΅ XVIII ΅
Encore une fois, Pierrot se réveilla au milieu d'une foule, mais il avait l'esprit occupé. Dorémi et lui avaient entretenu une conversation pendant la journée, après le départ de Joseph, sur le fait qu'apparemment, Jésus était souvent vu comme peace and love dans la religion catholique alors qu'en fait il était tout à fait capable de punir, etc. Pour s'appuyer, elle lui avait raconté un passage de la Bible où il avait jerté des marchands qui s'étaient installés au Temple pour faire commerce, en renversant tout et cassant tout ce qui lui tombait sous la main.
Pierrot avait trouvé ça un peu sévère. Et il se rendait ainsi compte que le Jésus qui lui faisait de beaux discours était sans aucun doute un Jésus peace and love. Il en était choqué.
« Oui mais tu ne peux pas nier que ta religion veut sauver tout le monde, tout ça, avait-il plaidé pour défendre sa naïveté.
— Oui, mais personne n'a dit que c'était gratuit, avait râlé la jeune femme en croisant les bras. Et puis, Dieu sauve ceux qui veulent être sauvés. »
Après ça, son téléphone avait sonné, et elle était partie en répétition. Et lui s'était couché avec des problèmes plein la tête. Et il se réveillait donc au milieu d'une foule. Jésus, qui leur parlait, avait les sourcils froncés, sérieux.
Pierrot n'était par contre franchement pas en conditions pour écouter des mots compliqués — son esprit railleur arriva en force.
« Vous avez appris qu'il a été dit aux anciens : 'Tu ne commettras pas de meurtre', et si quelqu'un commet un meurtre, il devra passer en jugement. Eh bien ! moi, je vous dis : Tout homme qui se met en colère contre son frère devra passer en jugement. Si quelqu'un insulte son frère, il devra passer devant le tribunal. Si quelqu'un le traite de fou, il sera passible de la géhenne de feu. »
On est tous foutus.
« Donc, lorsque tu vas présenter ton offrande à l'autel, si, là, tu te souviens que ton frère a quelque chose contre toi, laisse ton offrande, là, devant l'autel, va d'abord te réconcilier avec ton frère, et ensuite viens présenter ton offrande. [...] Amen, je te le dis : tu n'en sortiras pas [de prison] avant d'avoir payé jusqu'au dernier sou. »
Pierrot ne savait pas vraiment quoi penser, le ton strict de Jésus ayant chassé toute fatigue émotionnelle de son corps. Par contre, le tutoiement qu'avait utilisé Jésus pour cette fois, différant du fameux 'Amen je vous le dis', lui donnait l'impression d'être sa cible directe et d'avoir fait une bourde.
Jésus continuait, bien loin du peace and love :
« Vous avez appris qu'il a été dit : 'Tu ne commettras pas d'adultère'. Eh bien ! moi, je vous dis : Tout homme qui regarde une femme avec convoitise a déjà commis l'adultère avec elle dans son cœur. »
Boum, tout le monde au tribunal, se dit Pierrot -- heureusement qu'il ne reluquait pas les demoiselles dans la rue, mais il plaignait ses confrères mecs qui sifflaient leurs proies en les jaugeant d'un œil avide.
« Si ton œil droit entraine ta chute, arrache-le et jette-le loin de toi »
Pierrot fit les gros yeux.
« car mieux vaut pour toi perdre un de tes membres que d'avoir ton corps tout entier jeté dans la géhenne. »
Ah.
Ses yeux se remirent donc normalement.
« Et si ta main droite entraîne ta chute, coupe-la et jette-la loin de toi, car mieux vaut pour toi perdre un de tes membres que d'avoir ton corps tout entier qui s'en aille dans la géhenne. [...] Vous avez encore appris qu'il a été dit aux anciens : 'Tu ne manqueras pas à tes serments, mais tu t'acquitteras de tes serments envers le Seigneur'. Eh bien ! moi, je vous dis de ne pas jurer du tout, ni par le ciel, car c'est le trône de Dieu, ni par la terre, car elle est son marchepied, ni par Jérusalem, car elle est la Ville du grand Roi. Et ne jure pas non plus sur ta tête, parce que tu ne peux pas rendre une seul de tes cheveux blanc ou noir. Que votre parole soit 'oui', si c'est 'oui', 'non', si c'est 'non'. Ce qui est en plus vient du Mauvais. »
Après une introspection rapide, Pierrot se rendit compte qu'il ne jurait pas, parce qu'il n'avait personne à qui parler. Tant mieux.
