Chapitre 28 : Poursuite
Après le petit déjeuner, ils reprirent leur route. Si les bylariens galopaient deux par deux sur leurs Nandreth, les aranyans chevauchaient chacun un Clamodactyl, planant au-dessus d'eux. Althea était très affaiblie par le voyage, aussi se laissait-elle aller contre le dos de son frère, les yeux fermés.
‒ Nous approchons de la côte, déclara Aspen. Une fois là-bas, il faudra trouver un navire qui puisse nous conduire en république de Trivok.
‒ Nous avons tout juste de quoi payer la traversée, fit remarquer Farrah. Espérons que la présidente nous réservera un bon accueil à notre arrivée.
Plus tard dans l'après-midi, ils virent les portes d'une ville à l'horizon. Les jumeaux firent descendre leurs montures pour cavaler à leurs côtés.
‒ Il s'agit de la ville de Xurbor, leur informa Calida. Elle abrite le plus grand port de tout le pays.
Ils pénétrèrent dans la métropole, où les vieilles murailles chuchotaient sans doute des histoires des temps anciens à qui voulait bien tendre l'oreille, et se dirigèrent vers les docks. La ville était découpée en plusieurs minuscules ruelles parfaitement perpendiculaires où s'entassaient des échoppes et étals de nourriture locale. Des lanternes en papier en forme de poisson flottaient dans les airs, retenues par des rubans de couleurs vives. Les toitures des maisons étaient pyramidales et recourbés, faisant de l'ombre sur les peintures murales qui chatoyaient sur les habitations. Çà et là, des hommes vêtus de tuniques élimées retenues par une ceinture tiraient des charrettes à bras. Devant un lupanar, deux femmes portant de longues robes seyantes bavardaient en agitant des éventails à plumes. Quelques temples parsemaient le décor, et à travers leurs portes entrouvertes on pouvait apercevoir des autels dédiés à Sheguang, le dieu serpent. La cité était ancrée dans ses traditions, faisant écho à ses racines ancestrales.
‒ Nous devrions prendre une chambre dans une auberge, annonça Eira. Je pense que nous allons rester plusieurs jours sur place.
Elle se tourna vers les jumeaux.
‒ Est-ce que vous pouvez nous en dénicher une qui soit respectable, sans que nous ayons à débourser toutes nos couronnes ?
‒ Nous allons devoir négocier, dans ce cas, chère reine des glaces, répondit Calida.
La reine lui tendit sa bourse et lui confia leurs montures. La jeune Fey s'éclipsa, les rênes en main, suivie par son frère. Leurs yeux brillaient de joie d'être au cur de leur pays, bien loin de la jungle sauvage où ils avaient passé leurs dernières années.
‒ Bien, fit Aspen. Allons à présent découvrir quelle coquille de noix nous transportera en Trivok.
‒ Prions pour que cette fameuse coquille ne nous envoie pas par le fond, marmonna Farrah avec un demi-sourire.
Comme s'ils n'étaient que de simples voyageurs à la bourse bien trop légère, ils cheminèrent le long du quai, regardant défiler les navires et s'arrêtant parfois pour s'informer du prix de la traversée. Ils finirent par trouver un vieux bateau marchand à la peinture écaillée sobrement nommé la Perle de Nacre, dont les tarifs leur semblaient corrects. Le capitaine leur annonça qu'ils ne partiraient pas avant trois jours, mais les invita à visiter son embarcation. Le petit groupe monta alors à bord et se dirigea sur le pont. Ils s'appuyèrent sur le bastingage, le regard rivé vers l'horizon bleu.
‒ Je n'arrive pas à croire que nous allons quitter le continent d'Amaluria, murmura Eira.
‒ Nous allons partir bien loin de chez nous, soupira Aspen. Je me demande si les habitants de Moonport sont sains et sauf.
‒ Il faut voir le bon côté des choses, intervint Farrah pour chasser leurs sombres pensées. Nous sommes déjà à la moitié du voyage.
