΅ XXIX ΅
Comment vous dire que cette soirée avait bien commencé ? Elle tournait clairement au cauchemar.
Le début était encore limpide dans la tête de Pierrot ; ils étaient d'un côté du f'rjvjdjcs — il finirait bien par connaître son nom à cette eau de malheur —, et Jésus voulait passer de l'autre côté.
Simple.
Pierrot pouvat même le citer. « Passons sur l'autre rive. » C'était super facile, dans l'idée comme dans la pratique ; le f'rjvjdjcs est un long fleuve tranquille, tout le monde le sait.
Et c'est justement par esprit de contradiction que ce soir-là, une tempête soufflait au-dessus et rendait sa traversée... laborieuse.
Mais recommençons.
Donc, il y avait eu le « Passons sur l'autre rive. » puis les apôtres avaient acquiescé, et mis une barque assez grande pour les contenir tous sur le fleuve. L'eau était encore tranquille à ce moment-là, alors ce fut chose aisée.
Arriver jusqu'à la moitié avait été reposant, car il faisait bon, il y avait un peu de vent, et Pierrot adorait la nuit, d'une manière générale. C'était tellement agréable que Jésus s'était même endormi à l'arrière de la barque, avec toute sa classe et sa prestance habituelle. Il devait vachement leur faire confiance pour les laisser le conduire de l'autre côté du fleuve.
Mais le fait est que si les disciples réunissent un grand panel de métiers et de connaissances, ils sont complètement nuls en cohésion. Le vent s'était mis à souffler vers le milieu de la traversée ; Jésus dormait alors à poings fermés, et c'était Pierrot qui avait la barre. Il avait remarqué que l'eau devenait un peu difficile à contrôler, et ses passagers n'étaient plus aussi sereins derrière lui, aléatoirement soulevés par des petites vagues passant sous eux.
André l'avait rejoint, pour l'aider à maintenir son cap maintenant que l'eau et le vent n'en faisaient vraiment qu'à leur tête, mais même à deux, la barre commençait à leur échapper, et ils changeaient progressivement de direction.
Mentalement, comment vous communiquer ce que ressentait Pierrot ? C'était... Coloré.
Putain de putain de putain de bordel de merde de-
Bref.
Il avait beau avoir beaucoup pêché sur ce fleuve, en pleine nuit la majeure partie du temps, comme le soir où ils étaient, d'ailleurs, et seul, mais faire face à une tempête, ça ne lui était jamais arrivé. André avait déjà l'air plus sûr de lui quand il luttait avec les rames, épaulé de Jacques, et lançait des directives aux autres, tétanisés derrière eux, mais malgré tout, si survivre tout seul en chassant du poisson était assez simple, le faire à treize était franchement plus galère. Et il y avait Jésus avec eux.
Si on tue Jésus, Marie va vraiment me défoncer.
Une bourrasque les souleva soudain à moitié, faisant glapir tout l'équipage, qui vola légèrement avant de retomber lourdement au fond de la barque. Pierrot se rendit compte de la dangerosité de leur activité.
Il jeta un coup d'œil circulaire sur le fleuve, mais force était de constater qu'ils étaient les seuls fous à tenter une traversée maintenant ; aucun pêcheur en vue, et de gros nuages noirs comme de l'encre, difficilement visibles vu qu'ils étaient eux-mêmes dans le noir, survolaient l'eau. Il se rendit compte aussi qu'il mourait de froid.
L'un des onze autres derrière lui se mit à entamer une prière comme Jésus le leur avait appris, mais les mots étaient hésitants, et Pierrot n'était pas bien sûr de l'intention qu'il y avait derrière.
Une autre bourrasque, suivie d'une grosse vague, les souleva à nouveau, et Jean faillit tomber du navire. C'est à partir de ce moment que plus personne ne fut tranquille, puisqu'une énorme barrière d'eau se gonfla au-devant d'eux et les surplomba avant de s'écraser sur la proue, produisant un effet catapulte comique mais ultra stressant avec cette météo et ces nuages noirs qui s'approchaient d'eux. Tout le monde se vautra dans la barque, sauf Jésus, parce qu'il a la classe et qu'il dort.
Comment est-ce qu'il fait pour dormir, lui ? Se demanda Pierrot en essayant à nouveau de corriger la barre, mais c'était maintenant impossible de savoir où ils étaient, tant ils tournaient à cause du vent, de l'eau et que les nuages formaient barrière entre eux et le reste du monde.
Un autre tsunami miniature s'éleva, mais cette fois, il allait clairement les engloutir. Pierrot n'eut pas trop peur pour lui, mais se tourna vers les autres, pour... il ne savait pas trop quoi, mais il se dit que c'était mieux de mourir face à eux plutôt que de dos. Et la première chose qu'il remarqua, c'était que Jésus ne dormait plus, et regardait l'eau et le vent, d'une manière qui évoquait une supériorité évidente par rapport à eux.
