Pierrot se réveilla assis sur un rocher — drôle de pose où apparaître, mais comme techniquement il était assis là déjà réveillé, il ne se sentait pas du tout fatigué et ne ressentit pas le besoin de s'étirer. Il regarda un peu autour de lui et vit pleins de gens, qui écoutaient Jésus parce qu'il parlait.

Comme d'habitude, j'ai envie de dire.

Il y prêta l'oreille, car ce que disait Jésus était toujours intéressant, dans un sens. Il disait des choses que Pierrot n'avait pas l'habitude d'entendre.

« Amen, amen, je vous le dis : le Fils ne peut rien faire de lui-même, il fait seulement ce qu'il voit faire par le Père ; ce que fait celui-ci, le Fils le fait pareillement. Car le Père aime le Fils et lui montre tout ce qu'il fait. »

Jusque là, c'est le fonctionnement normal d'une relation père-fils, réfléchit Pierrot en se perdant dans sa tête, manquant de fait quelques phrases ; il se reconcentra rapidement.

« Comme le Père, en effet, relève les morts et les fait vivre — what ? — ainsi le Fils, lui aussi, fait vivre qui il veut. »

Mon père ressuscite pas les morts, nan. Et moi j'ai pas réussi à faire revivre mon poisson rouge.

« Car le Père ne juge personne : il a donné au Fils tout pouvoir pour juger, afin que tous honorent le Fils comme ils honorent le Père. Celui qui ne rend pas honneur au Fils ne rend pas non plus honneur au Père, qui l'a envoyé. »

De quel père et de quel fils il parle, en fait ? Se demanda Pierrot en relevant la tête des cailloux qu'il touillait du bout du pied.

Jésus était imperturbable, il parlait haut et fort et se foutait des rageux bien habillés qui complotaient contre lui. Et il disait des trucs un peu bizarres, aussi.

« Amen, amen, je vous le dis : qui écoute ma parole et croit en Celui qui m'a envoyé, obtient la vie éternelle et il échappe au jugement, car déjà il passe de la mort à la vie. »

Attends attends attends, le fils c'est toi ? Comprit Pierrot d'un coup. Et le père c'est Dieu ?

Sa conscience lui rappela dans le même temps qu'il avait déjà entendu Jésus être appelé Fils de Dieu, dans le monde réel. Donc ce n'était pas si improbable. Et il se sentait un peu stupide de ne pas avoir fait le rapprochement avant.

« Amen, amen, je vous le dis : l'heure vient — et c'est maintenant — où les morts entendront la voix du Fils de Dieu, et ceux qui l'auront entendue vivront. »

J'entends sa voix moi ? Je fais partie des morts aussi ?

Le problème avec les mots compliqués de Jésus, c'est que Pierrot n'était jamais sûr d'à qui ça s'adressait, et de qui ça parlait. Et il ne savait pas si dans ce monde, il était considéré comme mort dans la vie réelle ou pas. Normalement pas, mais on n'est jamais trop sûr. Et avec ces pensées, il avait loupé deux phrases. Et merde.

« Moi, je ne peux rien faire de moi-même ; je rends mon jugement d'après ce que j'entends, et mon jugement est juste, parce que je ne cherche pas à faire ma volonté, mais la volonté de Celui qui m'a envoyé. »

À la fois il est libre et à la fois il l'est pas, conclut Pierrot, un peu perdu par cette conclusion.

Le problème, quand il écoutait Jésus s'adresser aux foules, ce qu'il faisait les trois quarts du temps, c'était que bien souvent, il s'en tirait avec des migraines pas possibles. Parce que, des poissons qui apparaissent, ça, c'est simple à comprendre. Par contre, des mots qui font des phrases et des discours, ça enjoignait d'utiliser son cerveau, et ça, Pierrot n'en était pas toujours capable. Quasiment jamais, en fait.

« Vous avez envoyé une délégation auprès de Jean le Baptiste, et il a rendu témoignage à la vérité. Moi, ce n'est pas d'un homme que je reçois le témoignage, mais je parle ainsi pour que vous soyez sauvés. »

Ton sauvetage fait mal à la tête.

Pour se soulager de sa migraine imminente, Pierrot n'écouta plus pendant un moment, préférant regarder les gens attroupés là, devant et derrière eux. Partout. Ça le sidérait, cette capacité qu'avait Jésus à attirer autant de gens.

Pourquoi moi je le suis ? J'ai littéralement une nouvelle vie ici. Je pourrais tout faire.

Alors il perdit son regard sur Jésus cette fois. Et il ne trouva pas de réponse concrète.

« Vous scrutez les Écritures parce que vous pensez y trouver la vie éternelle ; or, ce sont les Écritures qui me rendent témoignage — coup dur —, et vous ne voulez pas venir à moi pour avoir la vie ! »

Jésus asséna la fin de sa phrase avec une telle force que Pierrot en frissonna et ne fut plus du tout d'humeur à rigoler. Lui qui venait à l'instant de se demander pourquoi il le suivait, voilà qu'il se faisait engueuler pour douter.

C'est nouveau pour moi, me gronde pas !

Il regarda la foule, qui avait baissé la tête. Au moins, il n'était pas le seul à se sentir visé.

« La gloire, je ne la reçois pas des hommes ; d'ailleurs je vous connais : vous n'avez pas en vous l'amour de Dieu. Moi, je suis venu au nom de mon Père, et vous ne me recevez pas ; qu'un autre vienne en son propre nom, celui-là, vous le recevrez ! Comment pourriez-vous croire, vous qui recevez votre gloire les uns des autres, et qui ne cherchez pas la gloire qui vient du Dieu unique ? »

C'est vrai. En quelque sorte.

« Ne pensez pas que c'est moi qui vous accuserai devant le Père, désamorça Jésus devant la foule qui commençait à bruisser de tous côtés. Votre accusateur, c'est Moïse, en qui vous avez mis votre espérance. »

Ça c'est con.

« Si vous croyiez Moïse, vous me croiriez aussi, car c'est à mon sujet qu'il a écrit. Mais si vous ne croyez pas ses écrits, comment croirez-vous mes paroles ?

אבא

Jn 5, 19-25, 30, 33-34, 39-46