΅ XIX ΅
Allez.
Son regard alternait entre le carton du cadran solaire et son téléphone.
Allez.
Il se mordit les lèvres, et tendit la main vers son portable. Mais au dernier moment, quelque chose de plus fort que lui fit qu'il l'en éloigna. Frustré, il soupira brusquement. Joseph passa sa tête par l'embrasure de la porte de l'atelier secondaire.
« Monsieur ? Tout va bien ?
— Oui, ne t'inquiète pas, croassa-t-il en le regardant d'un œil encourageant. Tu as terminé ton croquis ?
— Non, je voudrais aller aux toilettes... »
Les toilettes étaient tout au fond de l'atelier secondaire, celui avec les grosses machines de métallier qui lui permettaient de pratiquer autrement qu'avec des pinces et un fer à souder.
« Vas-y, appelle-moi si tu as un problème surtout, lui sourit Pierrot en le voyant parcourir la grande salle pleine d'instruments immenses, bizarres et très chers. »
Joseph s'enferma dans les toilettes, donc, et Pierrot se retourna vers son dilemme. Qui n'en était même pas un.
Il devait simplement appeler son client pour lui dire que sa commande était prête. Mais il stressait quant à sa réaction, car toutes ses autres tentatives avaient été rejetées, et quand bien même le cahier des charges était ici parfaitement respecté, il avait peur de ne pas être payé — parce qu'il n'a aucun charisme et que si un client décrète qu'il ne paiera pas, il se tait, avec en tête la pensée qu'il revendra l'œuvre dix fois plus cher.
Et encore une fois, il mit si longtemps à approcher la main de son téléphone que Joseph eut le temps de sortir des toilettes et d'accueillir un client.
« Monsieur ? Il y a madame trente qui est là ! »
Il soupira silencieusement, et se leva pour aller chercher la commande numéro trente dans l'atelier principal.
« Oui, bonjour ? Fit-il bêtement en arrivant dans la pièce, petite boite en main. Oh, c'est vous ! Beau concert l'autre jour, je n'ai pas eu le temps de vous saluer... »
L'étudiante — Arowana, non ? — rougit.
« Merci... vous avez pu restaurer mon collier ? »
Joseph s'éclipsa discrètement pour aller finir son croquis dans l'atelier.
« Oui, il est comme neuf, lui montra-t-il en le posant sur le comptoir. Vous souhaiteriez y rajouter des choses ? »
La jeune femme se pencha sur le bijou, fascinée.
« Non, il est parfait, sourit-elle sincèrement. »
Le temps de faire un devis, qu'elle paye, et qu'il retourne dans l'atelier secondaire avec son carton et son téléphone, il avait perdu une demi-heure.
Est-ce que c'est possible d'être aussi lent ?
De rage contenue — pas une très grande menace, venant de lui —, il prit son téléphone et chercha le numéro du client dans son répertoire, appuyant un doigt déterminé sur la touche d'appel.
« Allô oui ? Fit aussitôt une voix dans l'appareil. »
Qui décroche si vite ? Je sais plus ce que je voulais dire !
« Euh oui bonjour, c'est Pierrot de Chez l'Orfèvre, je voulais vous dire que j'ai terminé votre commande...
— Ah ! Vous pourriez me l'apporter aujourd'hui ? »
Comment ça, aujourd'hui ? Et je le fous où, Joseph ?
« Vous ne préfèreriez pas ce week-end ? J'ai un stagiaire et je n'ai pas le droit de lui faire quitter la boutique.
— Non, laissez tomber, je viens. »
Et il avait raccroché. Pierrot était interloqué. Quelle mouche avait piqué ce gars ? Il avait toujours été réticent à l'idée de venir à la boutique, et même de revoir son objet de collection, qui ne ressemblait plus vraiment à l'original.
« Monsieur ? J'ai fini mon croquis ! »
Pas le temps pour se perdre en hypothèses, le devoir m'appelle.
« Alors, comment ça se profile ? »
Comme cadeau de stage, Pierrot avait proposé à son jeune collègue de réaliser une petite œuvre en métal, dont il choisirait l'allure et qu'il réaliserait, avec Pierrot en superviseur.
« J'ai pensé à faire des petits bonhommes en boulons et en fil de fer, dans des positions différentes, lui montra le jeune garçon en faisant défiler plusieurs pages de dessins. »
Ses bonshommes étaient debout, assis, allongés parfois, avec n'importe quoi dans les mains et dans n'importe quelles positions : du saxophone au scalpel, de la harpe à la moto. Tous les éléments étaient faits de petits objets métalliques que Pierrot avait à foison dans ses caisses.
« Alors lesquels préfères-tu ? Mais on exclue celui-là, parce que je n'ai pas de pièces comme ça, lui montra-t-il en barrant un dessin du doigt.
