Chapitre 5
Je m'éloigne du vide, et dépose mon sac à dos sur le sol du corridor.
-Qu'est-ce que tu fais ? me demande Ian, intrigué.
Je lui adresse un sourire empreint d'une certaine dose de mystère.
-Ce que j'ai toujours fait jusque-là... Aller voir !
Je décroche le filin intégré à ma ceinture, et actionne le pistolet. Dans une détonation sèche, celui-ci envoie l'hameçon magnétique se greffer sur la paroi de métal. Je tire dessus d'un coup sec, afin de vérifier que l'ancrage est suffisamment bon pour supporter mon poids. Lorsque je suis sûre qu'il ne cèdera pas, je m'assoie sur le bord de l'abîme béant au-dessus des cales. Mes pieds se balancent doucement au-dessus de la crevasse, qui m'appelle. Et, brusquement, je me laisse glisser dedans.
Durant trois interminables secondes, mon corps est en chute libre. J'adore cette sensation. J'ai l'impression de pouvoir m'envoler. Puis, lorsque le filin se tend brusquement, je me stabilise, quelques mètres au-dessus des containers renversés.
-Tu peux pas prévenir quand tu sautes ?! me hurle Ian, visiblement furax, quelque part au-dessus de ma tête. J'ai eu la peur de ma vie !
Ses mots résonnent à l'infini dans l'immensité de l'espace, et je lui réponds par un éclat de rire franc. Je l'entends grommeler. De là où je me trouve, je ne peux pas comprendre pas ce qu'il dit. Mais tel que je le connais, il est probablement entrain de m'insulter. Et il n'aurait pas tort, je dois bien le reconnaître. Cette pensée m'arrache un sourire fugace.
Puis, lentement, j'extirpe ma lampe torche de ma poche, et balaye l'espace du puissant faisceau de lumière blanche.
Il y a, dans cette salle, suffisamment de nourriture pour faire survivre un régiment, et aucune odeur nauséabonde. J'en déduis donc que celle-ci ne doit pas être périmée, malgré tout le temps passé dans ces cales.
-Il va falloir revenir avec du monde pour tout emmener ! crié-je à mon coéquipier. Et les voitures ! TOUTES les voitures !
Les pick-ups que nous avions pu sauver des décombres n'étaient utilisés qu'en cas d'extrême nécessité, à cause du nombre limité de barils de pétrole. Mais, si nous voulions sortir toutes ces conserves de l'endroit où elles dormaient tranquillement, gardées au frais dans les profondeurs du navire, nous en aurions besoin. Je relève la tête.
-Je vais descendre encore un peu, afin de les atteindre !
Ian me fait signe qu'il a compris, et j'allonge la corde jusqu'à pouvoir poser le pied en haut de la pile instable de containers. Je dois prendre garde aux endroits où marche, afin de ne pas tout faire s'effondrer. En m'entraînant dans leur chute, les lourdes caisses m'écraseraient.
Doucement, je me penche, et ramasse une conserve à l'étiquette empoussiérée. Je souffle dessus afin de la débarrasser de la crasse qui la recouvre, et lit les inscriptions qui y sont imprimées, le cœur battant.
Ce sont des préparations à base de légumes cuits à la vapeur. Tout ce dont nous sommes privés depuis plusieurs mois à présent, car plus rien ne pousse sur le sol recouvert de sable. Et, pour ne rien arranger, nos réserves commencent à s'épuiser.
Alléché, mon estomac émet un gargouillement éloquent, me rappelant au passage que notre pitance de ce matin était vraiment très maigre. D'un coup de canif, je fais sauter le couvercle, et plonge les doigts dans la substance de conservation un peu visqueuse. J'en tire une poignée de haricots verts dégoulinant de sauce, et l'enfourne dans ma bouche sans la moindre hésitation.
Un grognement appréciateur m'échappe. En moins de temps qu'il ne faut pour le dire, je dévore l'entièreté de la boîte.
-Ça va ? me demande soudain Ian, probablement inquiet de ne plus m'entendre remuer.
-Putain, c'est vraiment trop bon ! lui réponds-je en me léchant les doigts. Fais-moi descendre le sac, je vais le remplir !
Le jeune homme acquiesce, et je détache le filin de ma ceinture afin qu'il puisse le remonter. Quelques secondes plus tard, sa tête reparaît au-dessus de la cavité, et la besace arrive à ma hauteur. Je la remplis jusqu'à ce que je ne puisse plus la refermer, et mon équipier la ramène à lui tant bien que mal. Ce sac plein de nourriture est plus lourd que moi.
-La vache, Féline ! s'écrie-t-il lorsqu'il en découvre le contenu. C'est mortel !
Je souris, fière de moi.
-Allez ! l'enjoins-je. Renvoie-moi le...
Je n'ai pas le temps d'achever ma phrase. Subitement, l'ampoule de ma lampe torche se met à grésiller, et je me tais. Indécise, je lève les yeux vers Ian. Lui aussi l'a remarqué. Sur mes gardes, je parcours des yeux la cale obscure, à l'affut du moindre signe. Les secondes s'égrènent, s'étirant à l'infini, sans qu'il ne se passe rien.
Je commence alors à me détendre, lorsque le phénomène se reproduit, plus intensément. Immédiatement, l'angoisse sourde que je refoulais s'insinue en moi et me glace les os. Ces signes avant-coureurs ne trompent pas. Et le hurlement de Maëva, qui débarque en trombe auprès de Ian, comme pour confirmer mes craintes, non plus.
-Une tempête solaire ! hurle-t-elle, paniquée. Remonte, Féline ! Vite !
Je ferme les yeux une fraction de seconde, et prends trois grandes inspirations afin de calmer les battements désordonnés de mon cœur. Ne surtout pas céder à l'affolement. Patiemment, j'attends que Ian me fasse parvenir le filin, que je rattache prestement à ma ceinture. Mes mouvements sont malhabiles et légèrement tremblants, mais je parviens à le remettre à sa place sans trop de difficultés.
-Remontez-moi ! lancé-je aux deux jeunes gens postés à l'étage supérieur, lorsque je suis rattachée.
Il y a bien dix mètres de vide qui me séparent du corridor dans lequel ils se trouvent. Mais, s'ils se dépêchent, je peux les parcourir assez vite.
Je suis arrivée à mi-chemin lorsque, tout à coup, un bruit assourdissant retentit à l'extérieur. Je comprends que l'orage vient d'éclater, déchirant le ciel. En vrombissant, la carcasse du paquebot se met à trembler, fragilisant la structure déjà endommagée. Un craquement sinistre retentit alors, et une partie des poutrelles soutenant le plafond s'effondrent dans un grand fracas, soulevant un gigantesque nuage de poussière qui m'aveugle totalement. Les particules s'infiltrent jusque dans mes poumons, et je suis prise d'une importante quinte de toux. L'épave tangue dangereusement, me projetant violemment contre la paroi.
Durant quelques secondes, je suis étourdie par le choc. Lorsque je cligne des yeux, je ne vois strictement plus rien, et je m'aperçois que j'ai perdu la seule source de lumière que je possédais. Pourtant, les voix de Ian et Maëva me parviennent toujours, m'empêchant de céder complètement à la panique.
-Féline ! Tout va bien ?!
-Oui ! croassé-je, la voix enrouée. Sortez-moi de là, s'il vous plaît !
-Ne t'en fais pas ! On ne te laisse pas tomber !
Mais une nouvelle détonation se fait entendre, et, cette fois, c'est une partie du plancher sur lequel ils se tiennent qui se désagrège d'un coup.
Bạn đang đọc truyện trên: Truyen247.Pro