Eira fit un pas en arrière, contemplant le corps sans vie de la jeune fille. Son épée gouttait encore du sang chaud de la malheureuse. Elle la jeta à terre et l'arme rebondit sur le sol de pierre. Puis, elle se pencha et arrangea les cheveux noirs emmêlés de sa victime. Détachant son peigne, elle l'épingla dans la chevelure noire de Sigrid.

‒ Je te le promets, chuchota-elle.

Elle resta un moment à contempler la dépouille de la jeune fille si brave et téméraire, jusque dans ses derniers instants. Soudain, la reine entendit derrière elle des applaudissements. Elle se retourna vivement.

‒ Beau travail, déclara l'archiduc. Vous voyez, vous-même avez fini par comprendre la supériorité des Fey sur les humains. Ils sont si fragiles et insignifiants, les tuer n'est pas plus grave que d'écraser un insecte.

Eira garda un visage impassible. Elle tâcha de se contenir. Pour Sigrid. Pour tous les humains qu'elle devait sauver.

‒ Vous avez bien raison, Votre Grâce, dit-elle pour détourner son attention de l'ombre qui se faufilait derrière lui.

A cet instant, Aspen se jeta sur le noble, un couteau dérobé à la main. Mais l'archiduc fit volte-face et para le coup. Personne ne pouvait tromper un Fey à l'ouïe aiguisée.

Le brigand fit plusieurs feintes, attendant une ouverture qui ne venait pas. Il était couvert du sang argenté et miroitant de ses ennemis. Il espérait que cela masquerait ses propres blessures.

Eira, de son côté, avait repris espoir. Les mains levées, elle laissa ses émotions prendre le dessus pour faire apparaître sa magie. Colère, frustration, haine et tristesse vinrent geler petit à petit le corps de l'archiduc, qui sentait ses membres raidir et ses mouvements se faire plus lents. Brusquement, le noble se retourna contre elle, prêt à la frapper. La reine, paniquée, perdit le contrôle de son pouvoir. Une pluie d'éclats de glace transperça le Fey dans la poitrine, faisant jaillir le sang. Aspen se baissa brusquement mais reçut tout de même quelques égratignures.

La souveraine poussa un cri déchirant et se précipita à ses côtés. Encore une fois, elle n'avait pas su se maîtriser.

‒ Vous allez bien ? le pressa-t-elle en se tordant les mains.

‒ Oui, ne vous inquiétez pas, répondit-il. Venez, il faut retrouver Farrah et Althea.

Ils s'élancèrent d'un même mouvement dans le couloir, quand une petite silhouette apparut au détour d'un angle.

‒ Finn ! lâcha Eira en apercevant l'adolescent.

Aspen leva sa dague mais elle l'arrêta d'un geste.

‒ Attendez ! Qu'est‒ce que vous faites ici ?

‒ J'ai supplié mon frère de me laisser assister à ma première Chasse. J'ai fait sortir vos amis du passage et je les ai cachés dans une chambre.

La reine soupira de soulagement. Mais... est-ce que tout ceci n'était pas un piège ?

‒ Un instant, intervint le brigand, soupçonneux. Pourquoi est-ce que vous nous aidez ?

‒ Parce que parfois il m'arrive de sortir en ville et de me faire des amis humains. J'ai envie que ce monde change. Qu'ils ne soient plus effrayés par nous. Que la Chasse Divine cesse.

‒ Je comprends, dit doucement Eira. Vous êtes un rebelle. Je ne savais pas qu'il y en avait parmi les Fey.

Finn hocha doucement la tête.

‒ Je vais vous conduire à vos amis.

Ils lui emboîtèrent le pas et l'adolescent les conduisit hors du passage, avant de les entraîner dans une chambre.

Althea et Farrah étaient assis sur le lit, affichant une expression inquiète. Quand elle les aperçut, la jeune fille se jeta dans les bras d'Aspen, qui la serra contre lui.

‒ J'ai eu si peur, murmura-t-elle. J'ai cru que c'était la fin.

‒ Tout ira bien à présent que nous sommes réunis, la réconforta le brigand.

‒ C'est vrai, ajouta Eira. A l'avenir, il ne faudra plus nous séparer.

‒ Quel est le plan ? s'exclama Farrah en échangeant une poignée de main avec son ami. On brûle ce château jusqu'à ce qu'il ne reste plus que des cendres ?

Finn lui jeta un regard furieux.

‒ J'imagine que nous ne pouvons pas récupérer nos affaires, intervint Aspen avant que la situation ne dégénère et que le noble décide de ne plus les aider.