« Silence, tais-toi ! »
Et tout sembla retomber. La peur des apôtres, la grosse vague, les éclairs, le vent qui les embêtait, tout disparut.
Et tous fixèrent Jésus d'une manière très étrange.
« Pourquoi êtes-vous si craintifs ? N'avez-vous pas encore la foi ? »
Éternellement calme, debout au milieu d'eux, il les regardait, et il n'était que bonté et bonhomie. Mais Pierrot ne retenait qu'une chose, que les autres se chuchotaient autour de lui, réussissant à mettre des mots sur ce flot de pensée qu'ils partageaient.
Qui est-il donc, celui-ci, pour que même le vent et la mer lui obéissent ?
אבא
Le lendemain matin, très tôt, ils étaient de l'autre côté, sains et saufs. Pierrot ne se sentait pas ouf, faute à la retombée du stress de la traversée, mais à part ça tout le monde avait l'air d'aller bien. Pour l'instant, ils étaient encore en barque, Thadée cherchant un endroit où accoster — la berge était rocheuse, alors il fallait faire attention, et puis personne n'avait envie de tenter le diable une seconde fois.
« Là-bas ! Indiqua le phare de leur barque en montrant une petite parcelle d'herbe boueuse. Les rochers s'espacent assez pour qu'on puisse descendre ! »
Pierrot étant crevé, c'est Jacques qui prit le contrôle des rames, et ils furent bientôt à bon port. Jésus descendit le premier, et Pierrot observa le paysage. Une falaise, un... Cimetière ? Youpi l'ambiance. Et puis un troupeau de cochons un peu plus loin, sages points bruns en train de bouffer.
Le regard perdu au loin, Pierrot mit un moment avant de remarquer le bruit de cavalcade qui s'approchait d'eux, et ce ne fut pas lui qui se jeta devant Jésus pour le protéger de l'impact, mais un autre des douze — tous s'étaient élancés, bien entendu, mais André avait été le plus rapide, et il ceinturait maintenant un-
Pierrot ferma fortement les yeux pour retirer cette image de sa mémoire. Un squelette de monsieur tout nu, griffé sur tout le corps et couvert de bleus et contusions, s'était rué vers Jésus, et essayait de se défaire de l'étreinte d'André, ses bras aussi fins que des branches de saule et aux os horriblement apparents se levant à répétition pour le frapper jusqu'à ce qu'il le lâche.
IL VA TOUS NOUS TUER ! Paniqua Pierrot.
Mais une fois libre, le monsieur tout nu ne fit que se prosterner devant Jésus.
Ah, c'est bon en fait.
« Je le reconnais, souffla quelqu'un à l'oreille de Pierrot — il jeta un coup d'œil sur le côté, et c'était Marc. C'est un fou qui a été emmené ici et attaché dans le cimetière à plusieurs reprises avec des fers, mais il arrive toujours à les briser. Il vit dans les tombes, là-haut, et il passe son temps à hurler et se blesser avec des pierres. Personne ne peut le maîtriser, certains pensent qu'il est possédé par mille démons ! »
Oui alors bon, faut pas abuser hein, mille... railla Pierrot en lui-même, n'imaginant pas que mille démons pourraient loger en une seule personne.
« Esprit impur, sors de cet homme ! Lança Jésus au gars, froid.
— Que me veux-tu, Jésus, fils du Dieu Très-Haut ? Je t'adjure par Dieu, ne me tourmente pas ! Dit le monsieur tout nu, toujours penché, à Jésus, sa voix forte et erraillée effrayant quelque peu l'orfèvre.
— Quel est ton nom ? Demanda Jésus au gars. »
Pierrot se dit que poser une telle question était étrange venant de Jésus, qui avait souvent l'air de posséder la science infuse. Mais la réponse lui fit froid dans le dos.
« Mon nom est Légion, car nous sommes beaucoup. »
Une œillade paniquée avec Marc lui confirma que ouais, c'était bien ce gars-là qui avait bouffé des démons.
Légion suppliait maintenant Jésus de les laisser tranquilles, mais Pierrot ne comprenait pas qui parlait ; les démons, ou l'humain ?
Cependant Jésus avait un regard froid, qui montrait bien qu'il allait opérer. En panique, Légion regarda autour de lui, et repéra les cochons qu'avait vus Pierrot, plus loin sur la colline. Il la montra de son doigt à l'ongle arraché et aux phalanges détruites.
« Envoie-nous vers ces porcs, et nous entrerons en eux. »
Ah bon, c'était pas des cochons ?
