac de toutes ses forces, encore et encore. Une fois épuisée, elle s’allongeait sur son lit et s’endormait paisiblement. Elle répéta sa séance de sport le lendemain et les jours qui suivirent.

« Je ne suis pas un garçon, mais je suis forte. »

Un jour, elle sortit de la maison des Rocheman pour se promener près de l’étang voisin. Là-bas elle rencontra Hazriel, le nain de la ville. Elle fut très surprise de le rencontrer. Gabrielle avait déjà entendu sa famille adoptive parler de lui mais elle ne pensait pas un jour le rencontrer.

       ㅡ Qu’est-ce qui t’amène mon enfant ? avait demandé Hazriel d’une voix réconfortante.

       ㅡ Dis-moi monsieur le nain, saurais-tu garder un secret ?

       ㅡ Assurément, je suis la plus grande boîte à secrets qui n’ai jamais exister. Bien que je sois tout petit.

Sa réflexion la fit rire.

       ㅡ Je suis en train de m’entraîner pour devenir forte, moi aussi.

Gabrielle raconta les mauvaises paroles de son frère.

       ㅡ Je ne suis pas d’accord avec lui, une fille peut être tout aussi forte et je vais le prouver ! s’exclama-t-elle.

Le nain écoutait attentivement ce que lui racontait Gabrielle.

       ㅡ Ecoute-moi, mon enfant. La force physique n’est pas représentative de ce que tu es. Les valeurs telles que l'intelligence, la générosité, l’amour et la sagesse, au contraire, font parti de ce que j’appelle la force. C’est cette force là qui va déterminer ton parcours. C’est ce qui va te porter haut mon enfant. Tu es une fille, mais tu n’as rien de moins qu’un garçon. Des filles sont capables de ce que des garçons ne peuvent pas faire et inversement. Toi Gabrielle, tu es forte.

Gabrielle sourit de toutes ses dents.

       ㅡ Je suis forte, et je suis une fille.

Aujourd’hui, Gabrielle a quatorze ans. Elle monte lentement le podium et s’arrête à la première place. L’arbitre lui met la médaille autour du cou. Elle est championne du monde de boxe.

ᴇᴍᴏɴᴋᴇʏ.