Chapitre 23 : Traque
L'archiduc poussa un long soupir.
‒ Votre compassion pour les humains vous perdra, Votre Majesté, déplora-t-il.
La reine, paralysée, ne dit mot.
‒ Remettez-les dans les cellules et arrêtez-moi les fugitifs, ordonna-t-il en s'écartant.
Un bataillon de gardes s'engouffra dans la cave et se saisit des prisonniers.
‒ Comment osez-vous ? s'écria Aspen.
Une colère froide se lisait sur son visage.
‒ Comment pouvez-vous faire une chose pareille ?
‒ Je n'ai pas à répondre à un humain, déclara l'archiduc d'un ton méprisant.
Le brigand resta impassible. Il savait d'expérience qu'il fallait s'attendre aux pires atrocités de la part des Fey.
Les gardes les menottèrent et les traînèrent hors du sous-sol. Aspen tenta de se débattre, mais c'était peine perdue. Leur hôte les conduisit dans la salle du trône, gravit quelques marches et s'assit sur son siège.
‒ Venez, dit-il à la reine en tapotant son accoudoir.
‒ Je n'ai pas à vous obéir, cracha Eira. Tuez-moi ou livrez-moi aux soldats d'Eriknus, qu'on en finisse avec cette mascarade !
L'archiduc eut un petit sourire.
‒ Vous n'avez pas à m'obéir, en effet. Mais je crains que les rôles ne se soient inversés.
Il fit un geste de la main et trois gardes se saisirent du jeune homme. L'un d'entre eux plaqua un couteau sur sa gorge.
Eira regarda la scène avec horreur. Puis, elle fit quelques pas et s'assit près de l'archiduc. La honte la brûla de l'intérieur. Dans cette position, elle s'abaissait au rôle d'une vulgaire courtisane.
‒ Bien, fit-il. Vous allez maintenant me prouver que vous êtes la reine légitime du royaume de Bylur. Tuez cet humain.
Eira déglutit avec difficulté et se leva. Elle se saisit de l'épée sertie de joyaux que lui tendait son ravisseur. Si elle ne lui obéissait pas, elle tomberait sous l'emprise des soldats d'Eriknus.
Ainsi qu'entre les griffes de la Matriarche. Et elle serait sûrement exécutée.
Mais Aspen était l'espoir des humains. L'espoir d'un avenir meilleur. Elle le considérait comme un compagnon fiable.
Elle aurait pu utiliser ses pouvoirs pour se sortir de là. Mais les gardes étaient trop nombreux. De plus, ils devaient déjà détenir Farrah et Althea.
Elle fit un pas de plus en avant.
‒ Faites-le, chuchota Aspen. Vous n'avez pas besoin de moi. Vous seule pouvez faire changer les choses. Vous devez rester en vie.
L'épée trembla entre ses mains. Elle détailla les cheveux blonds du brigand, ses grands yeux bleus comme les cieux, sa mâchoire forte. Une chaîne argentée entourait son cou blanc. Son corps musclé était drapé d'un tabard bleu recouvert d'une cape brune. C'est à ce moment qu'elle sût.
La jeune femme se tourna vers l'archiduc.
‒ Je ne peux pas, souffla-t-elle.
Elle reconquerrait son trône avec Aspen à ses côtés, ou pas du tout.
‒ Comme vous voudrez, articula de nouveau le noble. Nous allons donc avancer la Chasse Divine.
***
L'archiduc avait réuni à ses côtés ses chevaliers ainsi que d'autres nobles qui partageaient ses faveurs. Eira se trouvait parmi eux, vêtue d'une armure fine. Une rapière pendait à sa ceinture. Ses longs cheveux étaient ramenés avec un peigne.
A travers la fenêtre, les lunes brillaient d'un éclat laiteux. La reine pria de toutes ces forces pour que les dieux lui viennent en aide.
Enfermée dans une petite chambre toute la journée, elle avait attendu la Chasse Divine qui aurait lieu le soir même. Elle ferait partie des participants et devrait tuer les humains, ses compagnons en faisant partie, au prix de sa liberté. L'archiduc se pencha vers elle et lui dit d'un ton léger, presque badin :
‒ Oubliez l'idée de vous enfuir, Votre Majesté. Des gardes sont postés à toutes les ouvertures du château.
A cet instant, un long son de cor retentit. Elle serra les dents et s'élança dans le boyau qui courrait entre les murs. D'abord réservé aux serviteurs, il servait de terrain de jeu lors de la Chasse.
La souveraine s'arrêta et s'adossa au mur. Que faire ? Il lui fallait un plan. Elle pourrait tenter de chercher ses trois compagnons parmi les humains, et tenter de s'enfuir avec eux. En combinant ses pouvoirs avec ceux d'Aspen, ils devraient y arriver.
Elle s'autorisa un sourire. Il lui restait une carte en main, une attaque que l'archiduc lui-même ne soupçonnait pas.
Mais sa joie fondit rapidement comme neige au soleil. Elle ne pouvait pas abandonner les prisonniers à leur triste sort. Il fallait qu'elle en réunisse le plus possible et s'enfuie avec eux. Ils avaient sûrement des familles, des proches qui attendaient leur retour. Ils avaient un avenir devant eux.
