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6 décembre - Hoseok

Séoul,
Friendzone 51,
Dans la nuit d'un jeudi et vendredi, plein décembre, plein milieu de la nuit aussi.

 
Dis, Kook, tu trouves pas que ça manque de vert par ici ? De vert forêt, en particulier. Et je dis pas seulement ça parce que c'est ma couleur préférée. 

Mais ce vert, c'est la joie, pas vrai ? Pour toi, pour moi, pour Taehyung et pour les autres sans doute aussi. Il en manque au QG. C'est drôle, mais je trouve que ce mur n'est pas assez coloré. Il l'a été pourtant. Je trouve qu'il ne l'est plus. Peut-être que c'est parce qu'il fait froid dehors, mais je trouve les couleurs complètement dépassées, comme si le temps et nos pensées les avaient filtrées, que les nuits froides les avaient aspirées. Jimin dirait qu'elles sont fanées. Ça me fait drôle de me trouver là ce soir, seulement éclairé à la lumière du flash de mon téléphone parce que l'électricité est toujours coupée. Je crois que le plus étrange est d'y être seul, et l'image de toi venant y déposer le courrier avec l'air complètement désorienté que tu dois porter l'est plus encore. Mais voilà, c'est étrange d'être ici tout seul ce soir et d'écouter le toit empêcher la pluie de le faire tomber. Ce n'est pas faute d'aimer la solitude pourtant, mais ce n'est pas ici que j'ai l'habitude de me retrouver avec moi-même, je crois même que ça n'est jamais arrivé. Et pourtant ça me parait cohérent après tant de temps passé sans le visiter, je ne sais pas si tu comprends. Par contre, j'ai froid. Et ça ne me plait pas. Je n'ai jamais eu froid dans cet endroit, et une part de moi se demande pourquoi quand l'autre le sait parfaitement. C'est bizarre d'avoir froid ici, je m'y suis toujours senti réchauffé, sans doute parce qu'on y a partagé beaucoup de vert forêt. Et ça réchauffe, le vert forêt.

Tu as dû avoir sacrément froid quand tu t'es pointé pour déposer le courrier, Kook, j'ose espérer que tu avais un manteau sur toi pour une fois. Il règne une bien étrange atmosphère ici, je me demande si tu es resté longtemps. Parce que ça manque de vert, et ça me démange de tout repeindre en vert pour faire semblant que si. Je ne le ferai pas, je crois que ça sonnerait bien trop faux pour tout le monde, pour moi, et j'aurais peur que ça te retienne de revenir y mettre les pieds. Je crois que ça te serait bien trop étranger. Et Jimin m'engueulerait. Ah si ! Il y a un truc qui est bien vert et qui ressort sur ce mur : je vais faire semblant de ne pas savoir lequel d'entre vous a dessiné ce merveilleux chibre à Bob l'éponge et applaudir à l'anonyme. Parce que franchement il est sympa ce cactus, j'aurais presque envie de lui payer un café. Parce que ça manque de vert.

C'est trop gris, et je crois apercevoir pas mal de pourpre aussi.

Tu sais, quand j'ai lu ce que tu as écrit cet après-midi, je me suis retrouvé con. Parce que la première chose que j'ai faite c'est d'attraper un papier et un crayon gris et de me jeter sur ce canapé. Et c'est tout, j'ai bloqué et je me suis trouvé con. Beaucoup de choses me sont passées par la tête, des milliers de choses réconfortantes, des conseils, des explications, des blagues, des chansons. Mais rien qui ne me paraisse suffisant, ni cet après-midi, ni maintenant. C'est sans doute pour ça que ce que je raconte maintenant ne fait pas forcément sens, et ne raconte pas grand-chose finalement. Parce que rien ne me paraît suffisant actuellement, ou que rien ne fait vraiment sens, tout simplement. Mais il y a un truc que tu as dit qui tourne dans ma tête inlassablement. Que c'est fini ou qu'en tout cas tu vas faire semblant que si. Et c'est bête sans doute, mais la première chose qui me vient à l'esprit c'est : qu'est ce qui est fini ? Toi et Minha ? Toi et Jimin ? Quoi ? Tout ? Et la pensée qui suit, je crois qu'elle fait vriller pas mal de trucs dans ma tête : ça ne veut rien dire. Ça ne veut rien dire tout ça, « it's far from over », « c'est fini ». Absolument rien. Zéro. Nada. Peut-être simplement parce que ça ne m'évoque rien, et que ça me rend triste aussi. Peut-être que c'est juste un rejet de ma part de ton discours parce qu'il me fait mal. Mais ce n'est pas à propos de moi et ça m'agace de ressentir ce sentiment de révolte en moi, là maintenant. Mais je sais pas encore faire autrement, alors je continue d'écrire et je surveille cet affreux Bob l'éponge du coin de l'œil que je sens prêt à me sauter dessus à tout moment.

Dis, Kook, tu t'en souviens quand il pleuvait sur nous ? Et qu'on courait vite, beaucoup trop vite pour qu'on ne se mette pas en danger sur ces routes mouillées, pour y échapper ? Pour essayer de rattraper le soleil, tu disais.

