Chapitre 21 : Dissimulation
Alors que l'aube dorée se levait, charriant l'espoir après une nuit de terreur, les trois compagnons retournèrent à Denha, emportant la peau de Rosanee que Dearil avait abattu. La fourrure était fraîche, ils annoncèrent aux villageois qu'il s'agissait de la bête qui avait terrorisé le village et que son maître leur avait échappé.
Alors que le petit groupe se préparait à partir, scellant les Nandreth, ils virent des hommes armés arriver au loin, dans des traîneaux tirés par des Anarsas. Eira se figea, avant de réaliser qu'ils ne portaient pas l'uniforme des gardes du Palais d'Eriknus.
‒ Tiens donc, en voilà une surprise ! s'écria l'aubergiste en leur tendant des vivres empaquetés. Les hommes de main d'Odard !
Quelques instants plus tard, le cortège avait encerclé les habitants de Denha, qui étaient sortis de leurs maison, l'il brillant de curiosité.
‒ Oyez, oyez, braves gens ! tonna leur meneur. Nous sommes à la recherche de Mademoiselle Edelina, la fille de notre maître, qui a disparu dans la nuit.
Une grande clameur s'éleva de la foule. Le maire du village éleva la voix.
‒ Nous ne l'avons pas vue dans le coin, leur dit-il. Mais il se peut qu'elle ait été emportée par la bête, avant que celle-ci ne soit vaincue.
‒ La bête ? Vaincue ?
‒ Oui, la troupe de comédiens Enigma l'a dénichée au cur de la forêt.
‒ Vraiment ?
Le chef leur jeta un regard soupçonneux, s'attardant sur Eira, qui, malgré sa panique, afficha un grand sourire confiant.
‒ Bien. Nous allons fouiller les environs, annonça-t-il avant de remonter sur son attelage. Veuillez nous appeler si vous apercevez quelque chose.
D'un claquement de rênes, ils s'élancèrent dans la lumière blanche du petit matin.
‒ Nous allons vous laisser, indiqua Aspen aux villageois. Nous avons encore de la route à faire avant notre prochaine représentation.
‒ Adieu. Et merci encore pour votre aide.
Le chef du village leur adressa un clin d'il.
‒ N'hésitez pas à repasser par Denha, vous serez bien accueillis !
‒ Oh, je n'en doute pas, chuchota Eira pour elle-même.
Les gardes ne devaient pas être très loin, il était temps de partir avant qu'ils ne soient reconnus et arrêtés.
Faisant de grands signes de main, ils partirent au galop. Alors qu'ils cavalaient vers le sud, des flocons se mirent à tomber. La reine sourit quand l'un d'entre eux tomba dans sa main tendue. Ils étaient tous uniques, il n'y en avait pas deux qui se ressemblaient, et pourtant, ils étaient si petits et si nombreux qu'on ne pouvait pas admirer leurs singularités. Comme les humains. Mais elle les protégerait tous, surtout ceux qu'elle avait tout près d'elle, dans le creux de sa paume, quoi qu'il arrive.
‒ Majesté, pouvez-vous me dire, qui suis-je ? lança soudainement Aspen. Vous êtes la seule dont je me suis souvenue après m'être réveillé dans un tombeau.
‒ J'ai bien peur de ne pas le pouvoir, répondit-elle. Je ne me rappelle pas de vous.
‒ Mais comment est-ce possible... ?
‒ Seuls les dieux connaissent la réponse, murmura Eira.
‒ Eh, les tourtereaux ! cria Farrah. Nous sommes suivis !
La souveraine tourna brusquement la tête. Dans le lointain, dans un brouillard de neige, virevoltaient les silhouettes des Clamodactyls.
‒ On ne pourra pas les semer ! paniqua-t-elle.
‒ Finvall se trouve à moins d'une demi-heure d'ici ! Si l'on se dépêche, on pourra être là-bas avant eux et se cacher dans la ville !
Après une course-poursuite effrénée, poussant leurs braves montures jusque dans leurs retranchements, ils aperçurent les remparts d'une citadelle à l'horizon. Ils entrèrent en trombe par la porte nord et se mêlèrent à la foule. Des colporteurs flanqués de leurs lourdes charrettes emplies de trésors et tirées par des Nandreth hélaient les passants. Une femme avec un foulard coloré dans les cheveux se pressait entre les étals du marché, un panier d'osier sous le bras. Un groupe de jeunes hommes vêtus d'habits à la mode flânait dans les rues en parlant fort et en se tapant dans le dos. Ici, dans la ville de Finvall, au cur du duché de Reginn, ils étaient totalement invisibles avec leurs vêtements élimés et couverts de poussière.
