Chapitre 13 : Envol
Le soleil du petit matin se reflétait sur la neige, étincelante comme mille diamants, et envoyait des éclats de lumière sur la baie vitrée de la salle du conseil, où une réunion se tenait.
‒ Votre Majesté, disait Ezer, la guerre gronde à nos portes. Les rumeurs récoltées à la frontière rapportent que l'empire colonial d'Aranya a réuni ses armées.
‒ Et c'est pour cela que vous avez fait convoquer le conseil ? fulmina la reine en se tournant vers son haut conseiller. Sur une simple rumeur ?
‒ Ce n'est pas qu'une simple rumeur, répliqua-t-il sans se laisser désarçonner. Nos espions savent depuis longtemps que nos ennemis veulent agrandir leur territoire. Et même s'il ne s'agit que d'un ouï-dire, nous devons prévoir notre prochain mouvement.
Eira resta silencieuse un instant. Elle gouvernait ce royaume, elle devait garder la tête froide. Mais la politique n'était pas son fort, contrairement à sa mère, qui avait toujours plusieurs eu coups d'avance.
La jeune femme se leva et se mit à arpenter la salle, sous les regards inquisiteurs de ses conseillers. Elle tenta de peser le pour et le contre de chacune de ses idées, mais elle n'avait pas la tête à cela. Elle pensait trop à Aspen et à ce mariage qui apaiserait les rebelles et renforcerait son pouvoir. La probabilité d'une guerre était dure à réaliser.
‒ Mes fiançailles ne suffisent‒elles pas à intimider l'empire ? finit-elle par dire. Savoir que les humains et les Fey de Bylur sont du même côté, cela devrait les dissuader de nous attaquer.
Elle entendit son haut conseiller soupirer.
‒ Votre Majesté, cela au contraire montre votre faiblesse vis-à-vis des humains. Je vous conseille plutôt de leur envoyer un traité de paix en leur défaveur, et en cas de grabuge, déclarer la guerre. L'attaque est la meilleure défense.
‒ Déclarer la guerre ?! s'écria Eira. Mais vous n'y pensez pas ! Ce serait un bain de sang dans les deux camps. Non, nous devrions plutôt nous allier à la Confédération d'Izaro.
‒ Ne laissez pas votre amitié avec la présidente Alverna obscurcir votre jugement. Depuis longtemps, trois grandes puissances ont régné sur le continent d'Amaluria. Si jamais l'une d'elles aurait attaqué l'un des autres, le vainqueur se serait trouvé affaibli et donc annexé par la troisième nation. Mais l'empire pense que vous êtes impuissante et isolée et veut vous livrer combat. Ils s'imaginent être assez forts pour conquérir Bylur puis la confédération.
Les ministres hochèrent la tête en signe d'approbation.
‒ Merci pour ce cours d'histoire, ironisa la souveraine.
Malgré son ton ironique, elle était déstabilisée par tout ce qu'elle venait d'entendre. En somme, s'ils étaient attaqués, ce sera tout le continent qui sombrerait dans la guerre. Elle devait prouver sa force en tant que souveraine pour éviter cela.
Elle s'avança vers la grande baie vitrée et porta son regard vers l'extérieur. Soudain, elle aperçut une silhouette qui s'enfonçait dans la forêt. Il s'agissait d'un homme en bras de chemise. Probablement un humain, quoique ses derniers craignent trop le froid pour se promener ainsi vêtus. Elle sursauta et se tourna vers son conseiller.
‒ Je veux que vous débattiez de la meilleure attitude à avoir face à l'empire, et que vous m'en faites part dès mon retour.
‒ Mais Votre Majesté, intervint un ministre, où allez-vous ?
‒ Je m'absente un petit moment, répondit-elle simplement.
Elle sortit de la salle de conseil et se mit à courir dans les couloirs sans prendre garde aux regards curieux que lui jetaient les serviteurs humains ou les courtisans. Elle entendit Lady Lyorna l'appeler, mais elle ignora sa suivante.
Elle déboucha dans une petite cour enneigée où courraient d'adorables petites Flamiveps aux plumes d'un beau rouge écarlate et se pressa d'ouvrir le portillon de bois.
L'homme était à la lisière de la forêt, tirant un petit traîneau dans son sillage. Elle courut jusqu'au lui. Trois Anarsas aux longs poils soyeux gambadaient à ses côtés.
‒ Aspen ! s'écria-t-elle en le rattrapant.
