΅ ΧΧΙ ΅
Avant de se coucher, Pierrot se fixa dans le miroir, longuement, et sentit son ventre commencer à partir en vrille, interrompant sa réflexion quelconque. Il baissa les yeux dessus, parce que c'est en regardant l'endroit où ça fait mal qu'on sait pourquoi ça fait mal, et se dit qu'il passerait une mauvaise nuit. Puis il passa au toilettes et alla se coucher, les yeux lourds et la tête commençant à enfler.
Un peu trop crevé, ou maso, il oublia de prendre un Doliprane, et s'effondra sur son lit sans grâce, comme d'habitude, et sans soulagement, contrairement à d'habitude, à cause de ce qu'il sentait monter dans son corps. Demain serait assurément un autre jour.
אהא
Toute la nuit, Pierrot eut l'impression d'être drogué. Il nageait dans une semi-consciense dans son rêve, où les paroles des personnages ne l'atteignaient que de temps à autres et où les images floues étaient plus colorées que d'habitude. Un peu comme quand on se tape deux heures de philo un mardi matin.
Présentement, il n'avait pas trop conscience d'où il était, et même pire : il réalisait tout juste qu'il rêvait.
Un cas désespéré.
Par contre, il sentit clairement la table où il était avachi vibrer et bouger quand des mains pas contentes du tout s'abattirent dessus. L'esprit soudainement en alerte, il se prépara à dire qu'il ne dormait pas, mais constata que c'étaient ceux qui écoutaient Jésus qui s'énervaient. Scène fréquente. Alors Pierrot s'avachit à nouveau sur la table en écoutant distraitement ce qui se disait.
« Cette parole est rude ! Qui peut l'entendre ? »
Alors déjà parlez français histoire que moi je comprenne...
De l'autre côté de la table, Jésus, entouré de bonshommes comme une meuf dans un casino, répliqua, le regard sévère :
« Cela vous scandalise ? Et quand vous verrez le Fils de l'homme monter là où il était auparavant...! »
Ses yeux se rétrécirent un peu. Pierrot se dit qu'il n'était pas content.
« C'est l'esprit qui fait vivre, la chair n'est capable de rien. Les paroles que je vous ai dites sont esprit et elles sont vie. Mais il y en a parmi vous qui ne croient pas. »
Et maintenant il est fatigué, comme moi. Bon sang, qu'est-ce que j'aimerais dormir.
Un sursaut dans sa vision lui fit serrer la mâchoire. Il avait l'impression que son estomac faisait des jumping-jack lourdauds, heureusement qu'il n'avait rien mangé.
« Voilà pourquoi je vous ai dit que personne ne peut venir à moi si cela ne lui est pas donné par le Père. »
Tiens donc, et il nous envoie un mail ?
Le regard froid que dardait Jésus sur les gens autour d'eux, ceux qui contestaient ce qu'il disait, fit froid dans le dos de Pierrot, qui se redressa imperceptiblement, pressentant qu'il devait mieux se tenir. Cependant, son ventre lui faisait trop mal pour qu'il se tienne bien droit. Il devait avoir l'air bossu, vautré sur lui-même comme ça, mais c'était bien involontaire ; son corps lui était atrocement pénible.
Autour d'eux, les gens — les disciples non apôtres, selon les souvenirs diffus de Pierrot — s'en allèrent, pour beaucoup. De quelques-uns, c'était passé à tous, et bientôt il ne restait plus que les apôtres. Pierrot ne comprit pas ce changement. Pourquoi est-ce que les disciples étaient là si, à la moindre contestation, ils se vexaient et partaient ?
Jésus se tourna vers les apôtres, qui attendaient qu'il fasse quelque chose — il ne leur était pas si supérieur, et même, il ne leur était pas supérieur du tout, mais eux le pressentaient comme ça, toujours, et préféraient se tenir en retrait.
« Voulez-vous partir, vous aussi ? »
Bêtement, Pierrot drogué regarda les figures de ses camarades, un peu comme s'il attendait leur aval, mais il fut surpris de voir qu'ils restaient stoïques, en train de réfléchir.
Alors quoi, vous êtes tous des lavettes sans cervelle ? Vous le suivez pour la notoriété ?
Les poumons gonflés d'une indignation nouvelle, le long corps de Pierrot se redressa sur la table, et il fit face à Jésus, se moquant des coups d'œil dans sa direction et trouvant dans son cerveau les mots qu'il fallait dire, ceux qu'il n'avait meme pas formulés consciemment et qui sortirent de sa bouche avec une confiance marrante.
« Seigneur, à qui irions-nous ? Tu as les paroles de la vie éternelle. »
Il regarda rapidement ses amis, qui attendaient qu'il parle pour eux.
« Quant à nous, nous croyons, et nous savons que tu es le Saint de Dieu, termina-t-il calmement. »
Cette formulation lui était familière, mais il ne savait plus d'où elle lui venait. Le regard de Jésus sur lui lui donnait à la fois envie de fondre sur place et de sentir pousser des fleurs sur son torse — chacun sa perception de la fierté — tant il était difficile à lire. Faute à ses maux de ventre, revenus en cavale après son petit coup d'éclat, il ne voyait pas distinctement le visage de Jésus, alors ça n'aidait pas vraiment à savoir ce qu'il pensait de cette déclaration. Les onze autres, autour de lui, restaient immobiles.
« N'est-ce pas moi qui vous ai choisis, vous les Douze ? Et l'un de vous est un diable ! »
Tout le sang de Pierrot quitta son visage. Terrifié, il se réveilla en sursaut, juste à temps pour courir vomir tout ce qu'il pouvait dans les toilettes.
אבא
Jn 6, 60-70
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