΅ LVI ΅
"Pierrot ? Viens m'aider, garçon !
— J'arrive !"
Le jeune homme pressa le pas, arrivant dans l'atelier de la boutique de son père. Il prenait progressivement l'habitude d'y passer l'aider une heure ou deux tous les jours, le temps pour son père de retrouver ses employés et sa force d'antan, parce que soyons clairs : sa rapide rééducation à l'hôpital n'avait clairement pas été assez pour qu'il puisse exercer comme avant en quelques semaines.
La commande pour l'ami de Wilhelm avait cependant bien avancé, car Archibald — souvenons-nous que le papa de Pierrot a un prénom — compensait ses faiblesses par un travail accru, et de plus longues heures. Pierrot lui avait fait promettre de faire des pauses régulières, évidemment. Au moyen d'un chantage frauduleux à base de pierres précieuses entre autres.
"Je dois transporter mes outils là-bas mon grand, ça ne te dérange pas de m'aider un peu ? Lui sourit son père dans son fauteuil quand il entra dans le hangar."
Ah, oui, autre détail : son papa avait du mal à marcher. Surtout en fin de journée.
"Pas du tout, s'empressa-t-il de répondre, accourant pour sauver la disqueuse qu'il soutenait d'une mort tragique. Qu'est-ce que tu vas faire ?"
Pour ce projet de portail, ils avaient prévu de faire une collaboration ; comme Archibald voulait satisfaire cette commande rapidement et qu'il ne pouvait plus travailler autant qu'avant, il faisait faire les détails de la chose par Pierrot, tandis que lui-même s'occupait du reste. Donc tout ce qui compose une porte. Dans sa structure. Une porte, quoi. Mais très très grande.
D'où le petit souci de proportions en comparaison avec son état. Et d'où l'aide de Pierrot.
"Je voulais m'attaquer au déplacement des nouvelles pièces que j'ai reçues ce matin, lui raconta Archibald tandis que Pierrot faisait la navette entre deux tables de l'atelier. Elles sont encore emballées, et j'en ai besoin pour compléter la structure de la porte. Ça ne te dérange pas de prendre la grue pour moi ?
— Non non, répondit Pierrot en cachant son sourire à grand-peine. "
Deuxième truc préféré de Pierrot après les pierres précieuses : conduire la grue. Mais ne le dites pas à son papa.
"Dis donc, je sais que tu la préfères à moi, mais tu pourrais au moins essayer de cacher ta joie, râla son père quand le jeune homme sauta jusque dans l'habitacle de l'engin, immense sourire aux lèvres.
— Oh, arrête, tu ne fais pas le poids.
— Sale gosse !"
Et à Pierrot de ricaner comme un gamin.
אהא
Les semaines se poursuivaient, Pierrot continuait d'aller chez son père pour l'aider, même si depuis qu'il marchait à nouveau le jeune homme n'avait plus tellement de choses à faire, surtout que les employés étaient eux aussi revenus, et qu'ils travaillaient bien mieux que Pierrot.
Alors il se contentait de suivre un peu l'actualité de ses rêves — qui ne parlaient plus de mort et de souffrance, tant mieux —, et de travailler sur les commandes de mariage qu'il recevait, qui arrivaient à foison avec le printemps — rip à son éternel célibat.
Il n'avait plus vraiment de temps pour lui à vrai dire, entre sa boutique, la crèche qui n'avançait plus trop, la collaboration avec son père, et les quelques visites qu'il devait encore lui rendre pour s'assurer qu'il ne se surmène pas. Le temps filait juste bien trop vite, et bientôt vint le mois de février, avec ses giboulées de merde et la pluie et le début de pollinisation des fleurs de merde-
Transition brusque ? Pas autant que les mille éternuements par jour du copain Pierrot.
Il déteste le printemps. Bien sûr, il trouve ça joli, mais loin de lui. Biennnnnn loin. Là où le pollen ne lui brûlera pas les yeux, où il pourra respirer autrement que comme un fumeur en fin de vie, et où sa peau arrêtera de le gratter.
Partagez avec lui la joie de l'allergie au pollen. Mais attention, lui c'est un warrior : il ne va pas chercher d'aerius chez le médecin. Eh nan. La puissance.
La *tousse* connerie *tousse*.
Et présentement, il s'apprêtait à faire des moules pour les détails de cette fameuse porte, à base de fioritures en fer forgé tout ça tout ça. Enfin, ce serait un autre métal, mais vous voyez le genre. Et devinez quelle tenue humiliante il doit porter en faisant ça, s'il veut avoir droit à son assurance d'accidents au travail ?
Je ressemble à un apiculteur, râla le jeune homme en sortant de la salle d'eau de son atelier, triturant le plastique jaune qui le recouvrait intégralement. Ou à un mec qui fabrique de la métamphétamine dans son garage.
Son regard se porta sur le peu de sa boutique qu'il voyait de là où il était. Si un client s'avisait d'arriver maintenant, Pierrot pourrait repasser pour garder une image digne et élégante.
Mais concentrons-nous. Ce moule.
Si vous n'avez jamais vu de vidéo sur YouTube traitant de création de bijoux, vous ne voyez probablement pas ce que Pierrot s'apprête à faire. Le tout est de créer une forme, ici une fioriture de porte, puis de vouloir la dupliquer à l'envi ; pour ce faire, on introduit la forme originale dans un mélange de différents silicones, qui durcissent et forment le moule, on enlève la forme originale, et voilà on a un moule.
Ici la forme était déjà faite et vérifiée par son père, et le temps était venu de préparer la mixture de silicones fondus.
