5. Nous, les riches
Bettany, Bess et Britney étaient des filles de la pire espèce, selon Brunehilde. Bon, peut-être pas autant que les Jessica, mais on n'en était pas si loin. Pourquoi ? Parce que ce type de demoiselles n'avait absolument pas travaillé pour en être au niveau de vilenie où elles étaient actuellement. Cela venait juste avec le package « petite fille riche pourrie gâtée », sans doute dans la même boîte bonus que les sacs à main hideux qu'elles se trimbalaient partout.
(Brunehilde avait stalké leur Instagram pour en arriver à la conclusion que tant que c'était cher, elles avaient l'air d'apprécier toutes les horreurs.)
C'est pour toutes ces raisons que Brunehilde n'avait absolument pas l'intention de les laisser s'en sortir à si bon compte. Les 3B auraient dû savoir qu'il ne fallait pas s'attaquer à elle. Surtout après l'affaire du croquet. A moins que ce ne soit ça qui ait provoqué les hostilités ? Comme s'il s'agissait d'un sorte de pass pour en faire une cible, du genre « tu as voulu blesser le prince, tu dois donc mourir » ? Ils allaient avoir une drôle de surprise, vraiment.
Sixtine avait l'air beaucoup moins en confiance, derrière Brunehilde. Ce n'était pas de sa faute : elle était plus habituée à être dans les coulisses que sous les feux de la rampe. Et puis franchement, on ne pouvait pas dire que sa nouvelle camarade lui donnait confiance avec son petit sourire innocent. Innocent mais qui aurait paru louche à n'importe qui un tant soit peu doué de bon sens. Ce qui semblait être rare dans le coin.
« Il y a un problème ? demanda Brunehilde d'une voix tellement doucereuse qu'elle aurait pu donner le diabète.
- Eh bien figure-toi que oui ! s'exclama Bess. »
A première vue, il était difficile de les différencier mais Brunehilde avait beaucoup trop fouiné dans leurs photos sur internet pour se laisser avoir. Bess était la cheffe du groupe – reconnaissable à son maquillage beaucoup trop élaboré pour les cours. Bettany, c'était la seconde de Bess. Toujours des extensions sur le crâne – indétectables si l'on avait pas l'œil (Brunehilde l'avait). Et enfin Britney. Il n'y avait pas grand-chose à dire sur elle. Elle était plus chihuahua collant qu'humaine selon les recherches de Brunehilde. Rien qui ne puisse l'inquiéter, vraiment.
« Et c'est...
- Tu as volé ma blouse ! déclara Bettany. »
Brunehilde était à ça de lever les yeux au ciel avant de les gratifier d'un petit rire méprisant (elle savait très bien les faire). Comme si elle allait faire une chose pareille. Voler une blouse... Jamais de la vie : qui aurait acheté une chose aussi bas de gamme ? Leur Iphone dernier cri par contre, ça se revendait bien sur le marché de l'occasion. Enfin, c'était quelqu'un qui lui avait dit bien évidemment. Elle n'avait rien à voir avec ce genre de trafic.
« Pardon ? Et pourquoi je ferais ça au juste ?
- Parce que tu es... tu es... pauvre. »
Jamais avait-on dit ce mot sur un ton si insultant. Brunehilde avait très envie de rectifier : « Je suis de la classe moyenne, madame ! Mais je veux être riche, ça c'est sûr ! » Cependant, elle ne le fit pas. Elle était beaucoup trop occupée à jouer l'offensée.
« Excuse-moi ? Tu crois vraiment que je vais voler ta blouse ? Mais dans quel monde tu vis ? Tu es ridicule, ma pauvre amie ! Trouve au moins quelque chose de crédible ! »
Pas que Brunehilde les en croie capables. S'il y avait bien une chose que les réseaux sociaux lui avaient appris, c'était que les 3B étaient bêtes. Très bêtes.
« Je croyais que ce lycée était accueillant avec toutes les tranches de la population. Après tout, c'est ce qui est marqué sur votre dépliant - qui ne précise pas les frais d'inscription mais ça c'est une autre histoire !
- ça ne peut être que toi !