Elle reprit sa course, tournant au hasard aux intersections. C'est alors qu'elle entendit des cris. Un homme courrait, poursuivi par un chevalier. Il la dépassa à toute vitesse, tourna à un angle et s'enfonça dans un tunnel, s'orientant tant bien que mal dans l'obscurité percée de quelques torches. Le Fey, beaucoup plus rapide, le rattrapait.
‒ Il est parti par-là, indiqua Eira en lui désignant la mauvaise direction.
Le chevalier la remercia d'un hochement de tête. La souveraine prit l'autre chemin. Un hurlement déchira ses oreilles, suivi d'un horrible gargouillis. Qu'était-il arrivé à l'homme qu'elle avait tenté de sauver ? Soudain, elle l'aperçut, le cou embroché sur l'épée d'un jeune nobliau. Ce dernier lui adressa un sourire cruel et disparut dans le couloir, laissant la dépouille sanguinolente derrière lui.
Attristée, Eira détourna le regard et reprit sa route. L'odeur écurante du sang lui faisait tourner la tête. Des pas retentissaient dans le boyau. Elle se figea. Humain ou Fey ?
Le battement de cœur qu'elle entendait imperceptiblement ne trompait pas. Il s'agissait que quelqu'un qui était traqué.
Une figure échevelée surgit devant elle. L'estafilade rouge que la jeune fille arborait semblait ressortir dans la pénombre. Une autre entaille saignait sur sa gorge.
‒ Sigrid ! s'écria-t-elle, surprise.
‒ Votre... Votre Majesté ! haleta la balafrée. Ils vous... ont forcé à nous chasser ?
‒ Oui, murmura Eira. Est-ce que tu aurais vu mes compagnons ?
‒ J'ai vu votre ami, Aspen, affirma-t-elle en hocha la tête. Il se bat avec deux chevaliers. Il en a déjà tué un et m'a aidée à fuir par ici.
La reine écarquilla les yeux.
‒ Est-ce que parmi les chassés se trouvaient un jeune homme roux répondant au nom de Farrah et une jeune fille qui lui ressemblait ?
‒ Non, répondit Sigrid. Je ne les ai pas aperçus.
Une démarche lourde ainsi qu'un cliquetis se fit entendre. Eira serra les poings. Cette fois-ci, elle ne ferait pas la même erreur. Elle ne laisserait pas Sigrid être tuée.
‒ Viens ! s'exclama la reine. Suis-moi, il faut que nous rejoignions Aspen !
Elle s'élança dans le passage, talonnée par la jeune fille. Derrière elles, le frottement des chaussures contre le sol subsistait. Mais Sigrid, blessée, affamée, ne parvenait pas à suivre la cadence surhumaine imposée par la souveraine. Essoufflée, elle peinait à respirer. Eira ralentit et finit par s'arrêter.
‒ Tu vas bien ? J'ai de l'eau..., commença-t-elle en détachant une gourde de sa ceinture.
La jeune fille la lui arracha et but goulûment. Les pas se rapprochaient. Paniquée, Eira se tordit les mains. S'essuyant la bouche, Sigrid lui tendit le conteneur de cuir et afficha un grand sourire.
‒ Merci !
Un Fey émergea alors de l'ombre, un arc bandé, prêt à tirer. Poussant un cri de surprise, la reine agrippa le poignet de la villageoise et la tira dans le corridor. Les torches défilaient tandis que les deux femmes courraient.
Soudain, Sigrid trébucha. Une flèche était plantée dans sa cheville. Du sang en coulait abondamment, formant une petite flaque sur le sol.
‒ Tiens bon ! cria Eira. On doit être presque arrivées auprès d'Aspen.
La souveraine tenta de la traîner derrière elle, mais elle résista.
‒ Non, je n'y arriverais pas.
Elle ferma les yeux un instant comme si elle se recueillait, puis les rouvrit. Des ridules de souffrance marquaient son front et les coins de sa bouche. Elle était trop jeune pour porter un tel fardeau, bien trop jeune.
Tout à coup, Sigrid attrapa la reine par le bras.
‒ Tuez-moi ! s'exclama-t-elle.
Eira resta interdite. Est-ce que la jeune fille avait perdu la tête ?
‒ Je ne peux pas, voyons !
‒ Si, vous le pouvez, insista Sigrid. Je ne sortirais pas vivante d'ici. Vous êtes mon seul espoir. Délivrez-moi.
Elle planta son regard déterminé dans celui de la souveraine. Eira lut de la résignation mais aussi beaucoup de courage dans ce miroir d'âme. Les étoiles qui brillaient dans ce ciel noir ne s'éteindraient pas. Elle y veillerait.
‒ C'est d'accord, céda-t-elle, comprenant que c'était leur seule solution.
Elle tira sa rapière de son fourreau. Levant la lame haut dans les airs, elle l'enfonça dans le cœur de la jeune fille. Cette dernière hoqueta et du sang coula de sa bouche, ruisselant sur son menton.
‒ Promettez-moi... de devenir... une bonne reine, murmura Sigrid. Sauvez les miens.
Et sur ces mots, elle s'effondra.
Bạn đang đọc truyện trên: Truyen247.Pro