Pierrot se dit qu'il devrait ouvrir un imagier sur la basse-cour un de ces jours.
Comme pour conclure leur deal, Jésus acquiesça, et d'un coup d'un seul, les démons sortirent du gars. Ça aurait pu se passer comme dans un film, avec de la musique badass et des actions incroyables venant des démons, mais la réalité était un peu plus nulle : ils ne virent rien du tout. Du moins, les douze ne virent rien. Jésus suivait leur progression du regard, lui.
Mais, ce moment, Pierrot n'aurait pas voulu le vivre en mode film d'action. Parce que les frissons incontrôlables, le vertige, la pression intérieure qui lui donna envie de s'évanouir et le mal-être qui le prirent dès l'instant où Jésus avait opiné de la tête, il n'aurait pu les retrouver nulle part ailleurs, et sûrement pas sur un écran.
Les autres apôtres avaient l'air de ne rien ressentir ; ils fixaient les coch- les porcs, au loin, et virent donc le troupeau brusquement s'agiter et galoper lourdement vers la falaise, hurlant et bruyant comme jamais Pierrot n'avait entendu d'animaux paniquer/avoir peur/souffrir — tout le monde panique, aujourd'hui, décidément.
Et les cochons- les PORCS se jetèrent du haut de la falaise. Pierrot ne regarda pas ce spectacle morbide ; il préféra contempler le désarroi des gardeurs de porcs, qui voyaient leur troupeau s'enfuir, tentant maladroitement de leur courir après ; mais il faut croire que les démons courent plus vite que les hommes.
« Pierre, chuchota Marc, regardant encore la falaise d'où avaient disparu les porcs. Il y en avait deux-mille. »
Pierrot comprit deux-mille cochons. Il se dit donc que c'était un joli troupeau.
Puis il comprit que ça représentait aussi deux-mille démons.
Sa mâchoire en tomba des nues.
Devant eux, le gars qui ne s'appelait plus Légion semblait embarrassé.
C'est vrai qu'il est toujours tout nu, lui.
Pierrot se pencha pour prendre des vêtements de rechange dans la barque, mais il n'y en avait plus ; la tempête avait dû les emporter.
« Je vais te passer ma tunique, attends, le prévint-il en commençant à l'enlever, ignorant délibérément ses gestes de mais non mais c'est pas grave te désape pas. »
Sa tenue évoluait régulièrement, et à force il n'y faisait plus vraiment attention, mais ce jour-là la nature l'avait doté d'une tunique et d'une surtunique, par-dessus un pantalon et une sorte de débardeur qui absorbait sa sueur — tenue imaginée pour le bien de l'histoire ; aucune idée de si les autochtones s'habillaient de cette manière il y a deux-mille ans.
Pierrot choisit de passer au gars sa surtunique et son pantalon ; il gardait donc sa tunique et son débardeur — et ses chaussures, mais c'est évident. Jean donna ses chaussures, pour le coup, et Philippe sa ceinture.
Le gars avait un look bancal, mais au moins, il était habillé. Il dit qu'il avait faim ; Simon sortit de son sac un gros morceau de pain, et Thomas réussit à dénicher du jambon et du fromage. Avec ça, le gars leur raconta sa vie, et Pierrot se sentait bien.
Au bout d'un moment cependant, des gens accoururent vers eux, encore. Pierrot craignit que ce ne soient de nouveaux possédés qui viennent les alpaguer, mais ils avaient l'air normaux, juste... effrayés.
Il n'est plus possédé les gars, ça se voit, quand même.
Les gens ne s'approchèrent pas plus ; les deux gardeurs des porcs chuchotaient à des groupes de personnes ce qu'ils avaient vu, et au moment des porcs qui se jettent dans le vide, ce fut trop d'émotion : Jésus et les apôtres furent suppliés de se barrer.
Alors ils s'exécutèrent, non sans un regard inquiet des disciples vers l'eau, mais elle avait l'air calme. Le gars se mit à genoux devant Jésus quand il voulut remonter dans la barque, le suppliant lui aussi, mais de l'emmener avec lui. Pierrot n'aurait pas dit non à plus de copains, mais Jésus refusa.
« Rentre à la maison, auprès des tiens, annonce-leur tout ce que le Seigneur a fait pour toi dans sa miséricorde. »
Miséricorde. Pierrot était sûr de l'avoir déjà entendu quelque part, ce Pokémon-là. Restait à savoir où.
Le gars finit par accepter son sort, et Marc rapporta à Pierrot un peu plus tard que le gars, obéissant à Jésus, avait fini non pas par faire peur aux gens, mais par les rendre admiratifs.
אבא
Mc 4, 35-41
Mc 5, 1-20
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