‒ En fait, s'écria l'adolescent, je suis allé les chercher et j'ai envoyé vos deux montures à la Tour des Messagers, où se cachent un petit groupe de rebelles. Vous n'avez plus qu'à les rejoindre. Un convoi partira à l'aube pour Helrina.

‒ Merci pour tout, fit Eira. Est-ce que ça ira pour vous ?

‒ Oui. Vous n'aurez qu'à m'attacher dans un coin et je prétendrais que vous m'avez forcé à vous venir en aide.

***

Le vent s'était levé, arrachant les capuches de leurs capes et manteaux. Le ciel nocturne tournait au rose tandis que les étoiles mourraient et que les lunes s'effaçaient.

Avec prudence, le petit groupe s'était faufilé hors de la chambre à coucher de Finn. De ce côté-là du château, les gardes étaient rares, de sorte qu'ils parvinrent à les contourner, et ils s'élancèrent dans le jardin.

La Tour des Messagers se dressait comme un phare dans le soleil levant. Ils firent plusieurs détours pour l'atteindre, évitant les soldats du Palais d'Eriknus qui patrouillaient dans les rues. Finalement, le haut bâtiment de pierre apparut devant eux. Le toit s'ouvrait sur un donjon où voletaient des Elezaaps. Une file de Nandreth scellés portant des sacoches débordant de courrier attendaient le petit matin. Aspen aperçut Lazuli et Céleste. Autour des bestiaux, des hommes et des femmes s'affairaient, tous vêtus d'une casquette et d'un costume bleu roi.

Une femme d'âge mûr s'approcha d'eux, suivi d'un homme tout juste sorti de l'adolescence. Paniquée, Althea fit un pas en arrière et Eira tourna la tête à droite et à gauche, cherchant une échappatoire.

‒ Venez, leur dit la Première Messagère sans préambule. Mon fils est ami avec Messire Finn, nous allons vous épauler.

Elle les entraîna dans la tour et les fit pénétrer dans un petit bureau. Puis, elle leur tendit des casaques bleues.

‒ Enfilez ça. Votre Majesté, vous devriez vous changer entièrement. Votes habits sont trop voyants.

La reine baissa les yeux sur son armure argentée et sur sa robe aussi blanche que la neige, où s'étalaient plusieurs taches de sang.

Quelques instants plus tard, ils étaient prêts à partir. Les Nandreth s'élancèrent en bordure de la ville, jusqu'à atteindre les remparts. Bien que le cur d'Eira battait à toute vitesse, elle n'en laissa rien paraître. Elle avait envoyé un Elezaap à son amie Alverna pour lui demander son soutien. Soudain, des soldats arborant un tabard violet frappé d'un Lupin noir les arrêtèrent et se mirent à les fouiller. La souveraine se félicita d'avoir revêtu un pantalon et une chemise d'Aspen et d'avoir dissimulé ses longs cheveux dans sa casquette.

‒ Nous ne cachons personne dedans, déclara le fils de la Première Messagère en avisant un homme qui retournait une sacoche emplie de courrier. Vous ne trouverez sans doute que des lettres d'amour ou des missives.

‒ Aucune nouvelle recrue ? l'interrogea l'homme en fronçant les sourcils.

‒ Non, pas depuis le mois dernier.

‒ Bien, vous pouvez y aller.

Ils passèrent devant les soldats au petit trot, mais l'un d'eux arrêta Aspen, stoppant le convoi. Il brandit un avis de recherche où figurait le nom du brigand. Son visage avait été griffonné par un artiste de la cour.

‒ Vous ressemblez à s'y méprendre à cet individu, affirma-t-il.

‒ Je ne vois pas de quoi vous parlez, souffla le jeune homme, masquant sa panique.

Le soldat appela son capitaine, qui héla à son tour le fils de la Première Messagère.

‒ Je m'excuse messieurs, proféra-t-il en faisant une courbette, mais cet homme est mon cousin Kaazib. Il m'accompagne pour ce long voyage. Je n'ai pas cru bon de le mentionner.

Le capitaine examina avec attention le brigand, avant de se pencher sur le parchemin.

‒ Nous faisons erreur, soupira-t-il. Je crois bien que le nez n'est pas le même.

‒ En effet, cela n'a vraiment rien à voir, rétorqua un autre Fey par-dessus son épaule.

‒ Peu importe.

Il leur tendit une liasse de papiers.

‒ Distribuez cela dans les villes où vous irez, reprit-il. Le peuple a besoin de savoir à quoi ressemble les criminels recherchés.

‒ Je n'y manquerais pas, fit le messager.

Quelques instants plus tard, ils franchirent la porte sud de la citadelle.