΅ XLV ΅
« Oh. »
C'est tout ce qu'il trouva à dire quand il vit Jésus en train de pleurer.
Mais reprenons.
Une fois n'était pas coutume, un mec était venu les voir, un matin, alors qu'ils faisaient leur vie à [insérer un nom de ville], et leur avait dit à peu près ces mots :
« Seigneur, celui que tu aimes est malade. »
À savoir que dans ce pays, cette appellation n'avait pas de signification amoureuse — Jean se faisait littéralement appeler 'Celui que Jésus aime', alors depuis le temps Pierrot avait su faire la part des choses entre une manière de nommer un peu cheloue et l'idée d'un Jésus gay.
Et à Jésus de répondre :
« Cette maladie ne conduit pas à la mort, elle est pour la gloire de Dieu, afin que par elle le Fils de Dieu soit glorifié. »
Comme Pierrot — et les autres disciples pour une fois — n'avaient pas compris, ils avaient retenu le messager juste avant qu'il ne s'en aille — oui, ce bref échange avait constitué toute la conversation — et lui avaient soutiré ces informations : Lazare, un poto de Jésus, venait de mourir, et ses sœurs, qui étaient elles-mêmes proches de Jésus, lui demandaient de venir avant qu'ils ne referment son tombeau — au cas où vous vous poseriez la question, Pierrot avait bien eu la macabre image d'un cercueil ouvert en attendant que Jésus arrive.
Néanmoins, il ne lui semblait pas avoir déjà entendu parler de ces gens.
« C'est qui, ces filles. au juste ? Demanda-t-il à Jean quand il le croisa. On les a déjà vues ?
— Oui pour l'une d'elles, Marie, lui expliqua gentiment Jean — ce n'était pas un mauvais bougre, parfois un peu trop pincé aux yeux de Pierrot cependant. C'est celle qui a répandu son parfum sur les pieds de Jésus et les a lavés avec ses cheveux. »
Arrêt mental. Puis revisualisation du premier moment où il l'avait appris. Et où il avait déjà fait un arrêt mental, by the way.
« Ah, merci. J'avais complètement oublié ça.
— Mais y'a pas de mal. »
Jean sortit, et Pierrot en profita pour aller un peu aider André, de corvée patates — ou ce qui s'y apparentait, à savoir des galettes.
Ce n'est que deux jours plus tard que Jésus lança l'ordre de quitter la ville où ils se trouvaient pour rejoindre Béthanie, où se trouvait feu Lazare.
Est-ce qu'il attendait quelque chose, pour patienter aussi longtemps avant d'aller le voir ? Il est quand même mort, et c'était son pote...
Pierrot ne fut pas le seul à être circonspect devant l'idée, puisque plusieurs apôtres durent rappeler à Jésus que pas moins de deux semaines plus tôt, les Juifs du même coin tentaient de le canarder avec des cailloux, et même si ce n'était pas le même étonnement que Pierrot, l'objection était quand même là. En fait, seul Jésus avait l'air d'être chaud, dans l'histoire.
« N'y a-t-il pas douze heures dans une journée ? Répondit-il aux apôtres qui avaient pris la parole, par rapport aux Juifs et aux canards. Celui qui marche pendant le jour ne trébuche pas, parce qu'il voit la lumière de ce monde ; mais celui qui marche pendant la nuit trébuche, parce que la lumière n'est pas en lui. »
...
Pas compris le rapport.
« Lazare, notre ami, reprit Jésus après une seconde de méditation, s'est endormi ; mais je vais aller le tirer de ce sommeil. »
Ah, il me semblait qu'il était mort, à moi. Ils ont peut-être confondu avec le coma du coup.
« Seigneur, s'il s'est endormi, il sera sauvé, s'exclama l'un des apôtres — que Pierrot n'identifia pas parce qu'il se servait une part de galette ni vu ni connu.
— Lazare est mort, dit Jésus de but en blanc — faudrait savoir —, et je me réjouis de n'avoir pas été là, à cause de vous, pour que vous croyiez. Mais allons auprès de lui !
— Allons-y, nous aussi, renchérit Thomas, pour mourir avec lui ! »
Pierrot les regarda bizarrement.
Est-ce que vous avez tous décidé de dire des phrases qui n'ont aucun sens, aujourd'hui ?
Petit blanc dans le rêve sur la durée de la marche jusqu'à Béthanie, qui se dissipa lorsqu'ils y arrivèrent et s'arrêtèrent à ses portes — c'était un petit village, alors il n'y avait pas de portes à proprement parler, mais vous voyez l'idée. Le village semblait accolé à une falaise, autour du pied de laquelle une troupe de gens était rassemblée, habillés à la manière des Juifs — Pierrot commençait à bien connaître son environnement, mine de rien.
La rumeur disant que Jésus était arrivé se propagea dans le village, et sans qu'ils n'aient à se déplacer — ils s'étaient arrêtés à l'entrée du village et point —, une jeune femme accourut bientôt vers eux, pour se poster face à Jésus.
« Seigneur, si tu avais été ici, mon frère ne serait pas mort. »
Bonjour à toi aussi.
« Mais maintenant encore, je le sais, tout ce que tu demanderas à Dieu, Dieu te l'accordera, continua-t-elle d'un ton que Pierrot ne savait pas trop interpréter — ça ressemblait à ce genre de discours niais dits dans les films, sauf qu'elle était sérieuse.
— Ton frère ressuscitera, lui dit Jésus de son ton calme qui le caractérisait si bien.
