΅ X ΅
Une nouvelle nuit passa, mais cette fois pas de rêve. Il fut le premier à s'en étonner, debout dans sa cuisine, se disant que cette nuit avait été vachement courte. Et il ne parvenait pas à se décider sur si c'était une bonne chose ou pas que d'avoir arrêté de rêver du pays de Jésus et de la poussière.
Oui, pays de Jésus avant d'être celui de la poussière, et il l'assumait. Il préférait se souvenir de ses rêves comme d'un gars qui parlait aux foules dans une barque de pêcheur plutôt que la poussière de merde qui lui collait aux pieds et s'insérait dans ses sandales.
Toujours était-il qu'il n'avait pas fait de rêve, et que ça le rendait perplexe. Ce n'était pas arrivé depuis leur apparition.
Est-ce que j'en rêverai encore ? Se demanda-t-il en mettant son jean. J'aimerais bien, ça faisait passer le temps...
Son téléphone vibra. Il alla le chercher en faisant le pingouin, ses jambes à moitié enfoncées dans les pattes de son jean.
De : Dorémi
Coucou ;) je voulais savoir si tu serais intéressé pour voir un concert bientôt ?
À : Dorémi
Coucou
Un concert de quoi ?
De : Dorémi
Chorale :)))
À : Dorémi
Ta chorale à toi ?
De : Dorémi
Ouiiiiiiiiiii c'est en ville demain
À : Dorémi
Pourquoi pas, c'est où ?
De : Dorémi
Église Saint Cyprien, à cinq rues de ta boutique
Je suis sûre que tu y es déjà allé
Pierrot réfléchit une seconde et demi. Il était allé à une église la veille, non ? Et c'était pas loin de sa boutique.
À : Dorémi
Oui, c'est à quelle heure ?
De : Dorémi
17h :))
Okay, c'est carrément l'église sans petit panneau, sourit Pierrot pour lui-même, son regard descendant brusquement sur ses cuisses, sans jean, contrairement à ses mollets.
Il imita la loutre agonisante pour terminer d'enfiler son pantalon, puis reprit son portable.
À : Dorémi
J'y serai sans souci, à demain
Est-ce qu'il faut mettre un emoji ? Se demanda-t-il quand il vit tous ceux que Dorémi lui avait mis.
À : Dorémi
:)
Puis il sourit, content, et partit déjeuner.
אבא
« Et est-ce qu'avec ça ce serait possible de rajouter plein de volutes, comme si tout le vent se dirigeait vers le haut du vase ? S'extasia la cliente que Pierrot s'efforçait de satisfaire, émerveillée. »
Il était quinze heures. Simple. Et pourtant, tous les clients qu'il avait eus durant la matinée lui avaient commandé plein de choses, des miroirs aux carafes, et il n'en pouvait plus. En soi, il aimait imaginer et suivre un dessin pour créer quelque chose qui plairait à quelqu'un. Mais, les clients qu'il recevait depuis qu'il avait commencé sa journée ne savaient qu'à moitié comment ils voulaient leurs trucs, et décrivaient n'importe comment ce qu'ils voulaient sur leurs futurs achats, voulant évidemment choisir le prix par eux-mêmes et râlant quand l'estimation de Pierrot ne leur plaisait pas.
« Mais vous êtes chez un ORFÈVRE, madame, c'est le nom de la boutique ! S'était exclamé Pierrot quand une dame particulièrement chiante avait commencé à l'insulter et dire que c'était du vol. Allez chez Action si vous n'êtes pas contente, mais ne vous plaignez pas si c'est cher !
— Vous n'avez aucune bonne manière, avait râlé la dame, dégoûtée. »
Et puis elle était partie. Et la cliente dont il s'occupait maintenant surestimait clairement ses talents ; elle voulait monts et merveilles sur un seul vase, et ça c'était pas possible si elle décrivait sa vision des choses comme ça.
« Madame, tenta de l'arrêter Pierrot en posant son crayon, abandonnant l'idée de faire un croquis de ce qu'elle voulait, étant donné qu'elle s'égarait beaucoup trop. Que diriez-vous de dessiner vous-même ce que vous voulez, être sure de votre schéma, puis revenir me voir ? J'aimerais pouvoir faire tout ce que vous me dites, je vous assure, mais je ne suis pas dans votre tête et je n'arrive pas à suivre tout ce que vous voulez. Si vous voulez en avoir fini aujourd'hui, je peux vous donner toutes les références que j'ai déjà, et vous m'indiquez quel détail de quelle référence vous voulez à quel endroit de ce vase. Ça vous va ? »
La dame le fixa un instant, puis fronça les sourcils.
