΅ L ΅
"Non, non, c'est pas ça."
Il chiffonna sa feuille une énième fois, et fixa derechef le bois de la table de son atelier. Il n'y arrivait pas.
Il avait l'impression d'être de retour au début de tout ce bazar, quand il avait voulu reproduire l'œil de Jésus — mission réussie par ailleurs —, mais ici, niveau de difficulté supplémentaire : il fallait dessiner la scène de la naissance de Jésus certes, mais sans qu'il n'ait aucun moyen de la revisionner, contrairement à l'œil de Jésus, qu'il voyait tous les soirs.
Vous vous direz sûrement : oui, mais lors de son dernier rêve, il avait dit n'avoir plus besoin que de quelques détails pour peaufiner son dessin !
Et vous aurez raison. Parce que c'est effectivement l'information que vous a communiquée Pierrot hier.
Mais le lendemain, donc ce matin-là, il s'était repenché sur ledit dessin, et quelle ne fut pas son horreur de voir que ce n'était pas ça du tout du tout, et qu'il fallait tout recommencer.
Pour vous dire : il n'était même plus aux détails du dessin. Ni non plus sur des questions déco. Ni non plus sur les normes et échelles. Ni non plus sur le choix des matériaux. Ni non plus sur la recherche de qui étaient ces fameux rois mages dont lui avait parlé le prêtre.
Il travaillait sur l'angle de vue selon lequel l'étable serait ouverte. Eh oui !
Car figurez-vous qu'aux dernières nouvelles, cette étable était fermée de tous côtés, et qu'elle n'avait certainement pas de trou dans le plafond comme une maison lego !
Alors Pierrot galérait, parce qu'il devait conjuguer les placements des animaux, de Marie, de Jésus et de Joseph, en plus de devoir se décider sur le moment précis qu'il mettrait en scène — avant l'accouchement était trop tôt, quand ils dormaient tous était trop tard —, même s'il avait déjà sa petite idée sur la question, et de devoir, du coup, trouver où foutre ce fucking trou.
On n'imagine pas les mille débats intérieurs d'un peintre quand on regarde sa peinture.
"Réfléchis, réfléchis ! Se morigéna Pierrot en se tapotant les tempes des paumes de ses mains — pour des raisons obscures, il avait les doigts couverts de graphite. On va faire une liste, et un plan de l'étable, d'accord ? D'accord. C'est bien, ça. Un plan. "
Il parvint péniblement à quelque chose de potable au bout d'un quart d'heure. Il avait ainsi le plan de l'étable, et constata que le seul mur qu'ils n'avaient jamais touché, animaux compris, pendant la soirée, et qui ne supportait pas la porte de l'étable, était celui de la largeur, avec Marie, Joseph et compagnie à sa gauche, les bêtes à sa droite, et la porte sur le mur du fond.
Il va falloir que j'enlève ce mur-là, du coup, déduisit Pierrot en dessinant distraitement la porte, et la surface prise par les animaux. Je pense qu'il y a moyen de faire quelque chose de joli, quand même...
Une fois qu'il eut son dessin, il l'examina, et réalisa qu'il avait laissé de la place pour lui, au fond, comme lorsqu'il les avait regardés, les trois vrais protagonistes du rêve. Il décida de laisser cet espace-là vide.
Personne ne le saura.
Il choisit des métaux clairs, qui seraient polis, pour la peau de la petite famille, des tons un peu plus cuivrés pour les murs, les enclos des animaux et la paille de l'étable, et des sous-tons adéquats pour les vêtements de la petite famille, les bêtes, la mangeoire, et les poutres qu'il se souvenait avoir vues soutenir le plafond de l'étable.
"Ça peut être vachement joli, quand même, se dit-il à lui-même quand il eut reférencé dans le coin de sa page toutes les teintes qu'il voulait utiliser. Je ne mettrai pas de diamants."
Ça briserait l'atmosphère de simplicité qu'il voulait représenter. À aucun moment il n'avait eu une quelconque impression de hauteur avec Marie et Joseph, de tous les moments où il les avait connus, et c'était d'autant plus vrai avec Jésus.
Il s'appliqua à donner un peu plus de vie au dessin, en ajoutant la paille qui traînait par terre, les affaires de Marie et Joseph, qu'ils avaient laissées près de l'entrée en arrivant avant de décharger Marie en express pour la faire accoucher.
Et puis vint l'interrogation des rois mages.
Qui est-il, d'où vient-il, fredonna Pierrot en lui-même sur un vieil air de dessin-animé en prenant son téléphone.
Wikipedia lui tint à peu près ce langage :
Les Rois mages sont des visiteurs qui figurent dans un épisode de l'Évangile selon Matthieu. Ayant appris la naissance de Jésus à Bethléem, ils viennent « de l'Orient », guidés par l'Étoile de Bethléem, pour rendre hommage « au roi des Juifs » et lui apporter des présents d’une grande richesse symbolique : or, myrrhe et encens.