— Je sais qu'il ressuscitera à la résurrection, au dernier jour, acquiesça Marie gravement, alors que Pierrot se demandait si c'était ça, la fameuse vie au paradis des chrétiens, genre la vie après la mort, ce genre de trucs.
— Moi, déclara Jésus d'une manière qui annonçait qu'il allait lâcher une bombe de maux de tête, je suis la résurrection et la vie. Celui qui croit en moi, même s'il meurt, vivra ; quiconque vit et croit en moi ne mourra jamais. Crois-tu cela ? »
Pierrot eut besoin de fermer ses yeux un instant. Pourquoi ce style de phrase leur était si naturel, bon sang ? Et pourquoi ça sonnait aussi bien, alors que dans son monde à lui ça sonnerait complètement con ?
« Oui, Seigneur, je le crois : tu es le Christ, le Fils de Dieu, tu es celui qui vient dans le monde. »
Sans qu'il ne sache comment ni pourquoi, cette dernière phrase résonna différemment dans l'esprit de l'orfèvre. Et il la garderait en mémoire très longtemps, plus longtemps encore que cette histoire ne restera dans votre bibliothèque.
Et puis Marie s'en fut à grands pas, et quelques minutes plus tard, une autre jeune femme accourut vers Jésus, pour se jeter à ses pieds, cette fois. Avec elle arrivaient des Juifs en masse, ils devaient être ensemble avant qu'elle ne vienne.
« Seigneur, si tu avais été ici, mon frère ne serait pas mort. »
C'est une manie, chez vous ?
Mais encore une fois, Jésus ne se vexa pas, et à la place, lui adressa la parole sur un ton craquelé que Pierrot ne lui connaissait pas.
« Où l'avez-vous déposé ? Demanda-t-il aux Juifs devant lui, qui pleuraient à qui mieux-mieux.
— Seigneur, viens, et vois. »
Et là, Jésus se mit à pleurer.
Retour au présent.
Pierrot suivait le petit cortège, composé de Juifs, des deux dames et de Jésus — sans compter les apôtres —, et était encore sous le choc. Jésus pleurait.
Quoi, ça n'arrivait jamais ! C'était la première fois qu'il voyait ça, et si vous l'aviez connu, vous seriez surpris aussi !
Mais quand il jeta un coup d'œil par en-dessous à ses collègues de travail, ils ne semblaient pas plus perturbés que ça. À croire qu'il n'y avait que lui que ça choquait.
Surtout qu'avec vos discours à la noix à propos de morts et de dodos à réveiller, il n'y a pas de raison de pleurer. Il va ressusciter, le mec !
Derrière lui, il entendit des chuchotis s'élever.
« Ne serait-ce pas lui, qui est en train de pleurer, devant ? Voyez comme il l'aimait ! »
Pierrot sourit.
« Lui qui a ouvert les yeux de l'aveugle, ne pouvait-il pas empêcher Lazare de mourir ? »
Il perdit son sourire dans l'instant. Qu'est-ce qu'il détestait ce genre de commentaires.
Mais nous ne nous épancherons pas là-dessus aujourd'hui.
Ils finirent par s'arrêter devant la falaise, plus précisément devant une paroi bouchée d'une grosse pierre de la taille d'un Pierrot et demi, ce qui était très impressionnant.
Jésus prit la parole.
« Enlevez la pierre. »
Mais l'une des deux meufs l'avertit :
« Seigneur, il sent déjà ; c'est le quatrième jour qu'il est là. »
Ah, la pierre c'est le tombeau ? Comprit Pierrot soudainement. Bah dis donc, confort !
« Ne te l'ai-je pas dit ? Répondit Jésus à son amie. Si tu crois, tu verras la gloire de Dieu. »
Puis il leva la tête vers le ciel, alors que des gros costauds se chargeaient de décaler la grosse pierre pour dégager un passage.
Jésus, lui, étendit les mains et parla en l'air.
« Père, je te rends grâce parce que tu m'as exaucé. Je le savais bien, moi, que tu m'exauces toujours ; mais je le dis à cause de la foule qui m'entoure, afin qu'ils croient que c'est toi qui m'as envoyé. »
Est-ce une sorte de SMS ?
« Lazare, viens dehors ! Lança ensuite Jésus d'une voix forte, alors que Pierrot, qui avait lui aussi levé le nez dans l'optique d'apercevoir le destinataire du courrier de Jésus, baissait le sien, et contemplait avec un sentiment indescriptible le fameux Lazare, enveloppé de bandelettes et de trucs de mort, sortir de l'excavation, les yeux encore bandés. Déliez-le, et laissez-le aller. »
Vous voyez un Windows 10 qui plante ? Le cerveau de Pierrot fit le même bruit.
Parce qu'il savait que c'était tout à fait possible pour Jésus d'accomplir un miracle tel que celui-là — il l'assiste tous les jours pour guérir des malades et faire sortir des démons de gens enragés, s'il vous plaît —, mais en même temps il se demandait à quoi avait ressemblé le processus de retour à la vie. Surtout qu'il essayait d'en savoir la sensation, ce qui était particulièrement bizarre.
Mais il se détestait d'essayer, malgré ses connaissances en matière de Jesus' World, d'estimer si Lazare était vraiment mort, avant leur arrivée. Si ces gens, qui à l'instant sautaient de joie et venaient étreindre leur ami, ne s'étaient pas trompés, et si lui et les apôtres ne se trompaient pas sur toute la ligne.
אבא
Jn 11, 1-43
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