΅ XLIX ΅
C'est la tête occupée que Pierrot rejoignit les apôtres en se levant, ce matin-là. Il sentait qu'il lui manquait encore quelques détails pour que son dessin de la représentation de la naissance de Jésus soit parfait, pour la crèche du prêtre. Mais comme il refusait de faire appel à la Bible pour l'aider...
Bah, on ne s'étonne même plus. Pierrot le solitaire essaiera toujours de tout faire tout seul, même s'il sait qu'il fait de la merde.
Mais ce qui le tira de ses pensées, quand il arriva auprès de ses copains, fut la vue de leurs vêtements, qui avaient changé, ce qui n'arrivait habituellement jamais. Pour être sûr qu'il n'avait pas manqué un wagon il baissa les yeux sur ses propres fringues, et elles avaient elles aussi changé. Zut alors.
Ça veut dire que j'ai fait un saut dans le temps. Mais personne n'a l'air d'avoir beaucoup changé de tête, alors ce n'était pas un gros saut. Genre quelques semaines à tout casser.
"Pierre, Jacques, Jean. Accompagnez-moi prier sur la montagne."
Pierrot releva la tête vers Jésus, se demandant le pourquoi du comment une seconde, avant d'être très content, puis très emmerdé.
Parce que Jésus venait de le désigner pour faire un truc, et que c'était super stylé.
Mais que Jésus venait de dire qu'ils allaient escalader une montagne. Et que Pierrot a horreur des trucs à escalader d'une manière générale.
Maiiiiiiis il se retint de gémir/grogner/taper du pied et suivit Jésus docilement, adressant un dernier geste à ses pairs, qui étaient de fait dispensés d'activité pour la journée — ce dont ils n'étaient pas mécontents, vu leurs têtes.
Il salua Jacques et Jean lorsqu'ils se mirent à marcher vers la petite montagne — trop escarpée pour être une gentille colline, trop basse pour être une vilaine grosse montagne de merde —, et entreprit de ménager son souffle, parce qu'ordinairement, il était très fatigué très vite dans ce genre d'entreprise, et que ça commençait à bien faire.
ET IL Y ARRIVA ! Lorsqu'il posa ses ieps sur la surface plane de la petite montagne, il n'avait pas mal, arrivait toujours à respirer, et avait toujours son teint d'endive mûre !
Mais pas le temps de célébrer cet exploit : il fallait prier. C'est pourquoi Jésus, Jacques et Jean — les trois J, tin tin tiiiiiiiin — se mirent à genoux, tournés vers Jérusalem, et Pierrot... resta debout.
Il faut dire qu'il avait toujours du mal à prier, le garçon. Alors il préféra se dire qu'il faisait le guet, au lieu de poireauter sous le soleil comme une andouille, à ne pas savoir quoi faire.
Ce qu'il faut savoir, c'est que la prière, chez la team Jésus, c'est long. Alors au bout d'un moment, Pierrot se retrouva à regarder distraitement le visage apaisé de Jésus, avant de remarquer qu'il blanchissait à vue d'œil.
La vache, est-ce qu'il nous fait un malaise ?
Pierrot s'approcha de Jacques et Jean, pour leur demander leur avis, mais alors qu'il allait toucher l'épaule de Jacques, s'accroupissant auprès de lui, deux mecs aussi brillants que le soleil apparurent quelques mètres devant eux, et Jésus les rejoignit tranquillement après s'être relevé.
Et l'orfèvre retint sa mâchoire de tomber par terre en réalisant que, d'une, les bonshommes avaient des auréoles, et de deux, qu'ils — Jésus compris — avaient des vêtements plus blancs que la plus blanche des feuilles A4. Mais cette réalisation faite, un sommeil étrange s'empara de son corps, ce contre quoi il lutta vaillamment — pas assez cependant pour avoir la présence d'esprit d'écouter les trois super-héros parler ; à peine comprit-il "Moïse", "Élie" et "départ de Jérusalem".
Se sentant pris d'une hardiesse inhabituelle lorsque les deux feuilles A4 se reculèrent, à la fin d'une discussion qu'il n'avait pas réussi à écouter, il se releva péniblement et s'adressa à ces messieurs en ces termes :
« Seigneur, il est bon que nous soyons ici ! Si tu le veux, je vais dresser ici trois tentes, une pour toi, une pour Moïse, et une pour Élie. »
Est-ce qu'ils vont capter que j'ai écouté aux portes quand ils sauront que je connaissais pas leurs noms il y a deux minutes ? Probable.
Mais il parlait encore qu'une sorte de brouillard lumineux les enveloppa, et qu'une voix, venant de partout et nulle part en même temps, dit :
« Celui-ci est mon Fils bien-aimé, en qui je trouve ma joie : écoutez-le ! »
De manière incontrôlable, les trois apôtres tombèrent face contre terre. D'entre tout ce qu'il aurait pu penser, Pierrot ne parvint pas à ressentir autre chose que ce sentiment singulier d'avoir déjà entendu cette voix quelque part. À plusieurs quelque part, même.
Il n'eut aucune idée du temps qui s'écoula à partir du moment où il fut tombé, mais quand il revint de son introspection mentale infructueuse, Jésus lui touchait l'épaule, ainsi qu'à Jacques.
« Relevez-vous et soyez sans crainte ! »
Il a retrouvé sa couleur habituelle, remarqua Pierrot en avisant la tunique blanc-cassé — comment le traiter autrement aptes avoir vu une telle blancheur — de son interlocuteur.
Et les deux saints n'étaient plus là, de surcroît.
Ils reprirent le chemin du village, pour retrouver les apôtres, et Pierrot s'inquiétait pour ses deux confrères, qui n'avaient pas ouvert la bouche depuis qu'ils étaient montés là-haut, mais il n'eut pas le temps de trouver comment aborder le sujet que Jésus attira leur attention :
« Ne parlez de cette vision à personne, avant que le Fils de l'homme soit ressuscité d'entre les morts. »
אבא
Lorsque son réveil sonna, il entendit une nouvelle réplique de Jésus, et il était bien sûr qu'elle ne venait pas du même jour.
« Heureux les yeux qui voient ce que vous voyez ! Car, je vous le déclare : beaucoup de prophètes et de rois ont voulu voir ce que vous-mêmes voyez, et ne l'ont pas vu, entendre ce que vous entendez, et ne l'ont pas entendu. »
Pierrot ouvrit les yeux sur son plafond, hanté par la funeste annonce de Jésus, sur la montagne.
Dommage qu'ils ne l'aient pas vu à ma place alors, parce que je crois que je n'ai pas tout compris.
אבא
Lc 9, 28-32
Mt 17, 4-9
Lc 10, 23-24
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