[une photo] et sa description, que Pierrot ne lut pas.
Le texte évangélique ne mentionne pas leur nombre, pas plus que les noms de ces « sages » (en grec : μάγοι, magoï), et ne les qualifie pas de rois. L'idée de leur origine royale apparaît chez Tertullien au début du IIIe siècle et leur nombre est évoqué un peu plus tard par Origène. Certaines traditions chrétiennes, dont témoignent pour la première fois vers le VIIIe siècle les Excerpta latina barbari, les popularisent sous les noms de Melchior, Gaspard et Balthazar.
Hmmm, songea Pierrot. Pas sûr que ce soient des Rois, alors... Mais ils ont bien été voir Marie et Joseph après la naissance de Jésus. C'est juste moi qui n'y étais pas.
Les noms de ces vrais/faux rois lui étaient tout de même familiers. Mais allez savoir.
Il observa les images que lui proposait l'ami Wiki. Les rois étaient habilles richement, avec des drapés colorés, mais une couronne différente pour chacun, et jamais les mêmes fringues non plus.
Ils n'ont pas non plus les mêmes couleurs de peau... Bah, je travaille avec du métal de toute façon, ça ne risque pas d'être très coloré. Mais je ferai des petites teintes pour leurs vêtements et leurs couronnes, si ça fait pas trop chargé.
Il doutait du fait de mettre plusieurs métaux sur un seul personnage : ça pouvait vite devenir moche.
Mais il conclut qu'il devrait ajouter un espace pour les rois mages, en-dehors de l'étable, étant donné qu'ils n'étaient arrivés qu'après.
Ils devront avoir ces coffres dans leurs mains, observa Pierrot sur l'image de Wikipedia.
Il ajouta ce petit détail aux bonshommes qu'il dessinait. Et il se plut à faire de Marie, Jésus et Joseph la perfection incarnée. Ils le valaient bien.
Je ne peux pas représenter la douceur qui émane de Marie sur une statuette aussi petite, mais si sa position est pure et apaisée, ça donnera le ton. Pareil pour Joseph, d'ailleurs. Droit et fort, comme d'habitude. Il sera debout. Et Marie assise en mode joli à côté de la mangeoire.
Passa le long moment des proportions ; il fut décidé que pour des raisons pratiques, les statuettes feraient chacune le taille de deux index. Comme ça l'étable faisait une trentaine de centimètres de haut, et Pierrot était tranquille pour mettre tous les détails qu'il voulait -- surtout sur les personnages hehe.
"Je vais pouvoir rappeler le prêtre, commenta-t-il pour lui-même en se saisissant de son téléphone une nouvelle fois. Nan wiki, c'est fini pour aujourd'hui, sourit-il ensuite en fermant la fenêtre de Google, qui était restée ouverte.
— Allô ? Décrocha le prêtre rapidement. Qui est-ce ?
— Bonjour monsieur, je suis l'orfèvre à qui vous avez commandé une crèche pour l'hiver prochain, se présenta Pierrot en estimant que dire son prénom lui donnerait l'air con. J'ai terminé mon ébauche, et j'aurais besoin de votre accord pour continuer à travailler.
— Oh, pas de souci, pouvez-vous venir au presbytère ?"
Recherche mentale.
Résultat : nous n'avons jamais entendu ce mot.
Conséquence : disons oui, dans le doute.
"Euuuuuh oui oui, quand seriez-vous disponible ?
— Demain ? Je m'excuse, mais j'ai une journée chargée...
— Ah, ne vous excusez pas, c'est normal, sourit Pierrot en faisant un geste dans le vide. Je vous dis à demain, onze heures ?
— C'est ça, demandez le Père Raphaël. Bonne journée monsieur."
Le prêtre raccrocha, et Pierrot beugua un instant sur la dernière information, avant de hausser les épaules. Il regarda son dessin une dernière fois, avant de le ranger dans sa pochette et d'aller vérifier ses stocks, en plus de prendre des languettes de présentation pour montrer au prêtre les couleurs qu'il comptait utiliser.
Absorbé par sa tâche, il eut quelques bribes de son rêve de la veille qui lui revinrent en tête, dont l'une le perturba assez pour lui faire cesser son activité.
Jésus n'avait-il pas prédit sa mort deux nuits d'affilée ?
Il retourna regarder son dessin. L'enfant qui y figurait avait l'air si paisible...
Est-ce que je devrais m'inquiéter ? Ou est-ce que c'est encore une parole qui parle de quelqu'un d'autre ?
Il n'arriva pas à se décider sur la question, et finit par retourner travailler.
Bạn đang đọc truyện trên: Truyen247.Pro