Il portait plusieurs couches de chemises sur son corps, certainement pour se tenir chaud, un pantalon noir et des bottes en cuir. C'était les seuls vêtements qu'il avait à disposition dans sa chambre au Palais.
‒ Qu'est-ce que vous me voulez encore ? demanda-t-il d'un ton dédaigneux.
‒ Je... où allez-vous ? l'interrogea-t-elle.
‒ Je ne suis pas en train de fuire, si c'est là votre question. Du moins, j'espère ne pas devoir en arriver là car je ne suis pas votre prisonnier. Je vais simplement rendre visite à mes amis, et rapporter quelques affaires.
‒ Laissez-moi venir avec vous ! s'exclama-t-elle.
‒ Vous faites ce que vous voulez, Votre Majesté, répondit le jeune homme.
Elle le suivit un instant en silence, refroidie par son ton sec. Puis, n'y tenant plus, elle se mit à le questionner :
‒ Comment êtes-vous sorti de la chambre ?
‒ Par la fenêtre.
‒ Mais elle était verrou...
‒ Je suis un brigand, la coupa-t-il.
‒ Et les Anarsas ?
‒ Je les ai détachés dans la cour et j'ai emprunté la luge. Vous avez d'autres questions ?
‒ Non. Vous êtes doué pour vous faire aimer des animaux, remarqua la reine.
‒ En effet.
Il n'était pas très bavard. Ou peut-être qu'il était intimidé par son rang. Ou encore était-ce sa haine envers elle qui le rendait peu loquace. Elle se demanda comment il la voyait de son point de vue.
‒ Pourquoi ne montez-vous pas sur le traîneau ? s'enquit Eira, curieuse d'en apprendre plus sur cet étrange jeune homme.
Il lui fit signe de se taire. Ils étaient arrivés dans une clairière avec un grand lac gelé. La reine frissonna. Elle n'aimait pas cet endroit, trop chargé de souvenirs douloureux. Au loin, on pouvait apercevoir une petite butte où sautillaient des petits oiseaux au corps allongé et au visage rond et plat comme une lune.
‒ Ce sont des Lidrosa, expliqua Aspen. Ils volent au son d'une mélodie que l'on entonne. Malheureusement, je suis un mauvais chanteur.
Le brigand leva la tête et siffla. Les volatiles s'envolèrent d'un même mouvement, et formèrent une ligne dans le ciel. Le jeune homme se mit à siffloter en rythme, et les oiseaux formèrent des vagues, mêlant plumes bleues comme la mer et duvet blanc comme l'écume.
‒ C'est... splendide, murmura Eira, la bouche ouverte. J'ai rarement vu de spectacle aussi ravissant.
‒ Vous aimez ? C'est sur cette butte que vous m'avez assassiné.
‒ Comment ?! s'indigna la reine, interloquée. Je n'ai tué personne !
‒ Ne mentez pas, rétorqua Aspen.
Eira se demanda ce qu'il voulait dire par là et le regarda harnacher les Anarsas au traîneau en leur parlant doucement. Puis, il grimpa dessus et saisit les rênes.
‒ Vous venez, où vous restez en arrière ? lui dit-il d'un ton bourru.
‒ J'arrive.
Elle monta à son tour et s'assit derrière le brigand en relevant sa robe pour qu'elle ne traîne pas dans la neige.
***
Les Anarsas fendaient l'air avec leurs longs museaux gris et leurs muscles saillants. De chaque côté du chemin, les sapins défilaient, tous recouverts d'un manteau immaculé.
‒ Combien de temps encore ? demanda Eira.
‒ A cette allure, une bonne heure ! cria-t-il pour couvrir le bruit du vent.
Ils venaient à peine de dépasser le village de Moonport. Aspen sentit la reine s'agiter derrière lui. Il eut un petit sourire. Elle ne devait pas être à l'aise, loin de ses coussins moelleux et de ses draps brodés d'or et de fil de Spartus. Elle devait certainement regretter d'être venue.
Il repensa au jour où il avait tenté de la tuer. La jeune femme avait agi si bizarrement. Bah, les Fey étaient tous étranges avec leur sang d'argent et leurs facultés surhumaines. Il pourrait attendre de monter sur le trône, faire entrer ses brigands dans le Palais, et l'assassiner. Mais non, cela provoquerait une guerre civile. Mieux valait se tenir gentiment à ses côtés, bien qu'il n'apprécie peu cette idée.