Oh putain non.
« Vous ne manquez pas de culot ! Cria-t-elle dans la petite boutique, le faisant sursauter et grimacer — il avait horreur des cris, des gros bruits et des clients en colère. Mais je comprends. »
Ah ?
« Je vais faire comme ça, on va gagner du temps, acquiesça-t-elle en reculant. Où sont vos références ? »
Il lui donna le matériel et l'installa à la table sur laquelle il recevait ses clients. Il put ainsi arranger ses rendez-vous au comptoir pendant que cette dame mettait sa commande au point, et était étonné du nombre de clients qu'il avait reçu ces derniers jours, c'était plus qu'il n'en voyait habituellement. Il en était content. Pendant son rendez-vous avec son cerveau, son téléphone se manifesta dans sa poche. Il le sortit distraitement, gardant un œil sur la cliente.
De : Dorémi
J'aimerais bien te dire des trucs avant le concert mais demain on sera complètement occupés par ça, alors est-ce que tu serais d'accord pour qu'on se voie aujourd'hui ?
Il fronça les sourcils, ne voyant pas de quoi elle voulait parler.
À : Dorémi
Oui, tu passeras quand ?
De : Dorémi
Dans une heure ça te va ?
À : Dorémi
Quand tu veux
La cliente revenant vers lui, il n'attendit pas de réponse et rangea son portable.
« Vous avez quelque chose qui vous convient ? S'enquit-il avec un sourire aimable.
— Je n'arrivais pas à me décider, vous aviez raison là-dessus, alors je suis allée voir dans les vases que vous avez déjà faits pour d'autres, et je me suis rendue compte que j'adore ce modèle-là, lui montra-t-elle. »
Il s'agissait d'un vase rond haut à embouchure carrée, plutôt fin et s'évasant en montant, la pierre blanche délicate de la base adoptant une couche de bronze en remontant, formant un dégradé élégant et harmonieux.
« Pas de problème, exactement le même ou vous souhaitez un métal en particulier ? Acquiesça Pierrot en notant quelque part la référence du vase — qu'il avait designé lui-même comme projet de fin d'études.
— Est-ce que d'autres métaux auraient cette teinte en étant moins chers ?
— Non.
— Alors non, merci. Et puis, le prix reste acceptable pour un vase de cette qualité. Il n'a pas l'air fragile.
— Il peut résister à une petite chute car il n'est pas lourd, mais ne le lancez pas, conseilla le jeune homme avec un sérieux amusant, se faisant une petite fiche pour retenir la commande de la cliente. Pas de pierres précieuses ou semi-précieuses, on garde tout comme ça ?
— Je ne sais pas... Hésita la cliente. Il est beau comme ça. Je ne sais pas si des pierres l'embelliraient vraiment.
— Seul votre avis compte.
—... On ne rajoute rien, décida-t-elle après un instant.
— Parfait, alors je vous le fais. Vous avez une échéance, pour l'avoir, ou je peux prendre mon temps ?
— Je n'ai pas d'échéance, mais quand est-ce que je l'aurai si vous prenez votre temps ? S'inquiéta la dame.
— Dans un mois grand maximum, je travaille vite, lui répondit Pierrot honnêtement. Votre nombre préféré, s'il vous plaît ? C'est pour le numéro de commande.
— Euh... 57.
— Pas banal.
— J'ai dit au hasard.
— Je me disais aussi. Et dernière question : est-ce que vous viendrez le chercher en mains propres ?
— Oui, normalement. Et je paierai ici. Il y aura des conseils d'entretien, j'imagine ?
— C'est exactement ça. Mais on n'y est pas encore. Votre commande est notée, vous pouvez partir si vous le souhaitez, lui sourit Pierrot gentiment.
— Merci, vous êtes très cordial, lui sourit la cliente en réponse.
— J'essaie de l'être, acquiesça-t-il avec un sourire sincère cette fois. Bonne journée à vous.
— Et vous de même ! »
אבא
« Merci d'avoir du temps pour moi, souffla Dorémi en entrant dans l'atelier en fin d'après-midi. Je passe en coup de vent, mais on se voit demain ?