Pierrot aimait bien ça d'ordinaire — si on omettait le fait qu'il se chiait dessus à chaque nouvelle mesure ou pesée d'ingrédient —, sauf que là c'était le printemps, et qu'il avait beaucoup de clients potentiels en une seule journée — ces derniers temps, les gens aimaient bien entrer dans sa boutique pour prendre ses décos métalliques en photo, puis ressortir, mais il était obligé de rester dans la boutique tant qu'ils étaient dedans, alors ça lui faisait plus perdre du temps qu'autre chose. Surtout s'il était dans une tenue atrocement laide, puant le plastique et produisant une quantité de transpiration astronomique. Putain d'assurances de merde.
"Pierrot, tu es là ?"
NON ! JE NE SUIS PAS LÀ ! Hurla Pierrot en pensée en cherchant un endroit où se cacher dans son atelier, avant de réaliser que sa tenue rendrait horriblement bruyant le moindre de ses mouvements et qu'il serait cramé en deux secondes.
Il ne lui restait plus qu'à se rendre.
"Oui... À qui ai-je l'honneur ?"
Une tête blonde s'avança dans l'atelier -- non, Pierrot n'avait pas l'intention d'entrer dans la ligne de mire de la vitrine qui occupait tout un mur de la boutique — et l'orfèvre eut derechef envie de soupirer en constatant que c'était le bouffon.
"Voyons, je vois que tu n'es pas heureux de me voir, sourit celui-ci d'un air narquois qui donna à Pierrot une envie subite de lever les yeux au ciel. Comment vas-tu ? Et pourquoi es-tu déguisé comme si tu travaillais dans une centrale nucléaire ?
— C'est pour les beaux yeux de votre ami, mon prince, grinca le jeune homme en esquissant une révérence terriblement bruyante.
— Ah, c'est pour son portail ?
— Précisément. "
Wilhelm fit quelques pas dans la pièce, examinant son environnement comme s'il était dans une zone depuis longtemps inexplorée. Son regard neutre angoissa l'orfèvre.
"Dis tout de suite que c'est sale, ironisa-t-il pour avoir son avis — parce que Pierrot est avant tout quelqu'un qui se soucie du regard des autres."
Wilhelm sursauta.
"Ah, non ! Je ne pensais pas à ça ! C'est juste que... Rien."
Et il secoua la tête, un air adorable — pour quiconque n'est pas Pierrot — sur le visage. L'orfèvre n'en saurait pas plus, car Wilhelm changea de sujet.
"Niall voulait prendre de tes nouvelles, et Dorémi aussi, alors ils m'ont envoyé te voir, s'introduisit-il en s'approchant des tiroirs à pierres de l'orfèvre, qui se sentit feuler en pensée. Ils sont en partiels en ce moment, et tu connais les médecine...
— Hmhm.
— Or moi mes partiels étaient avant les vacances, alors bon... Disons que je suis le bouc émissaire.
— Hmhm.
— Et donc, comment tu vas ? "
Pierrot réalisa qu'il ne pourrait pas subsister dans cette conversation uniquement au moyen d'onomatopées, et se demanda dès lors quoi dire qui ne serait pas trop faux. Voire vrai.
Car le fait est qu'il ne connaît pas sa propre vie, le garçon.
"Euh... Bien ? Je crois. J'ai des clients, je travaille bien, et mon père aussi. Et voilà."
Et il haussa les épaules. Sauf que Wilhelm fronça les sourcils, lui.
Arg. Qu'est-ce que j'ai dit ?
"Ton père travaille déjà ? C'est qu'il doit aller bien alors, c'est merveilleux !
— Euh... Oui..."
Pourquoi tu t'intéresses à mon père ?
"Il travaille sur le portail aussi, alors ? Demanda Wilhelm en s'adossant à la table de l'atelier.
— Oui, sourit Pierrot sans pouvoir s'en empêcher. Il fait le gros-oeuvre, et je me charge des petits détails, comme il est encore convalescent. On s'est débrouillés pour faire un devis correct pour ton ami, ne t'en fais pas, ajouta-t-il en voyant la figure de Wilhelm devenir un peu bizarre.
— Oh, oui, ce n'est pas pour ça que je m'inquiète, pouffa le blond en secouant la tête, avant de reprendre sa figure étrange, qui à la réflexion regardait quelque chose... derrière Pierrot. C'est quoi, derrière toi ?"
Et Pierrot avait beau passer sa vie dans cet atelier, il dut se retourner avant de se rendre compte de ce qui pouvait déranger Wilhelm, et du fait qu'il ferait mieux de ranger ses affaires, parfois.
"Oh... Une œuvre, minimisa Pierrot en se retrouvant face à l'œil de Jésus. Tu l'aimes ?"
Wilhelm eut un moment de latence.
"Je ne sais pas. J'ai l'impression qu'il me rentre dans le cerveau. Tu as pris l'inspiration chez qui ?"
Euuuuuuuuuh MAYDAY MAYDAY MAYDAY
"Bah, personne. J'ai juste suivi un truc dans ma tête."
Vrai.
Mais ça ne t'empêche pas de me regarder comme si j'étais possédé.
"Rappelle-moi de ne jamais te poser de questions sur tes rêves, marmonna Wilhelm en regardant l'œil. Sans vouloir t'offenser, ce truc est super flippant.
— Vraiment ?
— Hm."
Il n'y avait plus rien à dire, alors Pierrot retourna à son ouvrage dans un crissement bruyant de sa tenue, et Wilhelm le regarda travailler le reste de l'après-midi.
Et Pierrot décida de ne pas ranger l'œil de Jésus. Si davanture un cambrioleur le voyait, peut-être qu'il fuirait avant de lui prendre toutes ses pierres précieuses.
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