Chapitre 17 : Protection
Ils cavalèrent un petit moment, luttant contre la tempête. Quand le vent tomba et que Lok, la plus massive des trois lunes, fut haut dans le ciel, ils s'arrêtent et commencèrent à dresser un campement pour la nuit.
S'asseyant sur une couverture posée à même le sol, Aspen resta à veiller ses compagnons endormis, craignant que les gardes ne les retrouvent. Ils étaient dans une mauvaise impasse, mais ils devaient se reposer. Ils allaient devoir trouver une solution afin de reprendre le trône, mais en attendant...
Eira s'agita sur sa couche et se redressa. Le jeune homme tourna son regard vers elle. Elle était allongée auprès d'Althea sous une tente de fortune montée à la va vite.
Passant ses mains sur son visage, la reine se leva doucement et rejoignit Aspen.
‒ Vous ne pouvez pas dormir ? chuchota-t-il.
‒ Non.
Elle fit quelques pas et s'assit avec précaution à côté du brigand.
‒ Cela me paraît étrange de me dire que je suis une reine sans royaume, reprit Eira après un moment. Une autre va sans doute occuper mon trône, et je ne suis rien d'autre qu'une fugitive.
‒ Et moi je suis devenu un hors-la-loi en vous aidant, déclara Aspen.
‒ Ne vous moquez pas de moi, vous en étiez un bien avant de me rencontrer, le taquina-t-elle en souriant.
Pourtant, son sourire était triste.
‒ C'est vrai, admit-il. Et je vous aiderais à récupérer votre royaume.
La reine glissa ses doigts fins dans ses longs cheveux bruns dénoués.
‒ Je pense que nous devrions nous diriger vers le sud-ouest, affirma-t-elle. En rejoignant la république de Trivok au cœur de la confédération d'Izaro, nous serons en sécurité. La présidente Alverna nous apportera son aide. Sur ces terres, la magie n'est pas bannie.
‒ Vous êtes sûre que cette femme ne va pas nous livrer aux gardes de Bylur ? la questionna-t-il.
‒ Certaine. Cela fait longtemps que nous sommes amies. Au Palais, nous correspondions avec des Elezaaps. J'espère en trouver dans le prochain village pour l'avertir de notre arrivée.
Elle s'interrompît.
‒ Je pense aussi que nous pouvons faire confiance au duc de Reginn ainsi qu'à Lady Dolion, ma dame de compagnie. Ils sont fiables.
Elle grimaça sous la douleur de ses blessures et Aspen fronça les sourcils. Même si les Fey guérissaient plus vite que la normale, il rendrait dix fois cette souffrance à cette Matriarche. Cette femme qui se croyait au-dessus des lois serait traitée comme rien d'autre qu'une criminelle, elle qui faisait exécuter les humains lorsqu'ils commettaient la moindre faute. Elle avait osé s'en prendre à Eira, la Fey qui était plus humaine que les humains eux-mêmes.
Soudain, une série d'explosions retentirent dans le lointain. Une secousse traversa le sol gelé du canyon, serpentant sous leurs pieds. Ils levèrent la tête au ciel, cherchant à percer l'horizon immaculé.
‒ Que... que font les gardes ? balbutia Eira.
A cet instant, un bloc de glace se détacha au-dessus d'eux et plongea dans le vide, prêt à les réduire en charpie.
‒ Attention ! cria le brigand.
Il poussa la jeune femme violemment sur le côté. L'amas tomba à terre et l'impact leur vrilla les oreilles, envoyant aux alentours des éclats de givre qui s'enfoncèrent dans leur peau.
Un peu sonné, Aspen se redressa et saisit le poignet de la reine, la relevant avec précaution. Un deuxième bloc dévalait la falaise, en direction de la tente d'Althea.
Eira poussa un cri strident et courut vers la jeune fille, tirée de son sommeil par leur agitation. Battant des paupières, cherchant à percer le voile des songes, elle contempla sans comprendre le rocher qui fusait sur elle. La souveraine se jeta sur elle pour la protéger de son corps. Un cocon de glace émergea du sol et les recouvrit.
C'est alors qu'il se rendit compte d'une chose.
Le passage du canyon était bloqué.
Aspen se précipita et dégagea l'abri, repoussant à la hâte les roches qui les recouvraient, creusant le givre et la terre à mains nues. Il ne sentait plus ses doigts. Ses ongles étaient sales et tout ébréchés. La sueur coulait sur son front, et il l'essuya avec sa manche.
