Quand ils furent assez loin de Finvall, Farrah éclata d'un rire tonitruant.

‒ Et dire qu'ils t'auraient arrêté sur l'instant si le dessinateur avait eu le trait plus fin !

‒ Remercions les dieux pour cette méprise, murmura Althea.

Eira sourit à son tour.

‒ Nous allons poursuivre notre route vers le sud, s'écria Aspen à l'intention du fils de la Première Messagère. Merci pour ton aide !

‒ Avec plaisir. Que l'il de Situr vous soit favorable !

Ils se séparèrent et le petit groupe poursuivit sa route.

***

‒ Nous allons bientôt entrer sur les terres d'Aranya, annonça un jour Aspen en examinant une carte.

Eira frissonna. Cela faisait déjà plusieurs semaines qu'ils voyageaient, et le paysage enneigé de son royaume avait laissé place à une forêt luxuriante. L'empire était connu pour annexer les nations les plus faibles, et elle savait que l'impératrice Bela ne se gênerait pas pour partir à la conquête de Bylur si elle avait vent de l'agitation causée par sa fuite. Elle pourrait aussi demander une rançon si par hasard elle venait à leur mettre la main dessus.

‒ Il faudra que nous soyons discrets, ajouta la reine. Nous sommes en territoire ennemi.

‒ Plus facile à dire qu'à faire, se plaignit Farrah. Nous sommes totalement étrangers à ce pays !

Il désigna le fruit qu'il avait à la main et qu'ils avaient jugé bon de cueillir après que les Nandreth aient été surpris en train d'y goûter. Le jus coulait sur ses doigts et gouttait sur sa chemise.

‒ Je ne sais même pas si cette chose ne vas pas me tuer, reprit-il.

‒ Je ne pense pas, rétorqua Eira. Je crois qu'il s'agit d'un Ojub ou d'une Shaloup. Leur description ressemble à celle que j'ai lue dans un roman aranyan.

‒ Et qu'est-ce qui nous dit qu'un terrible dragon de la chaîne de montagnes de Shan ne va pas venir nous carboniser ?

La reine haussa les épaules.

‒ Voyons, ce ne sont que des légendes, rien de plus.

Après le déjeuner, ils remballèrent leurs affaires et reprirent leur périple. La souveraine trépignait sur sa monture : pour la première fois de sa vie, elle voyait un autre pays. Elle y découvrait tant de choses nouvelles et merveilleuses, comme lorsqu'elle ouvrait un bon livre. La flore de ce pays était étonnante, tout autant que la faune. Originaire du royaume gelé, Eira avait rarement vu une telle diversité. Les arbres étaient tissés de plantes grimpantes verdoyantes à longue tige, les fleurs s'ouvraient sur mille formes ou couleurs, les oiseaux sautillaient sur les branches. Leur chant charmait ses oreilles. Derrière elle, Althea rit doucement quand un petit insecte aux ailes chatoyantes se posa sur sa main.

Soudain, la reine vit une liane se balancer devant elle, sans doute troublée par le passage d'un animal. Elle l'écarta d'un geste de la main pour l'éloigner de son visage, mais celle-ci s'enroula autour de son poignet et la souleva dans les airs. Elle poussa un cri et disparut dans le feuillage. Aspen se retourna brusquement.

‒ Où est Sa Majesté ? s'enquit-il en sautant à terre, affolé.

‒ Elle a été emportée par une liane, répondit Farrah en descendant lui aussi de sa monture.

‒ Il s'agit sans doute d'une plante carnivore, expliqua-t-il. Soyez vigilants, je vais la chercher.

Mais à ce moment-là, une jeune femme sauta d'un arbre. Elle avait de longs cheveux de jais piqués de plumes et des yeux en amande. Son visage était couvert de boue. Elle portait une blouse d'homme salie et tenait fermement une sorte de lasso dans sa main. Aussi étonnant que cela puisse paraître, il sût qu'il s'agissait d'une Fey.

‒ Qu'avez-vous fait de mon amie ? demanda-t-il froidement.