« Vous avez appris qu'il a été dit, continuait Jésus sans faire d'égards des gens autour de lui qui commençaient à parler, : 'Œil pour œil', et 'dent pour dent'. Eh bien ! moi, je vous dis de ne pas riposter au méchant ; mais si quelqu'un te gifle sur la joue droite, tends-lui encore l'autre. Et si quelqu'un veut te poursuivre en justice et prendre ta tunique, laisse-lui encore ton manteau. Et si quelqu'un te réquisitionne pour faire mille pas, fais-en deux-mille avec lui. À qui te demande, donne ; à qui veut t'emprunter, ne tourne pas le dos ! »
Pierrot aimait bien cette conclusion, même si le truc de la joue droite et la joue gauche, très célèbre, lui était assez obscur.
« Vous avez appris qu'il a été dit : 'Tu aimeras ton prochain' et tu haïras ton ennemi. Eh bien ! moi, je vous dis : Aimez vos ennemis, et priez pour ceux qui vous persécutent, afin d'être vraiment les fils de votre Père qui est aux cieux ; car il fait lever son soleil sur les méchants et sur les bons, il fait tomber la pluie sur les justes sur les injustes. En effet, si vous aimez ceux qui vous aiment, quelle récompense méritez-vous ? Les publicains eux-mêmes n'en font-ils pas autant ? Et si vous ne saluez que vos frères, que faites-vous d'extraordinaire ? Les païens eux-mêmes n'en font-ils pas autant ? »
Pierrot reconnut le contenu d'un discours mené quelques jours avant, et se demanda pourquoi Jésus insistait autant là-dessus. Et sur le fait d'aimer ses ennemis aussi. Il comprenait l'intention, mais de là à le faire en vrai, c'était particulier.
Comme Jésus avait fini de parler, tout le monde se leva progressivement. Pierrot le suivit avec les autres apôtres — André baîllait en s'étirant, il avait sans doute dormi — et une petite assemblée se mit en route avec eux, ceux qui les accompagnaient tout le temps et quelques nouveaux, que Pierrot salua, du coup. Quitte à écouter, autant mettre aussi en pratique, surtout sous les yeux du concerné. Mais fallait pas rêver, il ne serrerait pas la main de son client-cadran-solaire aussi chaleureusement qu'il le faisait présentement avec celle de l'un des nouveaux arrivants.
Deux-trois personnes s'approchèrent de Jésus en particulier, et comme Pierrot aimait se mêler des affaires des autres, il écouta ce qui se disait.
« Je te suivrai partout où tu iras, disait l'un d'eux avec un sourire jusqu'aux oreilles, super content d'enfin rencontrer Jésus en vrai, ce que Pierrot pouvait comprendre. »
Jésus le sonda du regard, et déclara :
« Les renards ont des terriers, les oiseaux du ciel ont des nids ; mais le Fils de l'homme n'a pas d'endroit où reposer sa tête. »
Le nouvel arrivant hocha vivement la tête, encore plus content de ne s'être pas pris un refus. Pierrot sourit de le voir aussi heureux. Un autre s'approcha. Jésus tourna la tête droit vers lui.
« Suis-moi, lui dit-il avec une conviction qui ferait s'agenouiller n'importe qui.
— Seigneur, permets-moi d'aller d'abord enterrer mon père. »
Permission acceptée, aurait dit Pierrot, parce qu'après tout, c'est la moindre des choses. On peut t'accompagner, aussi.
Mais Pierrot n'était pas Jésus. Et il s'en rendit compte à ce moment-là.
« Laisse les morts enterrer leurs morts. Toi, pars, et annonce le règne de Dieu. »
...
Un troisième s'approcha, timide, mais on pouvait lire une certaine conviction dans ses yeux.
« Je te suivrai, Seigneur ; mais laisse-moi d'abord faire mes adieux aux gens de ma maison. »
Là encore, Pierrot aurait dit oui, parce que c'est pas sympa de poser un lapin à sa famille.
« Quiconque met la main à la charrue, puis regarde en arrière, n'est pas fait pour le royaume de Dieu. »
Alors Pierrot pensait. Et quand il se réveilla sur un plafond lisse et blanc, il pensait toujours.
אבא
Mt 5, 21-30, 33-47
Lc 9, 57-62
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