Enfin, il parvint à l'abri et écarta les morceaux de la coquille de glace. Il en extirpa Eira et Althea avec peine. Cette dernière était évanouie, et la reine avait du sang sur le visage. Le brigand serra les dents. Il n'avait servi à rien. La jeune femme avait sauvé son amie au péril de sa vie, alors qu'elle la connaissait à peine. Il se jura qu'il la protègerait, et que quoi qu'il arrive, il serait à ses côtés.
Il sortit un mouchoir et essuya son front ensanglanté.
‒ Bien joué, dit nonchalamment le brigand.
La souveraine se raidit.
‒ Je... je n'ai rien fait, bredouilla-t-elle, blanche comme la neige. Je n'ai fait que protéger Althea. Je n'ai même pas pensé à user de la magie.
Sa lèvre inférieure tremblait.
‒ Vous avez peut-être libéré vos pouvoirs sans vous en rendre compte, et créé ce cocon de glace, proposa Aspen en évitant son regard.
‒ Non, je suis certaine que ce n'est pas le cas. Ma théorie est tout autre.
Elle se leva et fit un pas en arrière. Les flocons qui s'étaient logés dans ses cheveux bruns lui faisaient comme une couronne gelée.
‒ Vous maîtrisez la magie ! s'écria-t-elle à l'intention de son compagnon.
Eira recula encore, mais glissa sur du verglas. Le brigand la rattrapa par la main et se pencha vers elle.
‒ Vous avez raison, je possède moi aussi des pouvoirs, lui souffla-t-il a l'oreille.
***
Eira se mit à trembler. Ainsi, son compagnon d'infortune possédait des pouvoirs ? Comment était-ce possible ? Il était humain. Il était censé être humain. Elle n'avait jamais entendu parler d'un être autre qu'un Fey maîtrisant la magie.
‒ A vrai dire, ce n'est pas vraiment ainsi que j'envisage mon... don, avança-t-il. Pour moi, il s'agit simplement de manipuler les éléments, comme la neige ou la glace.
La reine resta muette. Aspen ne se conformait pas à l'idée qu'il soit un mage. Elle le comprenait tout à fait : c'était une vérité difficile à accepter.
‒ Depuis quand..., commença-t-elle, mais la fin de sa phrase mourut dans sa gorge.
‒ Aussi loin que je me souvienne, répondit-il. Je m'en suis servi pour combattre les percepteurs, pour vous sauver de l'attaque des bandits et des gardes de Bylur. En vérité, ils sont en moi depuis que je me suis réveillé amnésique après que vous m'ayez enterré vivant.
Eira fronça les sourcils. Voilà qu'il remettait ce sujet sur la table.
‒ Une bonne fois pour toutes, je ne vous ai pas assassiné ! haleta-t-elle. Je ne vous ai jamais rencontré auparavant.
‒ Vous avez raison, ce n'est pas le bon moment pour en parler. Veuillez m'excuser.
Il leva sa main droite et une série d'arabesques de givre se dessinèrent dans les airs, dansant autour d'elle dans un ballet bleuté. Une dizaine de petites fées blanches apparurent et se mirent à papillonner sur un courant de vent. Un instant, la reine oublia ses craintes et ses tourments. Elle sourit mais ne desserra pas les poings.
Elle n'était plus seule.
Aspen s'avança vers elle et lui prit la main. Elle eut un mouvement de recul.
‒ Il ne faut pas avoir peur de la magie, lui dit-il. Rassurez-vous, je me sers de mon pouvoir uniquement pour protéger, et non pour blesser. Il veillera sur vous et sur nos intérêts communs.
Une série de coups retentit contre le bloc de glace qui bouchait la route. Farrah devait essayer de dégager le passage.
‒ Je vous saurais gré de ne pas mentionner mes pouvoirs à mes amis, reprit-il. Je ne voudrais qu'ils soient effrayés par ma personne.
Eira ouvrit la bouche.
‒ Avant que vous ne me le demandiez, je ne pense pas être un Fey. Je suis simplement un humain... peu ordinaire. Venez, je vais créer un escalier de glace.
Il leva les mains, paume vers le haut et ferma les yeux. Le bloc s'effrita à vue d'œil, envoyant un nuage de givre dans son visage. Mais Aspen ne s'en soucia pas. Il continua à creuser le monceau avec sa magie et des marches grossières se dessinèrent, brillant d'une lueur bleutée.