‒ Ha ! Vous la reverrez si vous vous rendez bien gentiment !

Farrah fit un pas en avant.

‒ Qu'est-ce que vous nous voulez ? Nous n'avons pas d'argent, si c'est ce qui vous intéresse !

‒ Oh, ce n'est pas l'argent que vous possédez qui m'intéresse, mais celui que vous pourrez m'apporter !

Aspen serra les dents. Une chasseuse de primes. Ce qui était assez inhabituel pour une Fey. Si ses complices détenaient Eira, il ne pouvait pas se battre ou elle serait blessée en représailles. Mais est-ce que la jeune femme savait réellement à quel point son otage avait de la valeur ? Il décida de ruser.

‒ Nous ne sommes pas recherchés, mentit le brigand. Relâchez-la.

‒ Pas encore, répondit-elle. Vous avez traversé la frontière sans mandat de l'empire, n'est-ce pas ?

‒ Un mandat ? fit Althea en se recroquevillant sur son Nandreth.

‒ Ha ! Je savais bien que vous n'en aviez pas !

Les feuilles remuèrent. La reine ainsi qu'un homme aux épaules larges en jaillirent. Les mains de la souveraine luisaient d'un éclat bleuté. Elle avait usé de la magie pour se libérer.

‒ Ne vous en faites pas pour moi ! cria-t-elle. Je me charge de celui-ci !

Aspen bondit en avant et décocha un coup de poing à la jeune femme. Cette dernière fut projetée en arrière. Surprise par les éclats de glace qui émanaient des doigts d'Eira, elle avait baissé sa garde.

‒ Vous êtes l'escorte de la reine du royaume gelé de Bylur, souffla-t-elle.

Un sourire avide se dessina sur son visage.

‒ Nous allons sans doute pouvoir empocher une grosse récompense, articula-t-elle en se léchant les lèvres. Ha !

Elle se jeta sur le côté, roula sur l'herbe et fit claquer son fouet. Le brigand esquiva son coup. Elle était douée. La femme tenta une nouvelle attaque, mais le jeune homme la bloqua avec son glaive. La liane rebondit sur l'arme mais ne se coupa pas.

Il fronça les sourcils et resserra sa prise sur son glaive. Si la chasseuse continuait de l'attaquer à distance, il allait perdre le combat. Il devait la forcer à s'approcher.

A la prochaine feinte, il se saisit brusquement de la corde qui fendait l'air et la tira vers lui, sans se soucier de la douleur qui émanait de sa main blessée. La femme déstabilisée, plongea en avant. La liane, d'une texture collante, s'enroula autour d'Aspen. Il se débattit, en vain. Son couteau lui échappa. Il ne pouvait plus bouger. A moins que...

Prenant appui sur ses jambes liées, il sauta en avant et renversa la chasseuse qui était en train de se relever. D'un coup de pied, le glaive tournoya dans les airs. Il l'attrapa avec ses dents et plaqua la lame contre le cou de son assaillante.

‒ Je ne vais pas vous tuer, marmonna-t-il, encombré par le poids de la dague. Rejoignez-nous dans notre périple et vous aurez la vie sauve.

‒ Ainsi que de l'argent ? dit la jeune femme avec espoir.

‒ La reine saura se montrer clémente quand elle aura récupéré son trône. Vous allez à présent me libérer de ce carcan.

Un cri retentit. Aspen tourna légèrement la tête et vit Eira courir dans sa direction, poursuivie par le complice de la chasseuse. Des flammes s'élevaient dans le ciel, léchant les arbres. Une nuée d'oiseaux s'envola dans un tourbillon de plumes multicolores. Il sursauta et lâcha sa prise sur le glaive. La femme en profita pour le repousser et se relever. Des étincelles rouges crépitaient à ses doigts quand elle lui envoya une boule de feu. Ébahi, il parvint à l'éviter et celle-ci vint frapper un buisson derrière lui.

La chasseuse maîtrisait elle aussi la magie.