‒ Nous nous ferons passer pour des voyageurs, cette fois-ci, indiqua Aspen. La ville en regorge. Hors de question de jouer les saltimbanques.
‒ Comment, tu ne veux pas que je te présente comme bouffon ? se moqua Farrah. Ce rôle t'irait comme un gant, crois-moi.
Eira et Althea se regardèrent en souriant tandis que le brigand levait les yeux au ciel. Ils se dirigèrent vers une auberge et prirent deux chambres. La reine déposait un sac au pied de son lit, quand un brouhaha la fit sursauter. Elle ouvrit la fenêtre et se pencha à l'extérieur. Une succession de gardes en armure portant un tabard violet avec un Lupin noir au centre défilaient sur des Clamodactyls, arrêtant des badauds pour les interroger. Rentrant vivement la tête à l'intérieur, elle claqua le battant et tira le rideau.
‒ Qu'avez-vous vu ? fit Althea d'une petite voix.
‒ Les gardes ! s'écria Eira. Ils sont en train de fouiller le quartier ! Il faut quitter l'auberge !
‒ Mais... Farrah est parti chercher des provisions...
‒ Nous le retrouverons en chemin, ne t'inquiètes pas, la rassura la souveraine.
Elle remballa ses affaires à la va vite, et alla toquer à la chambre d'Aspen. Soudain, ils entendirent un raffut provenant de la salle commune de l'auberge.
‒ Fouillez tout le bâtiment ! ordonna une voix.
Elle s'engouffra à la hâte dans la pièce, tira Althea derrière elle et referma la porte. Le brigand était assis sur un des lits, sans chemise, le haut du corps bandé. Mal à l'aise, la reine évita de poser son regard sur son torse finement musclé.
‒ Vous pourriez toquer avant d'entrer, leur reprocha-t-il.
‒ Nous devons partir ! paniqua Eira. Les gardes sont en bas !
Aspen attrapa une chemise qu'il enfila sans même prendre le temps de la boutonner. Il jeta ensuite une cape sur ses épaules et saisit son sac.
‒ Venez ! s'écria-t-il en ouvrant une fenêtre.
Il se poussa pour laisser passer la souveraine. La reine se hissa à travers l'ouverture, à peine assez grande pour laisser passer un corps. Un toit plus bas était contigu au mur de l'auberge. Eira ferma les yeux un instant et déglutit. Priant pour qu'elle ne finisse pas aplatie, elle se laissa tomber et atterrit sur la toiture. Elle se redressa et tendit la main pour aider Althea à se réceptionner. Enfin, Aspen bondit à son tour sur les tuiles.
Courant jusqu'au rebord, ils en descendirent en glissant le long d'une gouttière et s'élancèrent dans la rue.
Slalomant entre les passants, traversant le marché, ils tombèrent sur Farrah qui portait un paquet des courses. Ils s'arrêtèrent net.
‒ Bah alors, vous vous entraînez pour la grande course de Vishva ? lança-t-il.
‒ Nous sommes poursuivis ! s'écria le brigand.
‒ Ils sont là ! cria un garde quelque part dans la foule.
Ils reprirent leur course, fendant la foule. Soudain, un jeune homme qui portait une caisse de Charigos d'un beau vert vif surgit d'une rue adjacente. Aspen ne le vit qu'au dernier moment, et lui rentra dedans, glissant sur la neige. Ils s'écroulèrent au sol dans un entremêlement des bras et de jambes, sur une bouillie de légumes.
Poussant un juron, le jeune commerçant le repoussa, ramassa la cagette et la lui jeta au visage. Malheureusement, elle atterrit plus loin, sur un homme baraqué qui vendait des Flamiveps rôtis. En rageant, il projeta un plateau qui atterrit sur un passant. Quelques minutes plus tard, une bagarre gigantesque avait éclaté. Des assiettes, des morceaux de bois, des boules de neige, des fruits et toutes sortes d'objets non identifiés étaient lancés dans tous les sens, couvrant la fuite du petit groupe.
Il se réfugièrent dans une ruelle, sales et haletants. Des avis de recherche de personnes disparues à moitié décolorés et illisibles s'étalaient tristement sur les murs.
‒ Nous l'avons échappée belle, soupira Farrah.
Eira laissa échapper un rire nerveux et s'essuya le front avec sa manche.
Soudain, une petite voix retentit derrière eux.
‒ Est-ce que vous êtes bien la reine du royaume gelé de Bylur ?
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