Le 5 décembre.

8h12 et 55 secondes.

« Nous gardons le silence, un de ces silences qui remplissent l'espace au lieu de le vider. »

Quand Jin-hyung nous a prévenus qu'il y avait du courrier dans la boîte aux lettres du QG, je n'y ai pas cru. C'est si rare que nous l'utilisions encore, après tout elle trône comme un vestige du passé dans un coin de la pièce. Elle prend la poussière et parfois je me dis que si je n'étais pas là pour la nettoyer ce serait comme si elle pouvait s'effacer.

Je retourne régulièrement au QG entretenir les fleurs que Jimin y a laissées mais jamais je ne pense à ouvrir le courrier où les mots que vous laissez éparpillés.

Le message de Hyung m'a surpris, m'a rendu confus mais si j'ai été étonné j'ai, malgré tout, tout de suite pensé à toi. Je ne l'explique pas. Il y a des choses que je n'explique jamais mais cette fois ça m'a inquiété.

Maintenant que je l'ai lu puis redéposé à sa place, je reste assis à contempler la pièce, à observer la fresque barbouillée de craie. Elle est si longue ta lettre, Jungkook, tu dis tant de choses auxquelles je ne sais quoi répondre.

Il y a de la surprise, de la tristesse, de la confusion... Pèse sur moi une étrange culpabilité, celle de ne pas avoir su voir tout ce que tu n'as pas voulu me montrer, de ne pas avoir compris avant de pouvoir te lire, tout ce qui était en train de se tramer.

Tu parles du silence, celui qui nous appartient et que nous utilisons tant, celui qui peut vouloir dire des milliers de choses à la fois. Mais parlons-nous vraiment du même silence ? J'ai laissé en en-tête une de mes citations préférées mais que je n'arrive toujours pas à interpréter. Elle vient d'un petit livre Le reste des silences que j'ai ramené au QG il y a bien longtemps.

C'est l'un des livres que Yoongi-hyung a empilé pour poser son cendrier près du fauteuil non loin du vieux métier à tisser. C'est assez ironique d'ailleurs, c'est le dernier qu'il a mis tout en haut de la pile, le plus à sa portée, alors que le silence reste son plus grand ennemi, celui qu'il ne veut pas affronter.

Je crois avoir vu un de ses courriers dans la boîte du QG, j'ai reconnu son écriture. Il y a déjà quelques lettres qui s'accumulent. Je me demande ce que les autres ont pu t'écrire, peut-être ont-ils trouvé les mots capables de te soulager, d'apaiser ton cœur, de te faire sourire ou encore de te faire pleurer davantage. Eux, ils savent écrire comme ils savent parler.

Mais nous, mais moi qui aime tant le silence, je ne parviens pas savoir par quoi commencer.

Je crois que je reste marqué par tes mots et tes émotions, celles que tu n'as jamais voulu vraiment me montrer. Mais de tout ce que tu as pu écrire, il y a un mot en particulier que je n'arrive pas à gérer.

Il me gêne dans ma lecture, il m'a gêné lorsque j'ai voulu recommencer ton courrier. Il reste au milieu du papier et me remplit d'une émotion particulière. J'ignore si c'est de la colère, de l'agacement ou quelque chose d'encore plus profond mais il est là et je ne peux pas le louper.

« Taré. »

Si tu l'es, Jungkook, ne le sommes-nous pas tous ?

J'ai beau te relire encore et encore, je ne comprends toujours pas, mais alors que je t'écris ces lignes je viens de me rappeler d'un souvenir.

Taré ? Ce jour-là, n'est-ce pas ce dont je t'avais traité ? Tu sais, ce jour où nous nous sommes rencontrés.

Il s'agissait peut-être de la première ou de la seconde journée de cours dans ce lycée dans lequel j'avais été transféré. Ce n'était pas de mon fait, ni de ma volonté mais Taehyung n'avait pas trouvé d'autres idées que de convaincre ma mère pour que je sois envoyé dans le même lycée que lui. C'est lui aussi qui m'a présenté à vous, quelque chose comme « mon petit cousin adoré », ces mots qui dans mon silence éternel n'avaient pas encore de sens à cet époque-là.

Hoseok-hyung m'a souri, Jimin-hyung m'a accueilli chaleureusement mais toi tu n'as rien dit.