— Je peux en faire plusieurs ? S'extasia le garçon.
— Tu t'étais déjà préparé à ce que je te dise de n'en faire qu'un seul ? S'amusa Pierrot. Tant que tu m'aides et que tu fais ce que je te dis ça me va, et tu as quand même plein de temps libre, alors amuse-toi à sélectionner tes pièces et appelle-moi au moment de souder. Mais n'en parle pas à tes parents, ce sera une petite surprise. »
Joseph avait la chance d'avoir des parents très proches de lui et qui le soutenaient dans ses projets. D'ici le lendemain soir, Joseph avait le temps de faire un ou deux bonshommes amusants. Après, son stage toucherait à sa fin.
« Merci beaucoup ! Sourit-il de toutes ses dents. Je peux prendre ce que je veux ? »
Pierrot promena son regard sur ses rangements.
« Tu ne t'approches pas de ceux-là, lui montra-t-il, désignant la partie gauche de la pièce. Juste ces caisses-là, à droite et proche du sol. Et surtout, tu m'appelles au moment de toucher aux machines et au fer, rappela-t-il avant de se faire couper par la clochette de la boutique. Je reviens. »
Il eut tout de même la pensée de 'c'est qui ?' avant de se souvenir que le client qu'il avait devant lui, il l'avait eu au téléphone moins de cinq minutes plus tôt.
« Oh, monsieur ! Je ne m'attendais pas à vous voir si vite ! S'étonna-t-il, pris de court. »
Le client, habituellement tiré à quatre épingles, portait son sempiternel costume complètement débraillé : sa chemise sortait à moitié de son pantalon, ses chaussures ne brillaient pas trop et comportaient des traces de boue, son visage était rouge, ses cheveux en bordel, et son souffle court.
« Est-ce que ça va ? Vous voulez un verre d'eau ? »
Qui court comme ça à en avoir chaud un vingt-deux décembre ?
« Oui, merci, articula le client en se pliant en deux, laissant tomber l'image puisque que Pierrot avait visiblement remarqué son inconfort. Et même plusieurs. »
Pierrot ne réfléchit pas, et lui donna sa gourde.
« Je l'ai lavée hier soir et ne l'ai pas utilisée aujourd'hui.
— Merci beaucoup, toussa le client en la buvant entièrement. Comme la gourde était transparente, Pierrot vit le liquide disparaître à une vitesse fulgurante et se demanda si ce gars avait déjà bu dans sa vie.
— Est-ce qu'il y a une raison à cet... empressement ? Demanda-t-il innocemment. »
Le client reposa la gourde, déterminé. Son regard flamboyait.
« Oui. Je voulais m'excuser pour tout ce que je vous fais endurer depuis des mois avec ma commande, que ce soit les refus odieux alors que votre travail était formidable, ou les rendez-vous manqués parce que j'étais incapable de vous donner du temps. »
...
Le cerveau de Pierrot était coincé.
« J'étais à un café pas loin, je repensais à ça, et vous m'avez appelé... j'ai couru, pour ne pas oublier de m'excuser. Je suis désolé, soupira-t-il, réellement ennuyé. »
Pierrot cligna des yeux, et d'un coup son corps se remit en marche.
« Je... je pensais pas que vous y pensiez, rit-il nerveusement, pas prêt du tout pour ça. »
À la base, il avait prévu de le haïr jusqu'à la fin de sa vie. Ses plans tombaient à l'eau.
« Vous m'avez trouvé horrible, n'est-ce pas ? S'inquiéta le client.
— Euh... Ouais- mais ça va, ça va ! S'écria le jeune homme en voyant d'ici le client se jeter des pierres. Je m'en suis remis, tout va bien. Et le cadran solaire aussi va bien.
— C'est vrai, je suis venu pour ça, aussi. Je peux le voir ? »
Dans sa formulation, Pierrot comprit que le premier objectif à sa venue, c'était de s'excuser. Mine de rien, ça lui fit chaud au cœur.
« Je reviens, il est dans l'atelier.
— Monsieur, j'ai votre carton ! S'exclama Joseph en arrivant justement avec le carton dans les bras.
— Joseph, non ! Il est super lourd, tu vas te casser le dos ! S'inquiéta plutôt Pierrot qu'il ne grondait son stagiaire. Donne-moi ça, ça va ?
— Oui, oui... Y'a quoi dedans ? »
Je ne lui ai pas montré... c'est vrai ça.
« Vous venez monsieur ? Invita Pierrot à l'attention de son client. On va déballer la bête. »
Le client sourit, et Pierrot en fut heureux.
Bạn đang đọc truyện trên: Truyen247.Pro