Ils avaient scellé une promesse. Mais qu'est-ce qui garantissait que la reine remplisse ses conditions ? Il voulait néanmoins y croire. Elle avait l'air si sincère.
Aspen ne voulait pas s'avouer qu'il trouvait cette femme intrigante. Elle était bavarde et avait une naïveté touchante. Il se rappela sa réaction face aux Lidrosa. Elle avait une certaine part d'elle qui était attachante. Mais peut‒être que tout ceci n'était qu'un jeu cruel pour le manipuler...
Il était insignifiant à côté de sa couronne, mais elle n'était rien comparé à sa cause.
Alors qu'ils étaient à mi-chemin, le jeune homme sentit une présence derrière eux. Il jeta un coup d'il par-dessus son épaule.
‒ On est suivis ! lança-t-il. Ames, Levin, Nita, plus vite !
Eira sursauta tandis qu'il faisait claquer ses rênes sur la peau dure des Anarsas.
‒ Comment saviez-vous qu'ils se nommaient ainsi ? s'étonna-t-elle.
‒ Je ne le savais pas, répondit-il. J'ai choisi ces noms quand je les ai libérés de leurs chaînes.
Il aimait prénommer les animaux. Il sentait en lui-même qu'ils avaient une âme, et méritaient tout son respect. Le brigand leur avait donc donné des noms signifiant « ami ».
C'est alors qu'un traîneau ennemi apparut devant eux. Aspen fit volte-face, mais ils étaient cernés. Il sauta à terre et tendit les brides à sa compagne de voyage.
‒ A mon signal, fuyez ! lui chuchota-t-il.
‒ Ce ne sont pas vos hommes ? l'interrogea-t-elle.
Aspen soupira.
‒ Tous les bandits de la région ne sont pas sous mes ordres, affirma-t-il.
Il fit des pas prudents dans la neige en gardant un il sur leurs assaillants et sortit un glaive de sa chemise.
‒ Qui êtes-vous et que voulez-vous ?
‒ Nous voulons vos têtes, grimaça un homme.
Il sauta au bas de son attelage et fit face à Aspen. Derrière lui, d'autres hommes l'entouraient. Il en compta sept en tout.
D'un même cri, ils se jetèrent sur lui.
‒ Maintenant ! hurla-t-il à en perdre la voix.
Eira fit claquer la longe et les Anarsas bondirent en avant, entraînant le traîneau avec eux dans la forêt.
D'un mouvement, le jeune homme désarma un de ses assaillants et le jeta à terre. Il para un coup avec son glaive et un envoya un coup de pied. Il maîtrisa un autre bandit et lui entailla le bras. Il frappa violemment le suivant à la tête.
Engoncé dans ses multiples couches de vêtements, il peinait à bouger.
Mais il se battait pour sa vie, pour celle d'Eira, mais aussi pour sa cause. S'il mourait, le peu d'espoir qui restait dans le cœur des humains périrait avec lui.
Soudain, un vent glacial se leva et fit voler les capes de ses opposants. Une tempête de neige plut sur eux, leur envoyant des éclats de givre dans le visage.
Quelques instants plus tard, les sept brigands étaient allongés à terre. Aspen avait souvent été pris dans des bagarres et savait se défendre. Ces bourrasques n'avaient fait que l'aider dans sa tâche.
Il en saisit un par le col et lui cracha au visage :
‒ Pour qui travailles-tu ? Qui vous a demandé de nous tuer ?
‒ Ta mère, répondit l'homme avec un sourire goguenard.
Aspen le jeta par terre et appuya la pointe de son glaive sur son cou.
‒ Tu vas devoir arrêter ce petit jeu avec moi ou je te tue. Je te repose une dernière fois la question : qui t'envoie ?
‒ Un Fey... un Fey masqué qui portait de beaux habits, balbutia-t-il. Il nous a versé une grosse somme pour vous surprendre et vous tuer.
Un Fey masqué ? Qui cela pouvait-il bien être ? Il comprenait qu'il ait de nombreux ennemis au Palais, mais la reine semblait en avoir également ? Qui en voulait à la vie d'Eira ? C'était peut-être bien un riche étranger qui voulait nuire au royaume...
Il rangea son arme et tourna le dos au bandit. C'est alors qu'il baissa les yeux sur ses mains. Une large balafre s'étalait sur son poignet droit.
Un filet de sang argenté en coulait.
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