— C'est ça, oui. Qu'est-ce que tu voulais me dire ? Demanda Pierrot, reculant son siège de son établi, sa combinaison de métallier rendant particulièrement hommage à sa taille fine et haute. »
Il repoussa une mèche de cheveux de son visage, Dorémi soufflant fort un instant — elle avait visiblement couru.
« Excuse, j'ai une répétition dans très peu de temps et je pouvais pas venir autrement que maintenant, alors je suis un peu... souffla-t-elle, à court d'air.
— T'inquiète pas, moi j'ai tout mon temps. Tu ne peux pas arriver là-bas un peu en retard ?
— Charlie me tuerait, pouffa la rousse avant de se rendre compte de l'ignorance de Pierrot. Ah, c'est la cheffe de choeur. Justement, c'est pour ça que je viens te voir. Je me voyais pas avoir cette conversation par message. »
Elle se tut un instant, s'asseyant sur une chaise qui trainait.
« Je suis dans une condition physique particulière et tu le sais, commença-t-elle en dardant un regard perçant sur lui. Le truc c'est que le campus dans lequel je fais mes études est uniquement constitué d'handicapés ou gens avec des difficultés, physiques ou mentales, et... bah le choeur n'échappe pas à la règle, quoi. Tout ce qui appartient à l'administration et les sorties, tout est géré par des étudiants, ça c'est le système de l'endroit mais bref. Le choeur est géré par l'une des quatre gérants étudiants du campus, et elle a aussi accès à toute l'organisation musicale, genre l'orchestre, et — pause pour respirer — elle dirige les deux, et c'est Charlie, et elle est aveugle elle-même... »
Pierrot eut un froncement de sourcils, surpris par cette avalanche d'informations cheloues. Cette affaire pouvait être dangereuse si des despotes ou dérangés mentalement étaient élus pour diriger.
« Et tous mes potes, en fait, sont handicapés. C'est la seule chose qui... pourrait te heurter en fait, toussota Dorémi en regardant ailleurs. Moi je m'en fous, mais toi je sais pas. Et c'est pour ça que je t'en parle, je veux pas que tu fasses une remarque sur le fait que c'est une chorale de bras-cassés sans savoir que c'est le principe. Ils l'assument, pour beaucoup, mais ça reste peu délicat de faire la remarque.
— Je comprends tout à fait et ça ne me pose pas de problème du tout, la rassura Pierrot en voyant qu'elle s'empêtrait dans ses propos. Mais merci de m'avoir prévenu. Je n'avais aucune idée d'un tel campus, il est où ?
— Bah, c'est là où j'habite, et c'est à quelques kilomètres, tu vois l'hôpital ?
— Oui.
— C'est du côté inverse à celui où tu arriverais, genre, on a un accès à l'hôpital depuis le campus, c'est là que les médecine font leurs études, dont moi. Et quand on a des travaux pratiques à faire, on va directement dans les étages, où on sait qu'il y a les patients de la région.
— C'est incroyable, souffla Pierrot, qui n'avait jamais entendu parler de ça. Tu as dit qu'il y a un orchestre, il sera là demain ?
— Non, mais on fait un concert avec orchestre à Noël, dans une salle de spectacle. Tu viendrais aussi ?
— Peut-être, si je n'ai rien de prévu, répondit Pierrot en haussant les épaules. Tu veux me dire autre chose avant de partir ? »
Elle regarda sa montre et soupira.
« Non, pas le temps. Charlie est stricte sur les horaires. On se voit demain ?
— C'est ça. À demain, bonne répétition !
— Bye, souffla Dorémi en ramassant son sac et accourant vers la sortie de la boutique. »
Pierrot entendit la porte claquer et sourit pour lui-même. C'était tout un monde.
אבא
Allez Jésus, c'est ton moment, songea Pierrot en se mettant au lit.
Quelque part, même si ses rêves le perturbaient beaucoup, il s'y était habitué, et ne plus en faire alors qu'une petite histoire — et une seconde vie s'il vous plaît — était née, aka la sienne, il ne pouvait pas se résoudre à la perdre. Et n'ayant pas fait de rêve la veille, il craignait de ne pas en faire ce soir-ci non plus.
Et puis bon, je suis resté dans mon rêve longtemps la dernière fois, peut-être que cette fois je resterai dans la réalité longtemps aussi, essaya-t-il de se convaincre, pas trop sûr.
Il fit taire son cerveau et s'allongea, attendant le sommeil.
Et il l'attendit longtemps ; il fit une insomnie.
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