- Nan mais tu l'as juste perdue ! Qu'est-ce que j'en sais moi ? Franchement, qui irait voler une blouse ? »
Est-ce qu'on était vraiment là pour une blouse ? C'était vraiment ce qu'avait envie d'hurler Sixtine qui avait repris un peu de sa superbe. Non parce que c'était vraiment ridicule. Et pourtant, elle voyait bien que certains élèves autour d'eux n'étaient pas plus décontenancés que ça par la possibilité que quelqu'un vole une blouse. Ah les clichés avaient la vie dure, mais là tout de même...
Brunehilde, jamais dramatique, leva alors les bras au ciel pour communiquer son effarement face à cette situation sans aucun fondement. Mal lui en prit car deux secondes plus tard retentit un cri digne d'un cochon qu'on égorge :
« Ah ! Ne me frappe pas !
- T'es sérieuse ? »
Brunehilde regarda autour d'elle pour trouver un minimum de soutien dans les yeux de ses camarades qui devaient aussi trouver le cinéma de Bess lamentable. Brunehilde se trouvait bien meilleure qu'elle à jouer la comédie. Ce ne fut pas le cas (à part Sixtine mais elle ne comptait pas).
Bien sûr personne n'allait l'aider. Après tout, les 3B avaient beau être des pétasses de première, elles étaient aussi influentes et personne n'avait envie de se les mettre à dos. Surtout pas pour la petite nouvelle au palmarès déjà peu glorieux. Brunehilde fit la moue. Ah oui, peut-être que tenter de décapiter le prince héritier avait été un mauvais choix tactique. Peut-être.
Comment Brunehilde allait-elle se sortir de ce faux pas ? Elle ne l'avouerait jamais mais elle avait sans doute sous-estimé le pouvoir néfaste de ces filles. Et l'envie de les entendre crier pour quelque chose lui démangeait les mains. Cependant, elle n'allait pas céder à la tentation. Pas pour une question de morale évidemment. Plutôt parce qu'elle voyait un surveillant débarquer dans leur dos.
Il avait sans doute été alerté par la piètre imitation d'alarme à incendie donnée par Bess. Bon, avec un peu de chance, elle serait capable de l'amadouer et de limiter les dégâts.
« Leroy ! En retenu ! »
... ou peut-être pas.
« En retenu ? Quoi ? protesta Brunehilde. Mais attendez, vous n'avez rien vu ! Vous ne savez même pas ce qu'il s'est passé ! Je n'ai rien fait ! C'est elles qui viennent m'accuser d'avoir voler une blouse et qui couinent alors que j'ai juste bougé un bras !
- Voler une blouse ? répéta le surveillant (qui lui aussi devait trouver cela étrange – mais s'il s'était renseigné avant de vouloir la punir aussi...).
- Oui ! Je suis sûre que c'est elle qui l'a volée parce qu'elle ne pouvait pas en avoir une comme la mienne !
- Mais les blouses sont standards ! Pourquoi j'en voudrais une autre identique franchement !
- Non ! La mienne a mon prénom brodé dessus à la main ! fanfaronna Bess comme si elle avait mis sur la table un argument de poids. »
Brunehilde la regarda comme si un troisième œil venait de lui pousser en plein milieu du front : était-ce possible d'être riche à ce point-là ? Enfin, ça lui donnait par contre une raison de la voler cette fameuse blouse : les objets ayant appartenu à la jeunesse noble et branchée, ça se vendait à prix d'or. Enfin, c'était ce qu'on lui avait dit, encore une fois...
« Non mais vous voyez monsieur ! Je n'ai rien fait ! Elle n'a aucune preuve de ce qu'elle avance ! Et puis je ne l'ai même pas frappée ! Demandez à tous les témoins qui nous regardent comme si on était au cirque depuis tout à l'heure ! »
Le surveillant se tourna vers la foule d'élèves qui étaient subitement peu loquace. Bien sûr, Brunehilde ne s'attendait pas à des monceaux d'aide de leur part mais si seulement un voulait bien jouer les chevaliers servants. Sixtine ne ferait pas l'affaire parce qu'elle n'avait pas assez de poids face aux 3B mais quelqu'un d'autre...