La souveraine, à présent fascinée, regardait son compagnon d'un œil nouveau. Ce dernier souleva Althea et ils gravirent la pente ensemble, accueillis par le sourire enjoué de Farrah.
‒ Heureusement que vous êtes là, dit-il à Eira en s'inclinant légèrement. Vos pouvoirs, qui vous ont chassé du trône, pourraient nous être utiles pour le reconquérir.
La reine jeta un coup d'œil complice à Aspen. Ce dernier sourit.
‒ Tu as bien raison mon vieux, déclara-t-il.
Le jeune homme lui rendit son sourire. Eira ressentit un pincement au cœur en les voyant si proches. En tant que Fey, et en tant que souveraine, elle ne pourrait jamais expérimenter une amitié si pure. Elle avait un lien indéniable qui la liait à Aspen, et pourtant il ne la regarderait jamais comme cela, comme sa meilleure amie. C'est pourquoi elle s'écria :
‒ Nous ferons mieux de nous mettre en route. L'aube approche, et les gardes sont sur nos talons.
Ils rangèrent rapidement leur matériel et le chargèrent sur le dos des Nandreth tandis qu'Althea s'éveillait doucement. La reine flatta l'encolure de l'un d'entre eux, caressant doucement les écailles céruléennes tandis que le brigand le scellait.
‒ Il est beau, murmura-t-elle.
‒ Elle, corrigea Aspen. Je l'ai nommée Lazuli.
‒ C'est un joli nom, approuva la jeune femme.
Elle grimpa sur son dos à la suite de son compagnon, enlaçant sa taille, et ils partirent au galop.
Quand l'aurore rose se leva, et que les premiers rayons du soleil nimbaient la plaine d'une lueur ambrée, ils étaient sortis du canyon de roches et de glace. A travers l'immensité blanche, ils aperçurent un village à l'horizon. Ils s'y dirigèrent et pénétrèrent dans le hameau. Des maisons de bois ou de pierre peintes de couleurs vives et portant un lourd chapeau de neige les accueillirent. Eira, qui n'était jamais allée plus loin que le parc du Palais d'Eriknus, regardait les yeux écarquillés cette bourgade où les habitants vivaient une vie paisible. Voilà qu'elle vivait une aventure digne des romans qu'elle lisait, et elle pouvait enfin explorer le monde dont elle rêvait tant.
Dans les hauteurs, sur une petite colline entourée de remparts, se dressait une bâtisse qui ressemblait à un manoir.
Une aubergiste aux hanches larges vêtue d'un tablier taché sortit d'une taverne et les héla :
‒ Vous n'êtes pas du coin, c'est bien ça ?
‒ En effet, répondit Aspen, nous sommes... des voyageurs itinérants.
‒ En vérité, nous sommes une troupe de comédiens, lança Farrah d'un ton grandiloquent en faisant un grand geste de la main.
‒ Bienvenue à Denha, dans ce cas ! Venez prendre un petit déjeuner chez moi !
Elle ouvrit grand la porte et leur fit signe d'entrer. Le brigand mit pied à terre, aida Eira à descendre et noua la longe du Nandreth à un anneau fixé au mur de l'établissement. Sur la porte était accrochée une breloque en cristal qui capturait la lumière et la rejetait en un kaléidoscope de losanges colorés, destiné à attirer la bienveillance et la protection de Solfrid, la déesse du soleil. Cela étonna Eira. Des babioles de ce genre coûtaient une fortune.
A l'intérieur, des boiseries anciennes décoraient les murs. Une série de figurines peintes à l'effigie des dieux se tenaient sur un hôtel. Un feu brûlait dans une cheminée. Tandis qu'ils s'asseyaient à une table, le jeune homme chuchota à son ami :
‒ Farrah, pourquoi tu leur as dit que nous étions des comédiens ?
‒ Pour ne pas paraître suspects, répondit-il. La nouvelle que la reine est en fuite a dû leur être communiquée. Il y a sûrement une récompense pour sa capture.
La tenancière surgit derrière eux, des assiettes pleines à la main, et ils sursautèrent. Elle les déposa devant chacun des membres du petit groupe. Farrah se jeta sur son plat de saucisses de Paruu et de purée de châtaigne cramoisie.
‒ Combien nous vous devons ? demanda Althea d'une petite voix sans toucher à son plat.
‒ Oh, rien. A condition, bien sûr, que ce soir vous nous fassiez une petite représentation !
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