Puis il y a eu ce moment-là, cette même journée lors de la pause déjeuner, où ayant peur que je puisse m'échapper, Taehyung m'avait traîné avec vous sous cet arbre pour discuter. Quand j'y repense maintenant, je peux me rappeler de son inquiétude, de sa volonté colorée de me donner ce qui me manquait tant cette année-là.

Et puis une araignée est tombée sur mon pantalon d'uniforme.

Tu ne peux pas comprendre ça Jungkook, mais pour ceux qui en ont peur ce fut comme si un monstre abominable, velu et dangereux avait grimpé sur moi. Tout mon corps s'est mis à la rejeter et ça, même mon silence ne pouvait pas l'absorber. La peur entraîne une volonté de destruction. J'allais l'écraser parce que j'étais effrayé mais tu m'en as empêché.

Ton geste m'a choqué. Moi qui arrivais à comprendre les autres sans aucune difficulté, tu étais l'imprévisible auquel je n'avais pas pu échapper. Mais parce que j'étais tétanisé, j'ai tout de même insisté mais tu m'as repris comme un forcené et tu as lentement récupéré l'immondice avec tes mains pour la déposer plus loin, en sécurité. Tu as regardé cette chose avec un sourire et une douceur que la plupart des individus réservent aux chatons ou aux bébés mais il était trop tard, j'étais perturbé et mon mur du silence, celui que j'avais érigé pour me protéger, s'est brisé. J'ai crié et nous sommes rentrés en désaccord, puis tu t'es braqué : « Ce sont des créatures de la nature », que tu disais, « Elles doivent vivre au même titre que toutes les autres. » Ça m'a insupporté, je t'ai trouvé taré.

Je me suis emporté contre toi et cela a jeté un froid sur quelque chose que Taehyung avait mis tant de mal à m'apporter. Je m'en veux encore tu sais. Ce jour-là, ce que tu disais représentait pour moi un insupportable. Comment des araignées, ces choses affreuses, pouvaient-elles vivre et être protégées alors que mon père lui, était mort ?

Cette injustice de la vie, je n'arrivais pas à l'accepter mais ce jour-là, Jungkook, c'était moi qui étais taré.

Quand je me suis calmé et que mon deuil a commencé, je ne voulais plus revenir vers vous, plus faire porter à Taehyung le poids de ma responsabilité mais malgré tout, tu m'as vu essayer de m'excuser. Tu m'as vu tenter d'accepter de ne pas tuer les araignées sur ma route et tu m'as aidé. Nous sommes devenus amis malgré tout ce que j'imaginais, nous avons établi une communication basée sur le silence, pourtant je me rends compte, à présent, de tout ce que nous n'avons pas dit.

Alors peut-être qu'il est venu pour moi le temps de protéger l'araignée à mon tour. Je l'ai dessinée en haut de la fresque dans un petit coin isolé. Sais-tu à quel point il est difficile de dessiner ce dont on a le plus peur ? J'ai dû me reprendre plusieurs fois mais je suis plutôt satisfait du résultat.

Après toutes ces années, tout ce que tu m'as montré et toutes les créatures que tu as ramenées au QG, je ne suis plus un enfant effrayé et ravagé.

Les rôles se sont inversés, tu es l'araignée, Jungkook, celle que j'ai envie de protéger, d'éloigner de la peur qui mène souvent à la destruction.

Je ne sais pas encore comment m'y prendre, peut-être ne le saurais-je jamais. Mais de tout ce que tu as pu dire, il me reste la certitude que nous sommes toujours des enfants. Nous grandissons lentement, certaines choses ne changeront jamais mais pour d'autres, il y aura d'infimes bouleversements.

Ce dessin d'araignée est le mien, à toi de trouver le tien.

Les non-dits ne sont pas le silence, alors peut-être que pour les affronter, soyons tarés tous ensemble.

Tu as raison, je suis vraiment plus bavard sous ce format. J'aurais encore des choses à te dire.

Nous avons encore des choses à nous dire que le silence ne peut pas remplacer.

En espérant que cette lecture pourra t'être d'un quelconque réconfort. Je reviendrai bientôt.

En souvenir du passé.

Kim Namjoon.