Je crois que ça me manque parfois, de courir avec toi pour attraper le soleil quand il est caché. Mais d'un autre côté je me dis que ça veut dire qu'il pleut sur nous moins souvent, alors c'est plutôt une bonne chose. Et ce n'est pas pour ça que c'est fini, tout ça, que de nouveau ça n'arrivera pas. Parce que c'est peut-être ce que tu fais maintenant, courir de plus en plus vite parce qu'il pleut sur toi. Et la seule différence c'est que je ne suis pas exactement là. Est-ce que c'est une mauvaise chose, tu crois ? Est-ce que c'est grave qu'on ne coure plus ensemble comme autrefois ? Je ne crois pas, Kook. Je crois juste que cette fois c'est ton propre combat, et que même si je ne suis plus là de la même façon, je suis toujours là. Et quelque part je le serai toujours. Ce n'est pas fini, Kook, c'est juste différent. Et peut-être que c'est ça qui est effrayant. Quand les choses changent, on perd ses repères abruptement, surtout si on a refusé de regarder dans quel sens tournait le vent. Et je crois que cette image-là tu la comprends, parce que je l'utilise souvent.

Dis, est-ce que tu as refusé de regarder vers où tournait le vent ?

Tu sais, ce n'est pas parce que tu regardes vers l'avant que tu perds forcément tes repères. Parce que je sais que c'est ce qui te fait peur, si tu regardes plus loin, tu as peur de te perdre. Parce que là-bas tu ne connais pas. Mais c'est comme quand tu changes d'environnement Kook, même si c'est plus effrayant. Au final, si tu ne veux pas te perdre il faut juste que tu installes de nouveaux repères, que tu cherches de nouvelles zones visuelles et que tu les intègres jusqu'à ce qu'elles te deviennent familières. Parce que si tu refuses de les changer, Kook, c'est elles qui changeront. Et je crois que c'est plus désorientant de voir ses repères changer que de choisir de les changer soi-même. Parce que dans un cas, tu acceptes, tu choisis, dans l'autre, tu subis. Et c'est ce qui est en train de se passer pour toi, mon grand, tu subis. Tu subis et tu subiras encore si ce n'est pas toi qui choisis.

Alors peut-être qu'il est temps de choisir, cette fois-ci. Peut-être qu'il est temps que tu acceptes le changement, et que tu cesses d'avoir peur tout le temps. Peut-être que c'est de ça que parlait Minha. Je ne pense pas qu'elle te demandait de te jeter sur l'avenir et de l'embrasser, je pense qu'elle te demandait juste d'essayer de l'appréhender, de l'envisager, de l'accepter. De cesser d'avoir peur de voir les choses changer. Parce que c'est normal d'avoir peur Kook, c'est normal de ne pas savoir quoi dire ou quoi faire parfois. De se retrouver comme un con à ne plus savoir comment on fait pour marcher. Surtout pour toi, qui as toujours eu du mal à savoir par où tu devais aller. Ça ne fait pas de toi un taré ou un empoté. Ni ça, ni tes difficultés à communiquer. Tu n'es ni taré, ni empoté, Kook. Je ne dirais même pas que tu es différent, parce que ça ne veut rien dire, parce qu'on est tous différents. Et si être différent c'est être taré alors on vit dans un monde exclusivement peuplé de tarés. Et c'est peut-être le cas, Kook. Peut-être qu'on est juste tous tarés. Chacun à notre manière, chacun de manière plus ou moins prononcée et visible pour les autres. Tu ne vaux pas moins que les autres. Tu es juste empli de choses, d'émotions, d'idées, de réflexions, qui te dépassent parfois. C'est juste ça, parfois tout est exacerbé et ça te dépasse. Et tu te mets à courir pour essayer d'y échapper. C'est ce que tu fais actuellement, et en même temps c'est différent. Tu ne t'en rends pas compte, mais tu cours tellement plus lentement. Tu as fait tellement de progrès ces derniers temps. 

Regarde-toi, Kook, regarde-toi. Si tu ne veux pas encore regarder l'avenir, au moins regarde-toi. 

Regarde tout ce que tu as accompli depuis qu'on se connait, regarde tous les efforts que tu as faits. Regarde toutes ces recherches sur les insectes, toutes ces amitiés que tu t'es faites, même si elles sont imparfaites. J'ai peut-être souvent parlé pour toi, Kook, mais c'est toi qui as fait tout le boulot derrière pour que ça marche. Même si c'est dur parfois, même si ça ne va pas avec Minha, avec Jimin, même si tu as l'impression de faire les choses de travers. Tu essayes, Kook, tu essayes. Et c'est dur en ce moment, mais tu essayes quand même. Regarde-toi, tu nous as écrit une putain de lettre. Tu parles, c'est toi qui parles, je n'ai rien à voir avec ça. Aujourd'hui tu peux très bien t'en sortir sans moi. Et ça me rend terriblement fier, si tu savais. Ça vaut ce que ça vaut, mais je suis fier de toi, Jungkook. Et si je t'avais devant moi, là, maintenant, je te prendrais dans mes bras. Et sans doute que je te secouerais comme un prunier après. Et tu rirais sans doute, et je n'aurais plus envie de pleurer. Et on repeindrait les murs de vert forêt.

Nabi.
 
 
 
 


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