‒ Au quart, corrigea la reine. Une fois que nous aurons rassemblé des alliés en Trivok, nous devrons faire le voyage inverse pour reprendre le trône.
‒ J'espère que nous n'allons pas faire de mauvaises rencontres, gémit Althea en appuyant sa tête contre le bois.
‒ Bah, nous ne sommes pas dans le détroit de Bael, tempéra le jeune homme roux. Et puis, je te rappelle que tu as vécu avec des brigands, alors ce ne seront pas quelques pirates qui vont nous effrayer.
‒ Oh, le détroit de Bael a beau être à l'opposé, nous allons entrer dans le triangle de la Malice, ce qui est bien pire, constata Eira.
Sa remarque jeta un froid et plus personne n'ouvrit la bouche. Les cheveux soulevés par la brise et le visage rafraîchi par les embruns, ils écoutaient le chant des oiseaux marins et respiraient l'effluve de la mer charriée par le vent. Mais le calme de cet océan de voiles blanches où se reflétaient les rayons du soleil fut rompu par un cri. Sur les docks, un escadron de soldats aranyans s'avançait d'un pas rapide. Aspen tressaillit et posa sa main sur son glaive. Eira attrapa brusquement la manche de sa chemise.
‒ Ne vous faites pas remarquer. Il ne s'agit peut-être que d'une simple patrouille.
Mais à leur grande stupeur, ils virent les soldats se mettre à fouiller les navires, du plus petit voilier au plus imposant galion, sans oublier les goélettes. Ils arrêtèrent également les passants pour les interroger.
‒ On est mal ! s'exclama Farrah.
Aspen se dirigea à grands pas vers la cabine du capitaine. Ses compagnons le suivirent. Le brigand toqua trois coups secs à la porte, mais comme personne ne répondait, il se mit à secouer la poignée. Elle était verrouillée.
Finalement, une clé tourna dans la serrure et un homme d'âge mur à moitié endormi en émergea en se frottant les yeux.
‒ Qu'est-ce qu'vous voulez encore, les enfants ? aboya-t-il. Si c'est pour r'négocier les prix, alors c'est non ! Vous ne trouverez pas un si beau bâtiment pour un aussi bon prix !
Il jeta un regard empli de fierté sur le pont.
‒ Nous ne sommes pas là pour ça, l'informa Aspen. Nous voulons que nous larguiez les amarres. Immédiatement.
Le capitaine les regarda, les yeux écarquillés.
‒ Si c'est un canular, il est de très mauvais goût, fit-il. On ne peut pas partir com' ça, tout d'suite, alors qu'not' départ est enregistré pour jeudi. Et puis, tout' la cargaison n'a pas été chargée !
Il fit un geste de la main.
‒ Allez, j'vais vous filer un jeu de cartes pour passer le temps !
Aspen fit un pas en avant, les sourcils froncés.
‒ Ce n'est pas une plaisanterie ! Il faut partir, nous allons vous donner un petit supplément !
‒ J'pensais que vous aviez à peine de quoi vous payer le voyage, et vous parlez d'une prime ? rétorqua le marin.
‒ Elle vous sera versée une fois en Trivok, ajouta doucement Eira.
Le capitaine secoua la tête.
‒ Ecoutez, je ne sais pas dans quoi vous baignez, mais qui dit que vous n'allez pas m'fausser compagnie une fois arrivés à bon port ?
‒ On n'a pas de temps à perdre ! s'écria le brigand. Nous devons...
Farrah prit son ami par le bras et le tira plus loin.
‒ On n'arrivera à rien, mon vieux, chuchota-t-il. Mieux vaut aller se cacher en ville.
Ils descendirent à la hâte du navire, leurs maigres bagages sur l'épaule, s'enfoncèrent au cur de Xurbor et se mêlèrent à la foule. Althea les suivait avec peine.