Et comme un ange descendu des cieux, ce fut à ce moment que la voix de Jessica de Jolibois retentit :
« Ce que dit Brunehilde est vrai, monsieur ! Elle n'a en rien voulu les frapper. C'est Bess, Brittany et Britney qui font toute une histoire ! Pas Brunehilde. Si vous voulez punir quelqu'un, ce serait plutôt elles. »
Si elles avaient pu, les 3B auraient fusillé Jessica du regard. Toutefois, c'était une mauvaise idée de s'attirer le mécontentement de la future reine – et puis le prince, son aimé, était juste derrière alors...
Pendant ce temps, Brunehilde voyait très clairement les calculs qui se produisaient dans l'esprit du surveillant. A la base, il était évident que les 3B étaient un meilleur parti à prendre face à une fille sortie de nulle part. Mais contre Jessica de Jolibois ? Ah c'était tout de suite plus serré. Alors certes, les 3B étaient plus nombreuses mais Jessica. Finalement, alors que son cerveau devait disjoncter sous le poids de l'indécision, il bredouilla :
« Eh bien... Vous irez toutes les quatre en retenu samedi matin !
- Mais pour quel motif ? demanda Brunehilde alors que les 3B piaillaient déjà.
- Euh... Trouble à l'ordre public !
- Mais on n'est pas dans une manif !
- Arrêtez de protester Leroy ! Ceci n'est pas une démocratie et c'est moi qui décide ici !
- Vous ou bien le porte-monnaie des trois pétasses, marmonna Brunehilde.
- Vous avez encore quelque chose à dire, Leroy ? »
Brunehilde décida de ne pas répondre : ce n'était pas bien grave, la vengeance était un plat qui se mangeait froid. Quand on viendrait la voir dans quelques années pour un reportage choc révélant les coulisses d'Albert le Grand, elle n'hésiterait pas à mentionner cette anecdote. Oui, les plans de Brunehilde s'étalaient sur plusieurs années s'il le fallait.
Sur ce, il s'éloigna le plus vite possible. Les autres élèves avaient déjà commencé à se disperser : le sang n'avait pas vraiment coulé, ce n'était pas drôle. Certains étaient même en train de consoler les 3B (Brunehilde était presque sûre d'avoir entendu un « on ira voir si elle est dans son casier ») mais pas tous : eh bien oui, Princesse Jessica n'avait pas hésité à les accuser alors...
Brunehilde allait elle aussi s'éclipser pour aller renforcer la serrure de son cadenas quand une main se posa avec douceur sur son avant-bras. Brunehilde manqua de le retirer avec violence tout en crachant « d'où tu me touches, cloporte ». ça aurait été sans aucun doute une mauvaise idée.
« Si tu as encore des ennuis avec elles, n'hésite pas à venir me voir, proposa Jessica d'un ton bienveillant. Je voudrais bien te dire qu'au fond elles ne sont pas méchantes, mais je ne peux pas excuser leur comportement. »
Elle n'attendit aucune réponse, aucun remerciement. Elle ne voulait sans doute pas que Brunehilde se croit redevable : Jolan voyait clair dans le comportement de sa petite-amie. Jessica était toujours comme ça : prévenante. Tout l'inverse de Sa Teignerie qui, il en était sûr, allait faire pleuvoir les feux de l'Enfer sur les 3B à chaque opportunité à partir de maintenant.
Ne voulant pas trop que Jessica traîne plus que de raison avec Brunehilde – tente encore moins de s'en faire une amie – il l'entraina vers leur prochain cours, laissant Brunehilde avec Sixtine qui n'avait pas été très utile jusque-là. Brunehilde aurait sans doute fait une remarque acerbe à ce propos mais elle n'était clairement pas en état.
Comme Sixtine le constata rapidement, Brunehilde semblait avoir buggé face à ce qu'il venait de se passer. La seule réponse qu'elle parvint à tirer d'elle fut :
« Jessica m'a aidée. Je me sens sale. »
Publié le 08/12/2019.
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