« Oh là là Pierrot, hier à l'aumônerie j'ai pensé à toi ! S'extasia Dorémi en entrant dans l'atelier, faisant sortir Pierrot de la sorte de transe dans laquelle il était plongé. »

Le rêve de la veille avait été très court, mais l'avait perturbé au maximum. Il ne s'en remettait toujours pas alors qu'il était dix-sept heures, rendons-nous compte. Il n'avait rien foutu de la journée, il avait juste empêché Joseph de se brûler avec un fer à souder et lui avait dit au revoir et joyeuses fêtes quand il était reparti avec ses parents, ses petits bonshommes dans les bras. Pas une journée si productive que ça, quoi. Surtout qu'il était parti à midi, Joseph.

« Pierrot ? Tu m'écoutes ? »

Il baragouina un truc du genre flg'fkfn'dlsgd qui ne convint pas trop à Dorémi.

« Ah. Réveille-toi, j'aimerais causer. »

Il effectua un effort monstre, et put se redresser pour la regarder en face. Même s'il s'étira copieusement avant, faisant craquer toute sa colonne.

« Oh la vache ! Tu prends racine ? Rigola son amie en le forçant à se mettre debout. Regarde-moi bien. »

Il loucha sur ses taches de rousseur.

« Fait.

— Okay, tu m'écoutes là ?

— Moui.

— Je me demandais si tu ne voudrais pas aller à l'aumônerie avec moi, un jour. Ou à une messe. »

La proposition acheva de réveiller Pierrot.

« Hein ?

— Bah, il t'arrive de me poser des questions sur la religion, ou du moins je t'en parle et t'as l'air intéressé, alors je me suis dit que tu pourrais approfondir ça, quoi.

— Ça consiste en quoi l'aumônerie, précisément ?

— C'est un groupe où on va à la messe ensemble, un soir-

— Pas le dimanche ?

— Le dimanche c'est la grosse messe mais il y en a toute la semaine, chou. Donc, reprit-elle, on fait la messe, on mange avec des trucs à partager qu'on a ramené, et avec des animateurs et des prêtres on parle de notre foi, de la signification de l'évangile du jour, tout ça. C'est vraiment chouette. »

Le concept ne rebutait pas particulièrement Pierrot, mais avoir des explications des évangiles ne l'intéressait pas, et lui faisait peur — il était encore dans le déni quant à ses rêves, et ne voulait surtout pas avoir des explications qui briseraient son innocence. Oui, Pierrot est du genre à ne pas venir à cause d'un seul détail qui casse tout.

« Non, merci. Mais je veux bien assister à une messe. »

Dorémi le regarda longuement.

« Et une veillée de miséricorde ? Ça te dit, ça ? »

J'ai dit une messe, pas un truc bizarre !

« C'est quoi ? Soupira-t-il à moitié, las d'être ignare.

— C'est une adoration, où concrètement tu parles avec Dieu, tu lui exposes tes problèmes, ou tes prières, ce que tu veux, et en parallèle tu as des confessions qui ont lieu, des groupes de parole ou des prières à plusieurs pour t'aider... C'est très intéressant au niveau de la foi. »

Ce truc-machin-chose avait plus d'attrait aux yeux de Pierrot qu'une messe, inexplicablement.

« Ça a l'air fun. Je veux bien.

— Cool ! Je vais demander à mon aumônerie qu'on en organise une grosse après Noël ! Tu vas voir, ça va être génial ! Sautilla la jeune femme en sortant de la boutique. »

... Est-ce que ma vie spirituelle l'intéresse à ce point ?

Avec tout ça, il ne pensait même plus à son rêve de la veille. Celui avec un gars qui disait à Jésus, alors qu'ils étaient dans une baraque pleine de gens : « Voici que ta mère et tes frères sont là dehors : ils te cherchent. » et Jésus qui lui faisait : « Qui est ma mère ? Qui sont mes frères ? », parcourant l'assemblée du regard, « Voici ma mère et mes frères. Celui qui fait la volonté de Dieu, celui-là est pour moi un frère, une sœur, une mère. »

Cependant, même s'il n'y pensait plus spécifiquement, il se dit que sa vie spirituelle en ce moment, c'était le bordel. Avant tout ce bazar, elle était inexistante, et ça lui allait très bien, mais depuis que tout avait commencé — depuis quinze jours en fait — plus rien n'allait dans sa tête.

Il se posait mille et une questions. Et la plus bruyante de toute, c'était 'est-ce que je deviens catholique ou chrétien ou j'en sais rien ?', 'est-ce que j'admire vraiment autant Jésus ou je me raccroche juste à une image mentale ?' étant la seconde.

Je pense qu'arrêter de penser résoudrait tous mes problèmes, songea-t-il en se levant et allant regarder l'œil qu'il avait fait à partir de celui de Jésus — cette phrase sonne glauque.

Le projet avait beaucoup avancé ces derniers temps, Joseph lui avait porté un avis intéressant sur le fait que cet œil faisait peur, et Pierrot avait ajouté un peu de luminosité a l'intérieur pour le rendre moins sombre. Mais malgré tout, le regard de Jésus restait brun, fallait pas se leurrer. L'iris était composé de branches de [insérer un matériau] minuscules, aux multiples teintes brunes, luisantes et juste assez bien disposées pour ne pas donner un air de dessin mal fait au tout.

Le cadre avait lui aussi évolué grâce au jeune garçon, qui le trouvait trop simple. Alors Pierrot avait ajouté un peu plus de fioritures dessus, et l'ensemble avait maintenant fière allure, même si quelque chose le dérangeait encore. Il ne savait juste pas quoi.

Il fixa l'œil. Il lui arrivait de faire ça, et de se demander si un jour l'œil clignerait aussi, mais bon, on n'est pas dans Toy Story, alors cet œil ne clignerait jamais, et Pierrot continuerait de le regarder fixement sans penser à rien.

Je ne sais pas si je serais capable de, genre, me sacrifier pour Jésus. Ça reste un rêve, alors en soi ça ne me blesserait pas, mais... je sais pas. Il faudrait que je voie à chaud.

Et comme dans son monde à lui personne ne voulait attenter à la vie de Jésus, il ne put pas poser de réponse à cette énième question. La foi était décidément quelque chose de bien pénible.

אבא

Mc 3, 31-35