‒ On devrait aller retrouver Calida et Majira, ils connaissent peut-être un repère secret, proposa le jeune homme aux cheveux roux.
A cet instant, une unité de soldats surgit devant eux. Ils s'empressèrent de tourner à un angle de rue et se réfugièrent dans une petite allée. Les militaires passèrent sans les apercevoir.
‒ Ha ! Ils sont là ! s'écria une voix féminine.
Calida déboula dans la ruelle d'un pas lourd, son frère sur les talons. Ses mèches étaient collées sur son front à cause de la sueur.
‒ Est-ce que vous..., commença Farrah.
Il s'interrompît lorsque la jeune Fey se jeta sur la reine et l'agrippa brusquement.
‒ Je les ai trouvés ! s'égosilla-t-elle.
Le petit groupe se figea d'horreur. Des bruits de pas retentirent sur le pavé.
‒ Vous nous avez trahis, souffla Eira.
D'un bond, Aspen repoussa Calida, qui tomba en arrière. Il attrapa le bras de la souveraine et la tira en avant.
‒ Venez ! cria-t-il.
Farrah attrapa la main de sa sur et se précipita vers son ami. Le temps que Calida se relève, ils étaient déjà loin. Fendant la foule d'aranyans qui se retournaient sur leur passage, ils filèrent à toute vitesse à travers la ville, cherchant à semer les soldats ainsi que les deux Fey. Après plusieurs détours dans des petites ruelles, ils finirent par débouler sur une grande allée qui donnait sur le port.
‒ Oh, non..., soupira Farrah. On a tourné en rond !
Un homme s'approcha d'eux. Il avait le teint hâlé et portait un léger pourpoint brodé de fils d'or. Le petit groupe fit un pas en arrière.
‒ Suivez-moi, leur dit-il avec un fort accent des îles. Je me nomme Maj Kapano, second à bord du Skuaar des Mers. C'est la présidente Alverna qui m'envoie.
‒ Les dieux soient loués, murmura Eira en joignant les mains.
Ils emboîtèrent le pas au Fey qui les conduisit sur le rivage. Un galion arborant les armes de la république de Trivok mouillait au large. Une gigantesque tête de Skuaar peinte faisait office de figure de proue. Le second fit un pas dans le sable et les entraîna dans l'eau.
‒ Votre Majesté, je m'en vois navré, mais nous allons devoir nager pour parvenir au navire, déclara-t-il.
Il se retourna. Les soldats étaient à leurs trousses, et les jumeaux à quelques mètres seulement.
‒ De cette manière, ils ne pourront pas nous suivre avec leurs armures, reprit-il.
‒ Ce n'est pas un problème, Messire Kapano, lui assura Eira.
Ils continuèrent leur avancée, pataugeant dans les flots, et se mirent à nager quand ils n'eurent plus pied. La reine fut la première à atteindre le navire. Une échelle de corde pendait contre la coque. Elle grimpa les échelons et se hissa sur le pont avec agilité, suivie de près par Kapano. Se penchant au bord, elle regarda ses compagnons monter à leur tour. D'abord Althea, puis Farrah, et enfin Aspen, qui s'était effacé pour laisser passer ses amis. Des hommes se précipitèrent pour remonter l'échelle et relever l'ancre. Calida et Majira émergèrent à la surface, pestant contre leur malchance. Eira craignit qu'ils utilisent leurs pouvoirs pour mettre le feu au galion, mais ils n'en firent rien. Elle entendit les soldats crier quelque chose sur la grève. Ils allaient sûrement apprêter un bateau pour les suivre. Elle regarda de nouveau les jumeaux et son coeur se serra. Ils allaient sûrement être portés responsable de leur fuite et jugés par la terrible Impératrice Rouge. La souveraine croisa le regard de Calida. Elle y lut beaucoup de détermination, mais aucune haine. Elle arracha l'échelle des mains d'un marin pour la jeter par-dessus bord.
‒ Vite, montez ! cria-t-elle à l'intention des deux aranyans.
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